Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Les châteaux de sable


France / 2015

01.04.2015
 



LA BRETAGNE DE L’ÂME





«- The Cheminée is great.»

Les châteaux de sable n’est pas que le titre d’une chanson de Georges Brassens. L’ombre du conteur anar a beau planer dans ce ciel breton aussi variable que les humeurs des personnages, il s’agit ici de constructions fragiles qu’une simple vague peut effacer. La vie d’un homme (le père, mort), de sa fille (perdue sans son rempart paternel), de l’ex (qui se croit protéger dans son nouveau château, avec une princesse blonde sage et raisonnable) : tout est friable, exposé aux vents et marées.

Olivier Jahan résume tout en citant le poète suédois (et nobélisé) récemment disparu Tomas Tranströmer : la lecture d’un extrait du poème « Le couple » synthétise son film :
« Ils éteignent la lumière et son ombre blanche
luit un moment avant de se dissoudre
comme un comprimé dans un verre d'obscurité. Puis vers le haut.
Les murs de l'hôtel s'élèvent dans le ciel noir.
Les mouvements de l'amour se sont installés, et ils dorment mais leurs pensées les plus secrètes ne se rejoignent que lorsque deux couleurs se rencontrent et s'écoulent l’une dans l’autre.
sur le papier mouillé d’une peinture d’écolier.
Il fait sombre et silence. Mais la ville s’est traînée encore plus près ce soir. Avec des fenêtres détrempées. Les maisons se sont rapprochées.
Ils se tiennent tout près en une foule, une attente,
une masse dont les visages n'ont aucune expression.
»

Cela peut paraître sombre, mais au final Les châteaux de sable est une déclaration d’amour, une réconciliation des âmes, un film lumineux. Et léger.
Avec son ton atypique – voix off, photographies en noir et blancs (superbe travail de Frédéric Stucin), apartés face à la caméra, le fantôme du père, textos incrustés – le scénario de Diastème et du réalisateur offre la part belle aux sensations, aux émotions et, bien entendu, pour les traduire, aux comédiens.

Malgré leur mélancolie, leur culpabilité toujours très présente, les personnages sont bien en vie. Il naît de ce terreau salin, au goût amer (mais pas aigre), une douceur et une drôlerie inattendues. En agente immobilière, l’épatante Jeanne Rosa incarne parfaitement cette dualité où d’un regard, d’une expression, elle passe de l’insondable tristesse intérieure à l’optimisme « d’une socialiste bretonne » qui ne se décourage pas. Ainsi elle chante L’Orphelin (de Brassens, toujours) dans une crêperie, sans se douter de la douleur des paroles, oubliant que sa cliente (Emma De Caunes, parfaite en femme qui se croit encore enfant) n’a plus de parents :
« Sauf dans le cas fréquent, hélas !
Où ce sont de vrais dégueulasses,
On ne devrait perdre jamais
Ses père et mère, bien sûr, mais
A moins d'être un petit malin
Qui meurt avant d'être orphelin,
Ou un infortuné bâtard,
Ça nous pend au nez tôt ou tard.
»

Avec cette succession de scénettes attachantes, de petits moments de grâces, de discussions et situations cocasses avec des potentiels acheteurs névrosés, Les châteaux de sable charme, sans esbroufe. La banalité est érigée en haïku. Ces poèmes japonais qui ne vont qu’à l’essentiel, sans s’attacher au sens rationnel de l’enchaînement des mots.

Derrière ce style qui éclaire l’intime, le film dégage un esprit plus universel qu’on ne le croit. Réparer les erreurs du passé n’est pas une mince affaire et reconquérir l’homme de sa vie n’a jamais rien de simple. Yannick Renier, terriblement sexy, joue le preux chevalier qui se méfie d’une princesse dont il connaît trop les défauts. On en revient aux couples, qui se font et se défont, comme des enfants qui croient que leur château de sable résistera au léchage de l’océan. Nul ne sait ce qu’il adviendra d’eux. Mais le passé est - définitivement ? - derrière eux. Ils doivent construire leur propre donjon. Ils ont posé les masques une minute parce que le temps passe.

Parfois poignant, touchant au cœur (d’ailleurs la scène ultime de Jeanne Rosa crève nos cœur), le film nous promène tout en restant quasiment immobile dans cette grande bâtisse chargée de souvenirs. On a beau la retaper, faire le jardin, y vivre de bons moments : ce n’est qu’un cadre. Tout ramène au père. Les bras des autres hommes, le champagne qu’il n’aimait pas, les livres, … Il fallait la vendre pour larguer les amarres et « voguer » de ses propres ailes.

Magnifique idée que de donner le rôle du père à l’auteur, compositeur, interprète Alain Chamfort, à peine maquillé, bien ridé, sensible comme il faut.
Et si l’on devait résumer les impressions du film, il suffirait de les mettre en abyme avec un collage des titres du chanteur:
« Le temps qui court
Comme si c’était hier
Je pense à elle, elle pense à moi
Je t’appelle mélancolie
L’infidèle
Les muses
Traces de toi
La fièvre dans le sang
L’ennemi dans la glace
Seul à la fin
Souris puisque c’est grave
».

Car justement, la beauté c’est d’avoir pu sourire malgré la gravité du sujet.
 
vincy

 
 
 
 

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