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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Gangs of New York
USA / 2002
08.01.03
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LES MYSTERES DE NEW YORK
"- Y en a-t-il un seul que tu n'aies pas baisé?
- Oui. Toi!"
A force de médire, reconnaissons au moins que cette oeuvre d'auteur n'est pas formatée par l'industrialisation rampante du 7ème art. On ne sort pas indifférent de cette aventure.
Il y a une volonté de résurrection, d'exhumation dans ce film en tout point scorsesien : les thèmes-obsessions, la ville-décor, jusqu'aux clins d'oeil rappelant ses propres films (la boxe de Raging Bull, le jeu de Casino, les gangs des Affranchis, les chinois de Kundun, ...). Mais cela va bien au-delà de l'album souvenirs. Scorsese a voulu déterrer un morceau de mémoire de l'Amérique pour mieux nous expliquer celle d'aujourd'hui. Comme son héros va chercher son couteau sous la terre, il va fouiller dans le passé de sa ville, récemment meurtrie, dans le seul but de nous renvoyer l'écho de nos interrogations contemporaines.
Car il s'agit bien des fondements de l'Amérique : racisme et immigration, politique spectacle et tricherie électorale, argent et corruption, foi et débauche, peine de mort et guerre fédérale... Tout ce qui a construit l'identité américaine, à travers les strates de l'histoire, est relaté à travers des conflits et des stratégies opportunistes. Scorsese montre malgré tout un peuple barbare, évoluant dans le chaos, et cherchant sa voix entre des racines à peine existantes (en formation même) et un avenir à concevoir.
Clairement, nous ne serons pas étonnés si le film ne séduit pas les Américains. Il n'y a pas vraiment de héros, pas de flatterie patriotique. En revanche, il y a de la volupté, du pêché, de l'hémoglobine et un langage des rues assez cru ("Tu as les lèvres collées au jus de chatte?), de quoi alerter la censure.
Pourtant, la théorie scorsesienne est d'actualité, et déjà énoncée par Michael Moore dans son documentaire Bowling for Columbine. La peur est le moteur pour survivre dans ce monde brutal, elle est l'instrument du pouvoir pour dominer le peuple. Gangs of New York est un drame à la narration shakespearienne, puisant son inspiration dans la littérature française du XIXème siècle : Zola et surtout Hugo, où l'on croise "Les Misérables" (avec les fédéraux tirant à vue contre les "communards") et "Notre-Dame de Paris" (la cour des miracles, pleine de gueux et de déshérités).
Mais, comme eux, le récit de Scorsese pêche par abondance. A force de se vouloir trop riche, d'essayer de tout dire, de ne pas se concentrer sur le destin humain et de nous égarer dans les détails de l'Histoire, l'attention se relâche. L'écriture est la faiblesse de cette épopée romanesque. Elle concerne, principalement, le personnage de Di Caprio. Il devrait être le guide d'une communauté, celui par qui l'intensité du suspens existe, celui qui ne sait plus à quels saints se vouer (les seins de Diaz, son Satan de protecteur ou le souvenir de son père). Mais aucune scène n'impose son charisme et sa vengeance parait accessoire quand vient le duel fatal. Jamais on ne s'attache à lui. Et finalement, quand les tourments l'assaillent, quand les contradictions devraient le ronger, le film se disperse dans les rues de New York. Tout cela plombe l'envol ultime vers l'apothéose apocalyptique que Scorsese a imaginé.
Car le réalisateur a rêvé d'un opéra tragique. Dès que la guerre civile se déclenche à New York, il montre sa maestria de chorégraphe des images (merci Thelma Schoonmaker!). La ville se vide de son sang, brûle de rage, fait sécession. Ici l'arme blanche ampute, mutile, tue. Comme cette larme de rasoir qui introduit le film, rase de près, entaille, pour mieux se maquiller de sang. La chair n'est rien d'autre que celle de futurs cadavres. La première bataille est impressionnante de modernité et de bestialité. Tout le film repose sur cette cohérence artistique où l'être humain est périssable, mortel, cible facile pour les blessures, combat à mains nues ou exhibe ses cicatrices. Une époque dure.
Heureusement, il y a de l'ironie, et même de l'humour (notamment dans le couple maladroit que forme Diaz et Di Caprio). Mais il n'y aucune passion, rien de torride. Tout est à l'image de ce bien nommé William Cutting, expert en lames et en découpage. Daniel Day-Lewis incarne magnifiquement ce personnage qui aurait pu être bouffon ou pathétique, et qui n'est jamais avare de paradoxes. Dans la plus belle scène du film, il se confesse à Di Caprio, dans la petite lueur du matin. A lui seul il incarne son monde, qui s'écroule, et véhicule, jusqu'à son dernier coup d'oeil, l'émotion tant espérée : "Je ne dois dormir que d'un oeil. Et je n'en ai qu'un."
On comprend mieux le choix de Leeson pour les petites scènes du début. Il fallait bien un autre monstre du cinéma pour se souvenir 3 heures plus tard de cet écho différent de l'Amérique. Day-Lewis et Neeson sont unis à jamais côte à côte, comme pères fondateurs d'une civilisation qui n'a pas su choisir son peuple mais que son peuple a élu. Ils sont les faces d'une même pièce. Si le fédéral arrive au secours de cette future métropole déboussolée, c'est davantage qu'un symbole. Tout comme Day-Lewis le natif et Neeson l'immigrant sont mis en parallèle aux tours jumelles du World Trade Center, conservées malgré les événements, comme ultime image, Scorsese n'a pas voulu choisir l'un ou l'autre.
Comme pour se remémorer ceci : l'histoire de l'Amérique ne s'est pas arrêtée à une guerre ou des morts, mais au contraire en se bâtissant avec leur sang, celui qui arrose le sol. Droit du sang contre droit du sol : la question fait toujours et encore débat. L'Histoire, là, reprend le dessus. L'Homme revient à ses misères. Nous ne sommes pas grands chose. Ces émeutes, ce métissage cosmopolite, cette envie de liberté ont donné naissance à "un beau bordel à l'américaine." Une profession de foi pleine de symbolismes, et qui marquera les esprits. vincy
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