Au premier plan, vous ne voyez en elle que l'icône. Symbole du Septième Art à l'instar d'un logo pour une multinationale. Le glamour vous aveugle en nous éblouissant. Car au second plan, le mythe apparaît. Celui qui captive
les fidèles, les aliène dans un mystère jamais éclairci, cet univers de secrets et de mensonges qui plongent le spectateur
dans le noir le plus absolu, l'égarant dans une vérité floue perpétuelle, comme on erre dans une aire de perdition. Cette
Marilyn perpétue la légende, malgré elle, prolonge sa beauté dans l'éternité. Les journalistes, analystes, spécialistes en
font leur livre, leur thèse, leur théorie. On ressort les inédits, on s'épanche sur les non dits, on se livre aux
interprétations les plus érudites. Elle en aura fait bander des hommes. Mais mieux : la Monroe les aura fait surtout
parler. Son enfance, sa vie privée, ses fêlures, tout sera observé à la loupe, rien n'aura été ignoré. Souvent, ne voyant
que l'icône ou le mythe, l'image du cinéma ou la star people, nous oublions qu'en arrière plan, il y a une comédienne.
Et c'est l'actrice, et seulement elle, qui nous intéressera. Car elle n'a pas simplement apporté son corps, ses
mouvements, sa blondeur, son visage à la pellicule. Marilyn nous aura fait son show, jouant des rires aux larmes, en
nous emportant dans sa rivière ... Sans retour.
1/ Ses débuts de poupée de Sir poupée de sons
Objet publicitaire, la bimbo avait le calibre idéal pour les calendriers et autres affiches pour camionneurs. À 21 ans, à
peine majeure, Norma Jean Baker compose des petits rôles et pousse la chansonnette dans des comédies
hollywoodiennes effacées de nos mémoires sélectives de cinéphiles.
En 1950, l'envol de la colombe est proche; elle aligne trois films très différents mais remarqués chacun dans leur
genre. Le dernier Marx Brothers (Love Happy) où elle n'a que quelques moments, un John Huston (The Asphalt
Jungle, ou Quand la ville dort) où elle vole les scènes de cet excellent film noir, et surtout un Mankiewicz : All about
Eve, où ses rondeurs, sa chevelure, cette fausse innocence lui permettent de faire face à Bette Davis, son exacte
opposée. Cette dualité la révèle d'autant plus aux yeux du monde. Le film est un chef d'¦uvre et la consacre en parfaite
idiote. Pourtant son jeu existe déjà. Car elle est tout sauf sainte nitouche. À la voir jouer à la perfection cette starlette
sans intelligence mais touchante de naïveté, sans aucune ironie, la comédienne se glisse parfaitement dans la comédie,
avec un sens inné du dialogue et du rythme précis.
La plupart des films qu'elle a tournés à cette époque sont aujourd'hui vendus en cassettes avec des jaquettes
aguicheuses où Marilyn vampe l'acheteur. Pourtant la jeune comédienne n'a souvent le droit qu'à un second rôle dans
ces films mal écrits, aux fonctions alimentaires (c'est-à-dire remplissant les trous des programmes de salles de cinéma.
Avec les mois, elle monte progressivement dans la hiérarchie du casting. Mais les films (Let's Make it legal par
exemple, avec Claudette Colbert et Robert Wagner) frôlent souvent le désastre artistique.
En 1952, la chance tourne du bon côté. Une fois de plus à travers des films très variés, réalisés par les plus grands,
elle impose un magnétisme rare. Fritz Lang l'enrôle dans un film noir (Clash by night) avec Barbara Stanwyck où elle
exhibe un jeu plus mature. Don't bother to knock lui offre son premier premier rôle, dans les bras de Richard
Wydmark. Il s'agit d'un rôle dramatique, celui d'une femme désespérée. Et enfin, Howard Hawks l'engage pour être
une secrétaire séductrice face à un Cary Grant, obsédé par sa recherche (Monkey Business, ou Chérie je me sens
rajeunir). En, trois personnages, l'actrice donne la tonalité de sa carrière, tour à tour fatale, délurée, émotive, paumée,
drôle, et toujours bousculée par les hommes et le destin.
Marilyn chante juste autant qu'elle ne joue jamais faux. Si le travail ne se sentait pas, si cette absence d'efforts nous
faisait succomber, son manque de confiance, son perfectionnisme l'obligeait à travailler, tourner plusieurs fois les
scènes, se munir de plusieurs coachs.
