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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Far from Heaven (Loin du paradis)
USA / 2002
12.03.03
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TOUT CE QUE LE CIEL PERMET
"- Je sais que ce n'est pas bien parce que je me sens méprisable."
Todd Haynes réhabilite tout un pan du cinéma, le mélodrame sirupeux en écho aux joyaux de Douglas Sirk. Le film est un immense hommage au cinéaste. A l’instar de François Ozon et de son 8 femmes, Haynes s’intéresse à la condition féminine dans les années 50, dans une société engoncée dans les principes, coincée par un système conservateur, protectionniste, alors que les idées et les sentiments semblent aller à l’opposé. Comme Ozon, Haynes traite aussi de "marginalités ", d'"exclusions " : l’homosexualité, le fossé social et le racisme. Ces trois phobies de l’Amérique Wasp entraînent une hiérarchie des rejets : la minorité la moins visible (celle qu’on peut cacher dans le lit, pas dans la rue, à condition d'être respecté financièrement) sera relativement épargnée.
Mais plus que la comparaison avec Ozon, il faut mettre en parallèle les deux rôles de Julianne Moore, celui dans The Hours et son personnage de Far From Heaven. Dans les deux cas elle incarne une mère, frustrée, délaissée, seule, une parfaite ménagère au sourire factice, la voisine idéale, une icône de l’Amérique qui nous vend le frigo pour le lait froid et le dentifrice pour les dents blanches. Dans les deux films, l’image de cette femme bourgeoise et banlieusarde craquelle. Dans le drame de Daldry, son univers se fissure de l’intérieur, jusqu’à quitter sa vie. Dans le mélo de Haynes, ce sont des attaques extérieures qui ébranlent tous ses sentiments. Moore survit mais change de vie. Surtout, on s’aperçoit à quel point elle est malheureuse dans l’imagerie de cette Amérique bien aimée. A quelques années près, elle n’aurait peut-être pas vécu ces drames : elle n’est pas née à la bonne époque pour vivre (et aimer) librement.
Pour dénoncer cette injustice, invivable, cette oeuvre subversive se maquille et se cache derrière une apparence ultra-esthétique. La photo, les costumes, les décors, les couleurs, les lumières font de Far From Heaven un des plus beaux films de ce début de siècle. Dans des tons flamboyants, comme un été indien de Nouvelle Angleterre, et avec des éclairages maniérés, l’oeuvre se distingue des productions classiques grâce à une ambitieuse direction artistique. Malgré la dureté de la charge et la cruauté des événements, tout semble placer sous le signe de l’amour avec ces images " technicolor " à l’eau de rose.
De ces amours impossibles (entre une femme et son jardinier noir, entre une femme et son mari homosexuel, entre ce mari et un amant), naissent des impasses ou des déviations. Il est clair que la notion d’happy ending n’existe pas dans ce monde trop coincé. Tout est trop formaté, et si vous désirez sortir du moule, personne ne vous soutiendra. Le situer ailleurs et à une autre époque, cela n’aurait pas donné le même film, la même fin. Le féminisme, l’égalité raciale, l’affirmation de l’orientation sexuelle ont provoqué des séismes.
Far From Heaven montre que l’amour ne s’embarrasse pas de ces phobies. Au contraire, le film embrasse les passions, nous dévoile les secrets magnifiques de Julianne Moore (exceptionnelle), Dennis Quaid (éblouissant) et Dennis Haysbert (une révélation). Ce mirage de la vie les porte à douter de leur conditionnement, du système, à remettre en question leurs idées préconçues, à s’ouvrir à des théories moins acquises et plus innées. Au final, ce film, sous ses allures de bijou élégant, est un message pour ne pas accepter les voies toutes tracées par d’autres que soi. Une manière élégante et subtile de résister au conditionnement. vincy
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