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David Lynch, Lion d'or et Palme d'or, n'a pas tourné de long métrage depuis 2006. Une longue absence. Heureusement il nous a offert une suite à Twin peaks pour la télé. Et on peut voir ses photos fétéchistes dans l'exposition de Louboutin au Palais de la Porte dorée. Il vient aussi de terminer un court métrage. Elephant Man ressort cette semaine en salles. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Coeurs transis ou coeurs brisés, en un clic fixez sa cote.
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LEGEND ERE
Clint Eastwood. Plus qu'un nom, une légende. Un exemplaire unique. L'un des plus grands réalisateurs américains, l'égal des John Ford, Howard Hawks et Anthony Mann mais aussi un acteur mythique. L'homme sans nom, L'Inspecteur Harry. Des héros immortels, à jamais imprimés dans l'histoire du cinéma. Une gueule, doublé d’un regard acéré qui s’attendrit avec l’âge
Presque octogénaire, déjà honoré de partout, par crainte de le louper de son vivant et pourtant son cinéma garde toujours la même vitalité : mieux il s’améliore film après film, approfondissant ses thèmes, épurant son style, effleurant le sublime.
L'histoire de Clint Eastwood commence par un conte de fée. Il rêvait d'une carrière d'acteur, gagnant sa vie en multipliant les petits boulots - mécanicien, bûcheron ou bien métallurgiste - qui formeront son caractère en acier trempé. Lors de son service militaire, sa caserne est choisie par les Studios Universal pour être le lieu d'un film. Il y a de bonnes étoiles ailleurs que sur le Walk of Fame. Il se lance alors dans l'aventure. Entre la fin des années 50 et le début des années 60, il a participé à de nombreux films où son nom ne figure même pas au générique, et des épisodes épars dans des séries comme « Maverick », sans omettre les inévitables séries Z comme Tarantula. Il est choisi pour un rôle de cow-boy dans la série TV "Rawhide" produit par Universal. Un hit country et moraliste où il défendait les marginaux contre les méchants. Mi-réac, mi-gaucho. Mais 217 épisodes au compteur.
Pour quelques films avec Sergio Leone
1964. Ne pouvant pas avoir Henry Fonda ou Charles Bronson, Sergio Leone l'engage pour un Western d'un genre nouveau ; Pour une poignée de dollars. Le teint buriné, le regard limpide, le sourire au coin des lèvres, Clint Eastwood fabrique le mythe avec de l’ironie. C’est lui qui créé le style du personnage : le jean’s noir acheté sur Hollywood Boulevard, le chapeau et les cigares ébènes coupés en trois… Le western-spaghetti a le mérite de propulser le compositeur Ennio Morricone, l’acteur Clint Eastwood, et un style visuel au rang de célébrité. Il incarnera le western dans sa phase finale : de son ère moderne, ou post-classique, jusqu'à son crépuscule avec Impitoyable, en 92. Il aura même essayé de travailler avec John Wayne, qui refusa car il détestait la vision violente et cynique qu’Eastwood faisait de l’époque des pionniers. Trente peu glorieuses années pour le genre où il en aura été la seule star. Il enchaînera avec le « lion » Leone Pour quelques dollars de plus, avec Gian Maria Volontè et Klaus Kinski. Le film attire encore plus de spectateurs que le précédent. En 1966, Leone signe son œuvre maîtresse : Le bon, la brute et le truand, avec Eli Wallach et Lee Van Cleef. Eastwood a gardé son poncho à travers cette trilogie et s’est bâti une image. Cependant, sans Leone, l’acteur semble égaré dans un cinéma en pleine ébullition, de la Nouvelle vague française à la renaissance du cinéma anglais en passant par l’émergence d’un cinéma indépendant américain. On remarquera quand même Quand les aigles attaquent, film noir dans l’ombre du régime nazi, avec Richard Burton.
