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RENDEZ VOUS AVEC LA MORT
"-Ne l'encouragez pas!"
Derrière ce drame policier subtil, maniant l'humour noir, Robert Altman dépeint avec précision, et même perfectionnisme, une lutte des classes qui a du panache.
Toute en fluidité, sa réalisation passe d'une chambre à l'autre, descend les étages puis les remonte, scrute les visages des nobles puis ceux des domestiques. Un portrait magnifique, filmé comme une chorale, d'une société anglaise reclue sur elle-même, et ses traditions. Gosford Park illustre ainsi la quintessance de ces films de troupe qu'affectionnent particulièrement le réalisateur de MASH, Un Mariage, The Player et Short Cuts. Les destins s'entremêlent, les espoirs s'entrecroisent. Derrière chaque personnage, il y a un drame, une vie, une douleur ou même une lucidité. Altman filme la vie et ses mouvements, ses souffles, et ce, sans effets. Nulle part. L'assassin est presque virtuel. Le sexe n'est qu'allusion. Il n'y a aucune envolée dramatique. Aucune justice immanente. Même si l'univers emprunte à Agatha Christie, avec un flic burlesque, les différents tableaux fournissent un portrait au vitriol des relations humaines, et de leurs hypocrisies. En fait Altman utilise le cadre d'un meurtre pour le dépasser et tisser une toile où tous les destins varient sur la fin. Derrière les apparences, les masques tombent lentement évoquant le succès, l'échec, la ruine, le rêve, la métamorphose...
L'ennui est absent. Mieux que n'importe quel soap opéra, cette opérette de chambre est un ballet où chacun a une partition admirable à jouer dans un labyrinthe dont les méandres sont essentiellement les parois d'une psychologie nuancée. Les comédiens sont merveilleux, contrastés, plaisants, cyniques. Ils incarnent leurs failles. Et le meurtre ne fait que les revéler, et même réveiller leurs démons. On songe évidemment fortement à La Règle du jeu. Plus récemment, et de manière plus lointaine, à 8 femmes, où le crime n'est là que pour exalter la vérité. De propos acerbes en répliques cinglantes, de dialogues légers et humoristiques en situations cocasses, Altman n'est jamais aussi bon que lorsqu'il torturre par un peu de ridicule et de méchanceté ses "héros" qu'il affectionne.
Gosford Park est un miroir sur l'étranger, la fascination, l'argent, la sexualité, les secrets. Il y a une folie silencieuse pesant sur ce brouhahas de conventions. Il y a beau avoir les planchers, les murs, les escaliers, tout se sait, tout s'entend, tout se murmure. Tout se mélange.
Lorsque le château se vide, c'est une époque qui disparaît, c'est un Empire qui décline. Une façon de vivre qui s'éteint. Dans un clip de Travis, cette aristocratie se jette poulpe et crustacés de façon trash à la tête. Altman n'a pas besoin d'en arriver là. Avec un style parfait, une élégance sublime, il entredéchire les riches, réconcilie les pauvres et renverse du café brulant sur le personnage qui aura osé avancer masqué. Un cruel jeu de vérité où le régal verbal est à la hauteur des perfidies du regard. Un assemblage qui aurait pu s'écrouler comme un château de cartes, et qui prend ses fondations dans un scénario de maître, où les personnages dominent l'intrigue, dévoilant la jubilation d'un spectateur face à un chef d'oeuvre. vincy
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