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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Lebanon
Israël / 2009
03.02.2010
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DE LA GUERRE
"L’homme est d’acier, le tank n’est que ferraille"
Attention, expérience choc. Avec son premier film, Samuel Maoz place le spectateur dans la même situation que ses personnages, des soldats enfermés dans un tank et lancés dans une campagne militaire dont ils ignorent tous les détails. On ne voit donc à l’écran que l’intérieur de l’engin (obscur et confiné) et le monde extérieur perpétuellement observé à travers un viseur. Le procédé est radical, et porte immédiatement ses fruits : ambiance anxiogène, début de claustrophobie, sensation d’être pris au piège. La réalité donne ainsi l’impression d’être morcelée et incomplète, conférant à chaque plan un aspect à la fois naturaliste (souci du détail) et irréel (aucun plan d’ensemble, visages déformés à force d’être filmé sans recul). Dans un premier temps, tout évoque un jeu vidéo pervers où la fiction laisse brutalement place à la réalité la plus sordide.
Car du sordide, le film n’en manque pas. On suspecterait presque Samuel Maoz de chercher à choquer à tout prix et d’en rajouter niveau corps déchiqueté peu ragoûtant et plans racoleurs sur une femme nue ayant perdu toute sa famille. A force de vouloir démontrer à tout prix les horreurs de la guerre et la position impossible du tireur qui ne veut pas tuer, mais n’a pas le choix, l’écriture frôle le manichéisme. C’est sûr, on est très loin de l’imagerie traditionnelle du film de guerre, notamment hollywoodien, où l’héroïsme triomphe toujours des souffrances stylisées et d’une violence esthétique…
Pourtant, on le sait, la réalité d’une guerre est bien pire que les quelques séquences difficiles de Lebanon. Et finalement, ce qui est le plus dérangeant, c’est que la perpétuelle présence du viseur nous met face à des images qui n’ont plus rien à voir avec la fiction. On se retrouve donc confronté à une violence à laquelle on n’était pas préparé. Pour le dire autrement, ce qui est presque ludique dans un film de Tarantino devient insupportable dans Lebanon. Parce que privé du filtre confortable de l’écran (convention propre au cinéma), le sang et la douleur prennent un autre relief.
Allégorie et portée universelle
Le fait est qu’au-delà des réserves sur ces quelques séquences, on ne peut qu’être impressionné par la rigueur sèche du scénario. La progression dramatique implacable, d’une logique terrifiante, dégage une violence psychologique finalement bien plus forte que les images de morts ou de blessés. Tout à coup, le récit bascule dans la fantasmagorie. Toujours avec une maîtrise étonnante, le film nous emmène aux confins de la folie. Après avoir perdu tous leurs repères, les personnages vivent un moment de confusion proche de la démence. Ce n’est pas du tout spectaculaire (regards perdus dans le vide, propos obsessionnels, gestes convulsifs) mais d’autant plus glaçant. Seul l’instinct de survie le plus enfoui parvient à ramener ces hommes vers la conscience. Et c’est encore plus fort que s’ils avaient totalement sombré.
A ce stade, le film s’extrait du contexte particulier du Liban pour devenir une allégorie de toutes les guerres. Peu importe qui conduit le tank et qui en subit les conséquences : la souffrance, la peur et l’horreur ne connaissent ni nationalité ni frontières. Alors que sur le même sujet Valse avec Bachir interrogeait les fondements de la guerre contre le Liban, et critiquait explicitement Israël, Lebanon n’entre pas dans la polémique et recherche une portée plus universelle que politique.
Pour certains, la question se posera de savoir s’il est choquant de montrer la guerre sous cet angle. S’il est pire de la rendre la plus réaliste possible que de la transformer en spectacle. Toutefois, quelle que soit l’opinion que l’on se fasse en sortant de la salle, impossible de nier la force d’une telle expérience où il y a finalement plus à ressentir et à vivre qu’à regarder. Peut-être Samuel Maoz ne pouvait-il exorciser ses démons qu’en les transmettant à d’autres au travers de cette thérapie régressive. Difficile de savoir s’il faut le remercier du cadeau, mais difficile aussi de ne pas lui être reconnaissant pour cet étonnant objet de cinéma.
MpM
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