En 53, elle a 27 ans. Le compte à rebours a commencé. Dans 9 ans, elle sera morte. Il ne lui reste que 11 films et
demi à tourner. Elle a fait ses gammes en donnant la réplique aux plus grands, en se faisant diriger par les meilleurs.
Pour que le mythe naisse, pour que la légende existe, il va lui falloir bien plus. Il va lui falloir des films populaires, des
chefs d'¦uvre cinématographiques, des spectacles musicaux inoubliables (et les tubes planétaires qui les
accompagnent). Aucune poupée ne peut parvenir à ce résultat sans un minimum de talent. Jayne Mansfield n'a pas
résisté au temps. Marilyn Monroe va s'octroyer un jubilé unique composé de hits et de bijoux. Des diamants qui
étincellent dans les salles obscures.
2/ Le public préfère la blonde
En janvier 53, Henry Hathaway présente Niagara, film noir sublimement cinégénique, quasiment hitchcockien, où
Marilyn rivalise avec les célèbres chutes pour nous couper le souffle. Le film était davantage centré sur le rôle de
l'autre femme, que devait jouer Anne Baxter. Le retrait de cette dernière du projet à permis de concentrer l'attention
sur notre héroïne, assassine et infidèle. Un rôle aux antipodes de l'imagerie classique de la comédienne. En juillet de la
même année, Marilyn va jaillir au firmament des stars.
Les Hommes préfèrent les blondes. Formule classique actuelle qui claque comme un slogan. Le film d'Hawks était au
départ un duo Jane Russell/Betty Grable, afin de mettre en valeur la brune. Grable, trop chère, se fait remplacer par
Monroe, sexy et cheap. C'est à ce genre de petits détails que l'Histoire change à jamais. Marilyn se donne comme
jamais, crevant l'écran continuellement, transformant l'apparent premier degré en personnage sanctifié. En chantant "
Diamonds are a Girl's Best Friend ", elle entre dans la mémoire du cinéma et de la chanson, en une séquence. Jane
Russell, la star du film, est balancée dans la piscine (littéralement) quand la blonde, décidément préférée, devient une
référence en satin rose bonbon pour les futures égéries, de Madonna à Nicole Kidman. En toute candeur.
En novembre 53, afin de répandre son aura et de prendre le pouvoir, elle prolonge son personnage de fille naïve et
presque cruche dans How to marry a millionaire. La comédie est certes moins bonne que la précédente, mais l'actrice
se mesure à deux autres grandes stars : Lauren Bacall (classe) et Betty Grable (popu). Marilyn est un trait d'union
entre les deux extrêmes, et parvient à faire la synthèse en existant malgré l'abattage des deux comparses. Elle
s'aventure même à se disgracier avec des lunettes. Car Monroe n'hésite jamais à utiliser des mimiques et autres ressors
comiques pour séduire son public. En trois films, elle a le monde à ses pieds.
Si aujourd'hui le spectateur contemporain ne voit en elle que la bombe sexuelle (elle assumait parfaitement cette
animalité en elle) et la comique de service, il aura tort et se trompera sur l'impact mais aussi le fondement du mythe.
Actrice fascinante, elle accepte les plus beaux défis. Otto Preminger l'engage pour être la partenaire de Robert
Mitchum (tous trois à leur sommet) dans un western à grand spectacle, La Rivière sans retour. Les deux stars
acceptent de faire leur propre cascade, et 4 chansons seront interprétées par la comédienne. L'alchimie étrange est
explosive, électrique même, mélangeant la nature canadienne aux tempéraments des deux vedettes. Étonnamment, le "
bad boy " fonctionne à merveille avec cette chanteuse de saloon ambitieuse. Les deux joueraient presque leur propre
rôle. Cette rivière apporta son flot de dollars. Et de là, l'actrice se fit plus rare, mais pas moins audacieuse. Son
charisme et sa photogénie (elle bouffait la caméra et le savait) explosait par tous les angles, et ce quel que soit son
partenaire, des plus mâles aux plus chieuses. Il était temps pour elle d'aller plus loin dans la sensibilité et la fragilité.
Pour obtenir un rôle qui lui tenait à coeur (son film suivant), elle accepta de jouer double emploi dans There's no
business like show business. Les Donahue lui écrivirent le personnage expressément pour elle, ainsi qu'une chanson.
Ce sera son pire compromis artistique. Le film est un ratage. Mais l'enjeu en valait la peine. Marilyn est l'élue du
prochain film de Billy Wilder. 7 ans de réflexions.