Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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D'autres mondes (Other Worlds)


France / 2003

30.06.04
 



TROIS PETITS TOURS ET PUIS S’ENVOLE





« En portant ce verre à mes lèvres, je ne savais pas encore que je m’étais embarqué dans un voyage sans retour »

On pouvait s’attendre à un épilogue de Blueberry. « Bienvenue dans l’autre monde » : Jan Kounen nous pré-invitait déjà au voyage avec cette réplique, énoncée à deux reprises en final de son western mystique. En réalité, d’un point de vue explicatif, force est de constater que D’autres mondes aurait pu constituer un vrai prologue à Blueberry. De quoi nous éclairer entièrement sur la part très autobiographique de cette histoire. Car c’est bien de cela dont il s‘agit : les quêtes et découvertes spirituelles d’un réalisateur. Forcément partiales et à double tranchant ; son documentaire étant articulé autour de ce sujet quelque peu sensible : la consommation de plantes hallucinogènes. Cap sur leur pouvoir thérapeutique en termes neuro-psychanalytiques. Pas gagné d’avance et difficilement convaincant ! Kounen avait donc tout intérêt à rationaliser son message, l’étoffer et l’actualiser par quelques apports scientifiques. Chose faite ; en partie, du moins.
Point fort de cette aventure peu ordinaire : l’implication très personnelle de Jan Kounen. Images et confidences à l’appui, les pensées, convictions, aspirations et ressentis du réalisateur occupent ici une place de premier choix. Curiosité, quête initiale, intimité corporelle et psychologique : Jan Kounen se met entièrement à nu, quitte à apparaître sous de mauvais jours. Qu’importe. Sa sincérité orchestre le film de A à Z. De quoi capter notre attention, dès les premières séquences. Suivant cette même logique le réalisateur banalise et actualise son discours quelques peu hors normes. Vecteur privilégié : D’autres mondes nous dévoile le chamanisme d’un point de vue ancestral comme contemporain. Codes littéraires, cinématographiques, télévisuels, références sociologiques : de la mise en scène aux propos, Jan Kounen entremêle cinéma du réel, épurée de toute artificialité, et conception mystificatrice. La recette fonctionne, tant qu’elle reste bien dosée.
Images, commentaires et montage très journalistiques, construction à la manière d’un carnet de voyages daté sur quatre années, lumières sur le quotidien très ordinaire des Shipibos (vie familiales et sociales quasi occidentalisées) : Kounen relativise. Interviews de la communauté scientifique internationale, parallèles inter-disciplinaires (histoire, théologie, anthropologie, philosophie, psychanalyse, neurologie et génétique) : Kounen argumente. D’autres mondes est construit et hiérarchisé avec un souci de réalisme permanent, y compris dans les images inédites de cérémonies et témoignages de « patients ». Ce, jusqu’à référence à Descartes. C’est dire combien le réalisateur a minutieusement affiné son discours. Certaines informations interloquent. D’autres, moins originales ou novatrices, n’ont pas grande valeur éducative mais parviennent à soutenir les propos du réalisateur. Le coup classique ! Surtout lorsqu’on s’attaque aux mystères non résolus par la science, avec une préférence pour des domaines relativement jeunes, tels que la neurologie et la génétique. Un peu facile, mais on en s’accommode puisque, au final, certaines hypothèses qu’avancent Kounen et ses intervenants paraissent recevables. Ainsi, D’autres mondes reste en quantité de points didactique. Problème : sa validité documentaire dépend d’un rééquilibrage constant entre informations rationnelles et faits tangiblement inexplicables. Au fur et à mesure qu’on avance dans le récit, la subjectivité de Kounen prend le dessus.
Matérialisant à maintes reprises ses propres hallucinations, dites soignantes, par des images numériques psychédéliques (similaires au final de Blueberry), le réalisateur jète un certain discrédit sur son discours. Spirales hypnotiques, rosaces multicolores kitchs, reptiles flottants : ces longues démonstrations d’anaconda et crocodile power dissonent avec le reste du film. Ces séquences conjointes au témoignage de ce scientifique qui, dans un élan de nostalgie, retrace son expérience des champignons hallucinogènes (un unique repas dans sa jeunesse ; soyez rassurés !)… Notre plaisir de découvrir cet autre monde d’un point de vue anthropologique est ici quelque peu gâché. Apogée du documentaire : en deux temps trois mouvements, Kounen se débarrasse d’un lourd sujet, pourtant latent à chaque seconde : les dangers avérés de ces pratiques. Un thème logiquement incontournable qui, développé, aurait pu crédibiliser son propos final. En guise d’avertissement, le maître chaman nous rappelle brièvement que l’usage de plantes psychotropes nécessite compétences et prudence. Le réalisateur, quant à lui, évoque, presque banalement, une cérémonie ayant mal tourné. Conséquences pour lui : une semaine de schizophrénie. Pas moins que ça ! Pas plus, également : on n'en saura pas davantage. Manque de recul ? Sans doute. On tourne autour du pot ; certaines limites apparaissent. Dans leur sillage, une évidence : D’autres mondes s’en tient à un discours trop unilatéral. Nombre de questions restent en suspens ; c’est bien dommage. Un traitement plus dialectique aurait permis au film de gagner en qualité.
 
sabrina

 
 
 
 

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