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Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Bébé Tigre
France / 2014
14.01.2015
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BABY LONE
« - J’étais tombé en scooter l’autre jour.
- Ouais, c’est ça. Et moi je suis Rihanna. »
Bébé Tigre n’a rien de candide malgré son titre. Ce premier long métrage de Cyprien Val sonne plutôt comme la perte de l’innocence. Le plongeon dans le grand bain. Celui du réalisateur comme celui de son personnage principal. Film réaliste et social en apparence, Bébé Tigre nous emporte pourtant dans son dynamisme, engendré par une mise en scène énergique, une bande son magnifique et un acteur principal irrésistible.
L’atmosphère n’incite pourtant à aucun optimisme. Les conditions de vie d’un immigré clandestin amènent davantage la dureté que l’action. Mais ce mineur du Penjab, sans papiers, a l’occasion de s’intégrer, seul, loin des siens, dans un monde complètement étranger. Lycéen de la Cour de Babel, il assimile doucement les us et coutumes de son pays d’accueil tout en essayant de ne pas renier sa culture d’origine. En se scindant en deux, il prend le risque d’être nulle part. Ni étudiant promis à ses rêves d’emploi dans les chemins de fer, ni fils devant envoyer de l’argent à ses parents, ni même employé au noir s’affirmant progressivement comme homme de confiance. Il lui faudra faire un choix. Arrêter la spirale infernale qui l’a conduit dans une série d’impasses. Ce jeune homme est piégé parce qu’il ne veut pas faire de choix, parce qu’il ne peut pas vivre sa vie comme il l’entend. Il lui faut un bac général et de l’argent et ne pas perdre son honneur. De la difficulté d’être déraciné, le cinéaste parvient à faire le portrait d’un jeune homme qui se fout du code du travail, enrage des absurdités administratives, et aspire à une meilleure vie.
De quoi créer de nombreuses situations dramatiques et même une tension dans un récit qui n’en demandait pas tant. Mais pour le spectateur, le résultat est un régal. Car c'est aussi un film engagé, derrière son récit à la fois romanesque et social. Avec un regard véritable sur la jeunesse immigrée qui ne demande qu'à être reconnue et respectée, sans naïveté et avec réalisme, Cyprien Val construit son film comme un suspense social, où l'émotion est loin d'être absente. Il a trouvé en Harmandeep Palminder, jeune garçon fascinant à la beauté magnétique, un acteur idéal pour incarner l'ambivalence des situations, subies ou choisies. L’acteur transcende ce film, parfaite photographie d’une France métissée et travailleuse, rigide et précaire. En 87 minutes tout est dit, montré. La musique, grisante, donne des accents contemporains punchy à ce récit moderne et universel.
Gravitent autour des personnages secondaires empathiques, des bandes de filles (mention particulière à la petite amie), de gars, des bobos et des requins. Pas étonnant que le personnage masculin bascule d’un mur (La France) à l’autre (sa majorité approchante), se cognant aux règles des uns, aux lois des autres. Il déraille, s’isole. Au fil du film, le réalisateur privilégie l’émotion à la tension, la détresse à l’espoir. Entre justice et trahison, le dilemme cornélien du final s'achève et nous convainc. L’histoire est déjà vue, mais la manière dont il la raconte, dont il filme cette jeunesse, ces quartiers agités par les jobs invisibles, ce cosmopolitisme démographique, est suffisamment personnelle pour que le point de vue nous séduise.
Cyprien Val a réalisé une excellente réponse à ceux qui croient que la France est en train de suicider. Son Bébé Tigre, sans griffures ni morsures, montre bien par sa seule force à quel point le pays est empli de vitalité.
vincy
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