|
Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
|
|
|
|
|
Pourquoi (pas) le Brésil?
France / 2004
15.09.04
|
|
|
|
|
|
SUJET, EGO
"- Elle est déçue. Par lui? Par l'amour? Par le sauté de veau?"
Le défi de Laetitia Masson était d'adapter un livre inadaptable. Le défi du critique sera de parler d'un film inexplicable. Nous sommes ainsi au confluent d'un cinéma de sensations et d'une réflexion purement abstraite sur le cinéma. Si je devais être fidèle au film, au livre, il faudrait que je vous raconte aussi ma vie, afin de comprendre les causes de mon affection pour cet oeuvre passionnante de la cinéaste. Angot dit (au Café Beaubourg) : " On peut tout à fait vivre sans préserver les secrets. Je hais les secrets." A l'instar de Laetitia Masson, je ne crois pas. C'est pour cela qu'elle s'est appropriée son sujet en se démarquant du matériau d'origine. Si sa démarche initiale était d'aller vers la même honnêteté que l'écrivain, son oeuvre finale, toute aussi intègre, tend un miroir sur elle-même, et non pas sur Angot.
La fidélité
"Pour moi, la vraie fidélité au livre de Christine, c'est retrouver les vraies émotions" espère-t-elle. Admirable challenge pour cette cinéaste qui revendique haut et fort son unique tourment : parlez d'amour. L'amour et toutes ses variations sur le même t'aime : du speed dating ("J'ai rencontré sept types. Personne ne veut de moi. De toute façon, je suis mariée.") au fantasme (le pédiatre). L'amour conjugal et l'amour à construire. Masson n'a jamais filmé que des femmes libres, paumées, égarées, qui courent après un idéal inaccessible. C'est encore le cas. Et là, il me faut vous parler de la mise en abîme de trois femmes. Zylberstein joue Masson et incarne Angot. Masson fait comme Angot. Et Angot est elle-même. Jeu de miroir où l'on ne se perd jamais, où personne ne se trouve, où, le "je" du miroir regarde celui qui joue.
"Est-ce que tu peux comprendre ce que je veux dire ou pas du tout?" Ce n'est pas grave. Il faut voir le film. Moi, je dois vous expliquer pourquoi.
La trahison
En fait, la référence cinématographique c'est Adaptation, de Spike Jonze. L'adaptation impossible d'un best-seller par le scénariste où l'on suit son parcours en "faux" réel. Le film devient ce que le scribouillard vit. Ici, dès le prologue hilarant (et cynique) sur la dure réalité de son métier (et de son milieu), Masson part de son nombril, le 7ème art, pour établir, au final, une analyse de ce qu'est son art, et surtout de la manière dont il doit manier avec prudence certaines adaptations littéraires.
Adapter Angot, ce n'est pas faire un film à partir du livre, c'est faire un film qui ressemblerait au livre. Nuance. Laetitia se filme, ou plutôt elle filme une vie qui semble être la sienne (mais qui ne l'est pas puisque ce n'est pas son mari qui est à l'écran), et offre un simulacre fascinant. "En fait, vous en profitez pour parler de vous", comprend tardivement le producteur (Bernard Le Coq, parfait en imitation d'Alain Sarde). De 10 000 euros de découvert (et l'urgence de le combler) à la résignation d'une commande, Masson en profite surtout pour imposer ses vues à ce producteur prêt à formater à tout prix, et qui la nargue avec des délices dispendieux dans ce glacial Hôtel K des quartiers chics de Paris. Dans cette équation impossible (livre inadaptable, trahison morale obligée, manque de fric), la réalisatrice va utiliser ses propres moyens pour proposer au spectateur un résultat personnel, convaincant, intelligent.
La repentie
Difficile à écrire (et aussi à décrire). La narration agit comme un hyperlien intellectuel où les personnes, les vraies et les comédiens qui les incarnent, échangent les rôles. Masson devient Zylberstein qui finalement vit Angot. Mais au delà de ça, c'est le portrait narcissique d'une cinéaste qui sort d'un fiasco monumental (La Repentie, avec Adjani), qui vit un désamour avec son environnement : "- J'ai pas vu vos films.- Vous n'êtes pas le seul."
Dans cet exercice narcissique, elle se sent contrainte à créer une distance. La peur de se dévoiler. La certitude de ne pas pouvoir aller aussi loin qu'Angot. Elle lui est bien fidèle, mais elle impose une retenue. L'émotion n'arrive jamais. La jouissance de Masson, à l'inverse d'A Vendre, très physique, très cinématographique, est ici cérébrale. Cela n'empêche pas son film d'être romantique, entre ce désespoir de ne pas aboutir à une fin heureuse, et cette observation impliquante qui lui permet d'agir sans se soucier des autres. D'ailleurs beaucoup passeront à côté.
Maso ou pervers?
Dans ce métissage de fiction et de réalité, entre cocasseries (chacun s'écoute parler et ne comprend rien à ce qu'il dit) et masochisme (le discours de Francis Huster est hallucinant de violence à l'encontre de son projet), la cinéaste s'interroge avant tout sur le cinéma, son métier, et ce qu'il essaie de montrer. On frôle Godard, ouvertement cité. On en conclut qu'il est vain d'adapter un roman, que le cinéma n'est pas littérature. Et pourtant Masson est parvenue à adapter philosophiquement ce livre d'Angot introspectif, intime. Car elle s'est posée toutes les bonnes questions. Parce que sous ses apparences de film improvisé et aventureux, Pourquoi (pas) le Brésil? est en fait très étudié, complètement réfléchi (dans les deux sens du terme). Il y a ceux qui cherchent des produits pour TF1 (Sarde : "- C'est un magma incompréhensible de mal de tête.") et les autres qui préfèrent se lancer dans ce vide existentiel, ce pur plaisir de spectateur cherchant l'inattendu. L'intelligence ne faisant pas tout, Masson est maligne et insère les mélodies mélancoliques, la voix un peu éraillée, les jolis mots et le son des cordes de Benjamin Biolay pour nous envoûter et rendre le périple moins aride, plus séduisant. Le visage gracieux d'Elsa Zylberstein fait le reste. Ce film doit surtout être vu puis être discuté. C'est une question qui est posée. La réponse est en chacun de nous. Si la littérature n'en finit plus d'explorer l'intime, alors le cinéma commence tout juste à découvrir la pensée. vincy
|
|
|