CRITIQUE

ABSOLUT JEDI
"- Exécutez l'ordre 66!"

Star Wars restera pour beaucoup une trilogie des années 70 et 80, avec tout son aspect fédérateur, candide, ses effets spéciaux - pour l'époque - prodigieux et ses mondes inexplorés remplis de bestioles. Une trilogie qu'il faudrait désormais revoir après les trois épisodes des années 90-2000, si nous étions respectueux d'une chronologie inventée. La déception (Episodes I et II) était à la mesure de l'attente, ou disons du bulldozer marketing, avec des mondes robotisés, une image lisse, une absence de dérision, et des scénarii sans intérêt. Certains parlent alors de "navets". Mais dans la salle cannoise, pour l'avant première mondiale du III, les fans étaient là. Chauffés à blanc. La foi vissée à leur corps, imitant cris de Chewbacca et applaudissant à l'apparition du logo de leur Dieu, Lucasfilms Ltd. Les premières notes de John Williams emportèrent leur ferveur... Et deux heures dix plus tard, leur exaltation se mua en orgasmes et bravos; ils venaient de voir l'image qu'ils attendaient depuis des années, l'image promise : le casque de Darth Vador, luisant et beau comme un sou neuf, filmé comme un vaisseau spatial qui atterrit, se scellait au visage d'un Anakin Skywalker brûlé vif par les flammes de l'enfer. A tout jamais.
De l'art d'être juste
Pas de mauvais pressentiment à avoir. La revanche des Sith est le film charnière de ce nouvel ensemble. Le plus réussi d'un point de vue dramatique. Lucas, très à l'aise dans les séquences d'action (essentiellement des duels au sabre), a aussi rendu le propos politique et les intrigues manipulatrices très limpide. Cette passerelle vers l'épisode IV est même beaucoup plus cohérente que les deu premiers opus réunis. On y retrouve de l'humour (Obi-Wan, R2D2 qui a de véritables morceaux de bravoure), des symboles (le squelette de l'Etoile Noire, le costume de DV, les deux jumeaux, Chewbacca qui protège Yoda). Le script fonctionne sur un mode classique mais efficace, mettant en parallèle deux situations simultanées : deux duels le plus souvent, accentuant la dramatisation des événements. D'autant que les combats sont souvent entrecoupés de dialogues, puisqu'il s'agit d'affrontements décisifs et définitifs entre chefs. De beaux loopings de vaisseaux s'ajoutent à la maestria technique (avec une petite réserve sur les explosions qui semblent plus issues d'un cartoon).
Après tout, le premier mot qui apparaît à l'écran est celui de Guerre. Nous étions prévenus. La Force Obscure est la grande vedette. Le créateur est plus confortable avec cette fragilité accrue dans chacun de ses personnages, la monstruosité de leurs pensées ou leurs doutes. C'est une succession d'erreurs de jugement (dans le I, le choix de l'Elu, dans le II, le choix de Palpatine comme Chancelier, dans le III, c'est Anakin qui ne comprend rien à rien) et de frustrations à l'ambition démesurée du jeune Skywalker qui conduisent à la catastrophe. A défaut de profondeur, la complexité et les subtiles manigances de Palpatine permettent au film d'être un peu plus malin que les autres. En revanche, l'émotion est moins palpable, malgré l'effort musical de John Williams (qui vire à l'opéra). Cela tient surtout à la naïveté des sentiments amoureux, les dialogues parfois ridicules et souvent insipides, voire puérils. Le film est alors sauvé par une surenchère visuelle (qui conduit jusqu'à l'atroce fin du Jedi Skywalker), la présence de Portman et Mc Gregor. Lucas n'a plus rien inventé, n'a plus rien à dire. Mais il construit un lien solide entre deux projets qui n'avaient finalement rien à voir artistiquement... Cette ultime phrase de Padmé ("Il y a encore du bon en lui") agira comme une prophétie (souvent mal interpréte finalement), justifiant le geste final qu'aura Anakin/Vador, une vingtaine d'années plus tard...

De l'art de se moquer
Hélas, parfois, il y a ce petit détail qui tue et qui fait rire, et qui nous faire dire que cet Episode III est drôle.
Dans la pizzeria de Jabba the Hutt, sur le port de Cannoone (dîte La Barbare), où la Marguerita est décidément délicieuse, un couple d'une quarantaine d'années discute après la séance...
Princesse Léïa : "Mes parents n'avaient pas beaucoup de vocabulaire..."
Han Solo : "Et ne parlons pas de cette époque préhistorique aux technologies défaillantes : l'ascenseur qui ne marche pas..."
Princesse Léïa : "... Les vitres qui se cassent au moindre coup de sabre, tu crois qu'on devrait leur donner un contact chez Saint Gobain?"
Han Solo : "Quand l'une d'elles explose dans l'espace, ils respirent tous sans aucun problème... J'ai noté aussi que leurs vaisseaux n'étaient pas très au point. Au décollage on croirait ces vieux A380 qui faisaient du boucan dans la préhistoire..."
Princesse Léïa : "Et sur une planète volcanique, personne ne transpire malgré la fournaise..."
Han Solo : "Tu as vu leur tête quand ils ont appris que ta mère portait des jumeaux?! Même les terriens font des échographies...!"