En 1968, il fonde sa société de production Malpaso et rencontre Don Siegel, début d’une fructueuse collaboration et d’une longue amitié. Las des rôles de Marshal, Lieutenant, Shériff ou détective, peu convainquant dans la comédie (même musicale avec La kermesse de l’Ouest) ; il se « donne » à Don. Car Siegel deviendra son véritable mentor. Après trois premières collaborations anecdotiques avec le réalisateur Siegel (Un Shérif à New York, Sierra Torride avec Shirley MacLaine, Les proies, avec Geraldine Page), Eastwood passe derrière la caméra en 1971. Son premier film. Un Frisson Dans La Nuit (Play Misty for Me). Un thriller urbain très éprouvant et terriblement efficace. La star arbore un brushing proche de la banane de rocker. Mais surtout, ayant eu toute liberté pour faire son film en échange d’une diminution de salaire en tant qu’acteur, Clint acheva son film avec quatre jours d’avance et 50 000 dollars en dessous du budget.
Un mois plus tard, Siegel et lui vont créer un nouveau héros de légende : l'Inspecteur Harry Callahan. Le comédien fait lui-même ses cascades et réalisera deux scènes en remplacement de Siegel, malade. C’est ici que se fonde le profond malentendu avec la critique qui n'y voit qu'un policier aux méthodes expéditives et contestées, pour ne pas dire barbares. Les critiques américaines et européennes identifient Clint Eastwood à son personnage de flic machiste, homophobe et réac' et le désignent comme l'icône du «néofascisme nixonien ». Le personnage a le malheur de refléter la société trop crûment : une Amérique violente, des WASP menacés dans leur domination et paranos, un Empire vulnérable, des Républicains en déclin.
Le Western dans la peau
Ce Dirty Harry en série est un hit au Box Office mondial, à l’instar des Delon ou des Branson. L’épaisseur en plus. Cela le propulse aux mêmes niveaux que Burt Reynolds, Robert Redford ou encore Al Pacino, lui permettent de financer, avec intelligence, des projets plus personnels. Toujours dans le cadre du Grand Ouest, Clint Eastwood enchaîne les relectures du Western – du très controversé L’homme des hautes plaines à l'excellent Josey Whales Hors La Loi - et des films en demi-teinte remplies d'émotion. S'il figure au générique de ces premières oeuvres à l'exception de Breezy, il ne glorifie pas son image jouant souvent la carte de l'auto dérision comme dans Bronco Billy.
Il enquille les Harry et alterne avec des films radicalement différents. Forme de schizophrénie qui s’arrêtera en 1993 avec Dans la ligne de mire, dernier film où il fera l’acteur (justicier) pour un autre et se consacrera à ses propres réalisations. Dans Magnum Force il choque avec des scènes sexuelles avec une jeune asiatique. La réponse à des milliers de lettres « chaudes » de fans venant d’Asie… Le script est réécrit par Michael Cimino (grande époque) qui du coup, convainc Eastwood d’être la star de son prochain film, Le canardeur.
Eastwood signe en 1976 son premier grand film, Josey Whales hors-La-Loi. Il remplace au pied levé Philip Kaufman, ce qui entraîne l’ire de la Director’s Guild of America. La guilde en profite pour établir une règle protégeant la position du réalisateur, qui ainsi ne peut plus être remplacé par un membre de l’équipe artistique ou technique, la « règle Eastwood». Dans le film, le cinéaste explore un peu plus l’humanisme qui va devenir sa marque de fabrique. Comme dans tous ses Westerns, non seulement il ne tue aucun Indien, mais surtout il pactise avec eux, 15 ans avant Danse avec les loups.
Devant la caméra, gagnant ses galons, il change progressivement de registre et notamment, prisonnier dans le dramatique L’évadé d’Alcatraz, le cinquième film avec Siegel ; il est aussi boxeur en obtenant un rôle taillé pour Burt Reynolds et s’amusera dans une comédie de gangster avec le même Reynolds dans City Heat.
Les premières marches vers le sacre
Derrière comme devant, la star peaufine son personnage, et varie les plaisirs. Les années Reagan vont amorcer celles de son ascension. Il ne lui reste que deux Harry Callahan à faire, héros d’un autre temps, qui n’est plus en phase ni avec son créateur, ni avec les spectateurs, préférant les gros bras (Stallone, Schwarzzy) ou les polars qui font rire (Le flic de Beverly Hills, L’arme fatale).
