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UN HOMME LIBRE
2010. Tahar Rahim n’a pas encore 30 ans. Depuis quelques mois, le cinéma français ne parle que de lui. Précisément depuis la projection cannoise d’Un prophète, de Jacques Audiard. L’acteur est quasiment inconnu. Il a d’ailleurs peu d’expérience. Mais grâce au cinéaste, réputé pour son excellente direction d’acteurs, Rahim devient prophète en son métier. La densité physique de son personnage, l’intensité dramatique de son jeu lui permettent de porter le film, en entier, sur ses épaules, pas si larges dans le réel.
Grand prix du jury à Cannes, le film va enchaîner les cérémonies et les palmarès, souvent couronné. Rahim se voit même sacré en son nom par le Prix du cinéma européen, le Prix Lumière du meilleur acteur, le Prix Patrick Dewaere et surtout le très rare doublé César du meilleur espoir/César du meilleur acteur.
Jusque là, pourtant, son parcours n’était pas évident. Né à Belfort, Tahar Rahim vient d’une famille de neuf enfants. « On va pas dire que je suis né dans des draps de soie, résume-t-il sans s’apitoyer. Je ne suis pas non plus un enfant de la balle » explique-t-il. Fac de sport, fac d’informatique, … et enfin fac de cinéma. Strasbourg, Marseille, Montpellier. La voie est trouvée. Il écrit, il réalise, il produit des petits films, des courts. Mais c’est le métier de comédien qui l’intéresse.
Il débute en 2005 dans un docu-fiction, Tahar l’étudiant, exercice reflétant son propre quotidien, une série de galères. Le réalisateur, Cyril Mennegun, l’avait rencontré la fin des années 90, dans sa ville natale. Leur passion du cinéma les a unis.
Repéré par l’inévitable Dominique Besnéhard, il vogue au gré des opportunités - Théâtre, petits rôles (A l’intérieur, il y joue un policier municipal) - jusqu’à son entrée à Canal + qui l’engage pour la série "La commune". Pour Un prophète, Audiard le choisit après de nombreux essais s’étalant sur trois mois et en fait son Malik : « J'ai toujours été attiré par des prototypes masculins un peu juvéniles, qui ne sont pas caractérisés par leur degré de testostérone. A plus d'un titre, je pourrais faire le rapprochement entre Mathieu Kassovitz (…) et Tahar Rahim. Non pas que l'un me fait penser à l'autre, mais tous les deux sont des prototypes masculins auxquels je suis sensible ».
Il succède ainsi à Kasso, Cassel et Duris dans l’univers masculin et sensible du cinéaste le plus primé de ses 15 dernières années en France. Le film, encensé par la critique, va le propulser sous les spots des médias. Son personnage est singulier dans le cinéma français : un arabe prisonnier et candide devenu caïd et cynique, un rôle principal, ni un gentil, ni un méchant, rien de caricatural. « Entre l’Enfant sauvage de Truffaut, quand il ânonne «canard» au cours d’une classe de lecture, et Scarface de De Palma, quand il esquisse un sourire en plein massacre, il porte le film à bout de bras, comme une dépouille, comme un trophée » selon Libération.
D’un naturel angoissé, plutôt pragmatique, un tantinet mystique, Tahar "le pur" n’a plus qu’à croire en son destin. Et faire les bons choix. Or, le cinéma est un secteur qui n’aime pas le risque. Rahim risque d’être vite enfermé dans des rôles de voyous, d’immigrés, de mecs de banlieue. De fait, on n’a toujours pas vu le jeune homme dans une comédie. Le comédien décide de ne pas se laisser piéger par la pression qui l’entoure. Après Audiard, il embraye avec Kevin Macdonald, pour un second rôle dans L’Aigle de la neuvième légion, avec Channing Tatum. Le voici prince du temps des Romains. Il sera de nouveau seigneur, arabe, intello, dans Or noir de Jean-Jacques Annaud, face à Antonio Banderas et Mark Strong. Il se frotte ainsi à des productions internationales, certes ratées, en anglais, avec des castings de catégorie A. Si son charisme ne ressort pas assez dans ces films, il a au moins le mérite de montrer d’autres facettes de sa personnalité…
En France, il reste dans le créneau art et essai. Ismaël Ferroukhi lui donne le rôle principal des Hommes libres, film historique qui se déroule durant la Seconde guerre mondiale et qui évoque l’histoire méconnue des immigrés algériens de l’époque et de leurs liens avec les Juifs. Rahim n’aime pas forcément jouer les salauds. Il préfère les hommes dignes, tourmentés, victimes. Dans A perdre la raison, de Joachim Lafoose, l’un des meilleurs films de l’année 2012, il s’aventure quand même du côté des mecs à qui l’on peut reprocher beaucoup de choses. Si Emilie Dequenne et Niels Arestrup (qu’il retrouve trois ans après Un prophète) lui volent aisément la vedette, sa présence dans cette tragédie familiale où il cherche à être le bon fils adopté, est remarquée. Rebecca Zlotowski le prend pour être prolo, dans une centrale nucléaire pour son drame proprement (ou salement) radioactif, Grand Central. Rahim n’impressionne pas vraiment, mais son jeu reste efficace, assez épuré de toute surdose souvent fatale pour certaines scènes.
En fait, le comédien est davantage valorisé, et son jeu bien plus diversifié, sous un regard étranger. Celui de Lou Ye dans Love and Bruises, film maladroit hélas, où métissage et érotisme dévoile un Rahim méconnu, plus animal. Celui d’Asghar Farhadi aussi, dans Le Passé, joli succès populaire, où il arrive à imposer une dualité (ex-époux en colère, père dépassé). Pas étonnant qu’il ait accepté les propositions de Fatih Akin (The Cut, 2014) et Emir Kusturica (L’amour et la paix, 2014), avec son épouse Leïla Bekhti.
Tahar Rahim n’a finalement que quelques années de cinéma derrière lui mais déjà une filmographie composée de cinéastes parmi les plus prestigieux dans le circuit des grands festivals. Il dégage une présence, entre vulnérabilité facile et dureté instinctive, entre charme presque manipulateur et ambition à peine cachée, qui le singularisent des autres acteurs français de sa génération. En s’évadant avec succès du Prophète, il trace son chemin, comme un gamin émerveillé, loin du star système (comprendre des comédies ou des films d’action), préférant les thrillers, les drames historiques, les mélos sociaux et les films noir. « J’ai toujours été plus intéressé par les personnes qui sont en périphérie du système ou de l’ordre social établi. Ce sont des gens fracturés et qui ne peuvent pas le dire. Ou alors ils parlent avec le corps, les émotions ou leurs pulsions. Les gens qui sont dans une problématique sociale ou à la marge de la société ont plus de choses à exprimer. En tout cas, c’est le sentiment que j’ai au cinéma » se justifie-t-il. Un acteur sombre, qui n’a aucune revanche à prendre, et qui cherche sa lumière.
vincy
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