De l'art d'être binaire
Intarrissables sur les incohérences et les dialogues, nous pourrions être. Moqueurs, alors, nous serions! C'est toute la faiblesse de la saga. George Lucas n'est pas un auteur, c'est même un dialoguiste qui est resté au niveau de ses histoires qu'il devait s'inventer quand il était ado. S'il ajoute une dérison presque "britannique" et quelques bonnes répliques, Lucas ne sait pas raconter la passion. Plus "Shakespearien" (pardon William) dans les complots et les dilemmes entre puissants (jusqu'au duel "fratricide"), la romance, elle, reste au niveau d'une sitcom pour collégiens. Heureux au jeu, maladroit en amour.
Florilège : "- Moi je sens le piège... - Que fait-on? - On s'y précipite!" C'est de la stratégie. "- Mes pouvoirs ont doublé depuis la dernière fois. - Très bien. Ton échec n'en sera que deux fois plus cuisant." Il manque le rire sardonique...."Ne vous inquiétez pas, il nous reste un demi vaisseau." C'est du coup la tour de contrôle qui y passe. L'étrangeté du monde de Lucas est qu'il n'y a pas de sang. Même les bébés naissent propres (il ne manque plus que le chou et la fleur). Il n'y a pas de gros mots non plus. Juste des phrases déterminées, solennelles : "Apprends à connaître le côté obscur de la Force et tu pourras sauver ta femme d'une mort certaine." Parfois l'image sauve le simplisme des mots. Anakin, encore Jedi, et Palpatine, encore Chancelier démocratique, qui apparaissent côte à côte, en ombre chinoise en dit bien plus que leurs précédents échanges... Mensonges et trahisons composent l'essentiel de cet épisode III. L'amour a disparu au profit de la guerre. Ca tombe bien , Lucas maîtrise mieux la destruction que la construction (et les relations entre personnages y gagnent). "So uncivilized" dirait le futur Sir Ewan McGregor (on voit mal pourquoi il ne sera pas anoblit dans 20 ans vu ses exploits...). La parabole politique trouve quelques répercusions dans notre actualité. Portman qui pleure en constatant la fin de la Démocratie au profit de l'Empire : "Et c'est ainsi que meurt la liberté." Au nom de la sécurité.

De l'art d'être gourou
Du plus beau jour de la vie d'Anakin (gloire, amour et beauté) à son pire cauchemar (pouvoir, solitude et laideur), en passant par le génocide des Jedi (le fameux ordre 66, comme par hasard chiffre du diable, quelle originalité!), l'épisode III tourne autour du basculement vers la noirceur. "La peur de perdre l'autre mène au côté obscur de la Force." A mùéditer. "Tous ceux qui ont du pouvoir ont peur de le perdre, même les Jedi." A répéter. Lucas a sans doute eu peur de perdre son emprise, son empire. Il a eu la tentation orgueilleuse de prolonger les aventures imaginées il y a 30 ans. "Tu es mon échec Anakin." Peut-être que léchec est d'avoir voulu raconter l'histoire de Dark Vador... Tandis qu'on connaissait déjà la suite, et donc la fin de ce film. Seigneur Sith du cinéma et Chevalier Jedi d'Hollywood, il a donné au peuple ce qu'il voulait. De Yoda à C-3PO, le public réclamait une régression vers leur enfance perdue. Illusions. Pour ne pas dire leurres. Paradoxalement, il manque le seul élément qui faisait le charme et l'impertinence de la saga originale, le plus populaire des personnages : Han Solo.
Si "le bien est un point de vue", disons que cette Revanche est bien, mais que nous préférons toujours, immuablement, les vieux de la vieille. Ce qui a produit la mythologie Star Wars. Car, force est de constater que Lucas n'a rien ré-inventer. Il n'a fait que reproduire. Cloner. Un clone ici beaucoup plus inspiré et intense. De quoi fournir les organes pour la greffe des futures versions à venir : dvd, jeux, séries TV, films en 3D... La fin justifie-t-elle ces moyens?

Vincy & Sabrina
 

© Ecran Noir 1996-2005 - Photos: © Lucasfilm LTD