Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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Lost in Translation


USA / 2003

07.01.04
 



LA FILLE AUX CHEVEUX ROSES





" - Je fuis ma femme, j’oublie l’anniversaire de mon fils, je palpe deux millions de dollars pour une pub de whiskey au lieu de jouer au théâtre."

In the Mood for... nul ne saurait le définir cet état flou qui borde les contours de l’amour et de l’amitié, de l’infidélité et de l’attachement. Pourtant le même état latent, imbibé d’amertume, de séduction et de liaison impossible, nappe ce second film de Sofia Coppola, la fille de. Clairement, celle-ci n’est plus la vierge au premier coup d’essai, le cultissime Virgin Suicides. Ici les anges sont déchus. Dans une oeuvre évanescente et très esthétique, l’intime se dévoile par des anecdotes et des instants absurdes. De cette confrontation entre un blues indicible et un humour perceptible naît l’un des films les plus aboutis, les plus drôles et les plus subtils de ces dernières années.
Car Coppola exile son cinéma et y transpose sa vision du monde dans l’un des rares endroits encore insolite de la planète : Tokyo. The far side of the world. Son film abandonne ce grain pâle et terne des productions indépendantes pour une beauté glaciale, transparente, lumineuse, colorée, toute en vitres et miroirs, en éclairages d’ambiance et néons artificiels. Il faut remonter à Black Rain pour avoir une telle vision de cette capitale. Car la nuit, où commence ce voyage intérieur, est illuminée, préparée pour nos hallucinations hypnotiques. Le film est aussi beau que ce nuage sur un écran plasma, aussi original que ce dinosaure en mouvement s’exhibant sur la façade d’un gratte-ciel.

Mais ce décor à la fois uniforme (un hôtel occidental de luxe) et singulier (les palais de Kyoto) n’est que le support aux déboires de l’Homme moderne, coincé entre des mariages qui ne fonctionnent pas et des gadgets prêts à vous pourrir le quotidien. Le macro et le micro s’emmêlent les pinceaux pour nous montrer la vanité des uns et les actes vains des autres. Parfois pour notre plus grand plaisir tant la performance de Bill Murray est à la hauteur de son talent "dramaticomique". Le film est quasiment un "mockumentary" sur le comédien. Stupeurs et tremblements sont de mise devant de géant du cinéma américain qui, ici, livre, de quoi fournir de grands moments hilarants - le tournage de la publicité, par exemple, ou encore la scène de la geisha. Car l’intelligence de la cinéaste empêche d’en faire trop. Il y a juste la dose nécessaire pour vous rendre accro et vouloir le revoir.
Parallèlement à cet acteur has-been, soumis aux choix de sa femme (la couleur de la moquette) et de son agent (une émission débile de la TV locale), nous suivons une jeune touriste américaine larguée dans le métro, lâchée par son mari occupé à ses photos, libre dans Tokyo. Oie blanche en culotte couleur de chair, elle est l’étendard du regard de la réalisatrice, se moquant - férocement - ainsi du show biz, fraternisant avec la jeunesse matérialiste et superficielle du coin, observant les lecteurs de mangas violents et cherchant un sens à sa vie dans un voyage éclair à Kyoto (avec musique de Air pour souligner l’importance de ce détour hors de Tokyo). Johansson - dont le premier plan sur sa culotte rose fait écho à Lolita - parvient sans difficultés à être davantage intense que la bimbo hollywoodienne en promo. Car, on le sent, on le sait, son physique de gamine douée se posant trop de questions ("Tu sais tout le monde n’a pas fait Yale"), la rend bien plus désirable et intéressante que la plupart des clientes de ce Palace. Clairement, le strass est méprisé au profit de l’échange humain. Ce fameux no man’s land où tout peut arriver.

Durant ce long ennui des nuits blanches où le décalage horaire vous plonge dans un réveil paradoxal, où votre tête est encore chez vous tandis que le corps est déjà ailleurs, tout vous transporte dans une aventure sans nom, intérieure le plus souvent. Le burlesque fait alors place à la déprime, aux dialogues, aux non-dits aussi. La grande force de Lost in Translation est de nous faire comprendre ces silences et de nous les rendre attachants, proches, et parfois même universels.
Dans ce cirque qui nimbe nos quotidiens, foire citadine (enrobée de pop musique) ou numéros pour vendre des produits culturels ou commerciaux, les personnages ne cherchent qu’à combler leur ennui. Le divertissement n’est pas "entertainment" mais bien une manière de divertir ses pensées sombres vers des éléments plus euphoriques. Comme des drogues. L’adolescence des êtres accompagne parfaitement cette légèreté (d’autant que la chimie opère entre les deux insomniaques). Mais face à ce monde sans âme, insensé et déluré, dans une ville où l’on parle français, japonais, anglais, allemand, les adultes éprouvent de la difficulté à communiquer, à exprimer ce qu’ils ressentent. La pesanteur vient de cette impuissance à franchir les limites construites avec l’âge.

Lost in Translation laisse une saveur âpre et nostalgique, où l’on regrette Fellini et où l’on succombe au Karaoké. Il faut bien s’intégrer, aller vers l’autre. Dans ce Japon qui nous semble si excentrique, deux terriens en détresse que l’éloignement de leurs conjoints rapproche s’unissent dans leur solitude. Peu banale et tout à fait normale, la morale permettra aux deux de se réveiller et voir Tokyo de jour. Durant cette semaine noctambule, ces deux funambules nous auront incités à traduire leurs envies, leurs gestes, leurs souvenirs, sans avoir besoin de connaître une autre langue que celle du cinéma. Mélancolique ou sentimental, le spectateur voudra revoir ce film remplit de grâce. Non pas pour s’assurer de l’avoir bien traduit mais pour s’y perdre une fois de plus. Y perdre son Japonais. Et s’asseoir de nouveau, pour son plus grand délice, sur cette chaise à Tokyo. La ville qui ne dort jamais.
 
Vincy

 
 
 
 

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