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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Girl with a Pearl Earring (La jeune fille à la perle)
/ 2003
03.03.04
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PERLE ARBORE
"- Je l'inscris sur l'ardoise : Griet doit un sourire."
C'est imperceptible. Invisible. La beauté n'excuse pas tout. Le charme est indéniable et vous happe jusqu'à la fin de ce film sombre et froid. Effroi. La Hollande n'a rien d'ensoleillé. Les seules lumières ne peuvent provenir que des êtres humains, qui eux, de sang et de passions, fusent dans tous les sens.
Tel un tableau vivant, nous voyons nous animer, non pas la création d'un chef d'oeuvre (contrairement au Goya de Saura) ni même l'introspection de l'artiste (à l'instar des biographies en images de Van Gogh et Pollock), mais les personnages et l'atmosphère qui régnaient autour du peintre, comme autant de sources d'inspiration.
Dès le premier plan, nous savons que le film cherchera la perfection. Avec cette belle manière de présenter un plat, la jeune fille sans la perle transforme la nourriture en nature morte. Les couleurs et le soin apporté au cadrage rendent cette histoire de misérable fille arrachée à sa femme, servante logeant dans la cave, plus proche d'un tableau de Vermeer que d'un film de Ken Loach.
Le visage innocent et pâle de Scarlett Johansson (évidente et à sa place) contraste avec l'ombrageux caractère de Vermeer, incarné par le fade Colin Firth (dont on ne s'expliquera jamais la carrière). Mais, au delà, c'est un magnifique portrait de la ville de Delft, joyaux de la Hollande, capitale de la porcelaine peinte. La reconstitution est plus que crédible et contribue à ce voyage dans le temps réussi. Même si l'on peut reprocher les ellipses sur le rapport des classes et l'absence de détails sur les problèmes de religion, Peter Webber parvient à être plus attentif et plus précis sur la relation de l'artiste avec l'argent, en l'occurrence son mécène. Dans cette atmosphère aux mélodies "Glassiennes", les meubles, les objets les paysages et la vie citadine offrent un décor somptueux. Les larges plans du cinéaste, généreux, nous emmènent dans un voyage vertigineux où nous plongeons dans les toiles des maîtres exposés, figés dans les musées.
Mais Webber s'aventure aussi dans une mise en abîme entre ce qu'il nous reste (le tableau) et ce que l'on peut s'autoriser à imaginer. Le vrai se mélange aux hypothèses. Comme l'image piégée dans la chambre noir dicte à Vermeer ce qu'il doit peindre, les oeuvres de l'artiste lui disent quoi filmer. On ne peut qu'aimer.
L'alchimie des matières donnent ainsi une sorte de making of documenté d'une toile d'il y a 5 siècles. Nous sommes fascinés par les préparatifs - d'un tableau ou d'une tablée. Tout cela est histoire de recettes. Le peintre aimait fantasmer. Et nous en profitons. Firth aurait pu apporter un peu plus de profondeur, comme Vermeer était maître des gestes et des regards avec son seul pinceau. La psychologie de tous les personnages est très bien étudiée. Mais celle du peintre manque d'épaisseur.
Comme un tableau, un film est un art subtil où chaque scène peut déséquilibrer un film. Ici la chaise a bien été effacée du brouillon. Et le réalisateur n'a pas eu à s'appesantir sur les seconds rôles, qui existent sans trop de mots. Au milieu des perversions et des maléfices, émerge aisément la belle et sensible histoire d'attirance entre le peintre et son modèle, virginal. La distance nous semble immense et pourtant les coeurs battent, les lèvres frémissent, les yeux se détournent. Quand il lui perce l'oreille pour lui enfiler cette jolie boucle, le sang coule, comme si l'hymen avait été craqué.
Voilà à quoi ressemble le film, une touche impressionniste sur une époque qui ne connaissait pas son prix aux enchères (hormis les tulipes). "Ce ne sont que des tableaux, des marchandises, sans valeurs sentimentales". Le propos sonne étrangement aujourd'hui quand on connaît le coût d'un tel tableau, l'attachement des citoyens à ce patrimoine. Cette jeune fille anonyme a traversé les siècles et le cinéma lui rend hommage, aussi fragile et beau qu'une perle. vincy
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