Bronco Billy, l’un de ses films favoris, mélange ainsi une part d’idéalisme et des contradictions humaines qui soutient toute son œuvre. Eastwood a du flair. Il manipule Hollywood à merveille, continuant de proposer des productions populaires pour avoir la paix avec des films plus intimistes. Ainsi il tourne Firefox, passablement dépassé désormais par cette guerre froide qui a pris un coup de chaud si peu de temps après. Cela lui permet de s’essayer aux effets spéciaux. Le film est un gros succès et anticipera le carton de Space Cowboys. Ce dernier confirme le chemin parcouru par le cinéaste en moins de vingt ans, passant d’un spectacle efficace et binaire à une magnifique virée dans l’espace nostalgique, tendre et drôle où l'amitié et les rêves de gosse se confrontent au vieillissement et à la mort.
Honkytonk Man, portrait touchant d'un chanteur de country atteint de tuberculose, migrant vers Nashville accompagné d'un enfant interprété par son propre fils Kyle, futur musicien reconnu. La critique (re)découvre l’auteur, et l’estime à nouveau malgré le flop financier. Les cinéphiles français en font une star à part, tandis que les Américains semblent déboussoler : trop auteurisant, pas assez star. Aussi reprend-il le costard de flic, se compromettant dans de médiocres polars.
En 1985, pour la première fois, Clint Eastwood est sélectionné au Festival de Cannes avec un western, Pale Rider. Il est célébré en tant que grand conteur américain et la critique française l’intronise quelques années avant son premier Oscar. Le film, sans être un hit, rencontre son public.
Les couleurs inspirantes de l’amertume
De nouvelles tonalités s’emparent de son cinéma. Sans doute plus en confiance, il prend une liberté à chercher des sujets loin de ses premiers films et surtout de son genre de prédilection. Il continue ainsi de fureter au sein des mythes américains, que ce soit le jazz ou le cinéma des années 50, sa référence. En tant qu’acteur le plaisir s’atténue. Il ne jouera que dans un film tous les deux ans quand il en réalise un par an.
En 1988, avec Bird, il rend hommage à sa musique de prédilection - il signera un album de jazz dix ans plus tard - retraçant la vie du saxophoniste Charlie Parker, incarné parfaitement par Forest Whitaker qui obtient le prix d'Interprétation à Cannes. Cette ode en forme de blues le fait rentrer définitivement dans la cour des grands avec un Golden Globe du meilleur réalisateur. En 1990, il poursuit son voyage dans les origines de l’Empire américain en remontant les traces du tournage d'African Queen de John Huston avec Chasseur Blanc, Coeur Noir. Méconnu, il revisite sa jeunesse et ses passions, l'exigence et la détermination d'un réalisateur tout en décrivant une époque colonialiste. Contesté par Katharine Hepburn dans ses faits, le film, présenté à Cannes, est un fiasco.
Eastwood, encensé par la critique et considéré comme un maître du classicisme, ne trouve pas le sujet pour parachever son oeuvre. La critique ferme poliment les yeux sur ces baisses de forme et salue le fils spirituel des plus grands cinéastes américains, ceux du cinémascope et du grand angle, des paysages sauvages et des visages sans émotion. Sa carrière prend alors une nouvelle perspective avec deux périodes : l'âme américaine et la société américaine, le désespoir et l'idéalisme.
Avec l’Oscar dans le viseur
Hollywood le couronne (enfin) en 1992. Unforgiven (Impitoyable) qui aurait dû être traduit par impardonnable, obtient en effet les Oscars du meilleur film et du meilleur réalisateur. Western sombre et sable, requiem dédié à Don Siegel et Sergio Léone, ces deux pygmalions, il s’agit incontestablement d’un très grand film sur la violence et la rédemption, ferman le ban à ce qui l’aura façonné. Magistral, le film noircit son personnage, humanise son caractère et lui rend cette liberté tant recherchée depuis que l’inspecteur Harry lui avait volée.Serein, il tourne une dernière fois un film dans l’air du temps, Dans la ligne de mire, qui sera aussi un blockbuster. Désormais, Eastwood est une légende.
Serein, il se mue en vieux héros fatigué et parfois sage, défendant la veuve et l’orphelin, prodiguant sa philosophie où le pardon n’est possible que si la justice l’est aussi. La foi et la balance. Il se donne alors ses plus beaux rôles : flic plein de compassion et d’intelligence dans A Perfect World, émouvant et absolu, photographe romantique, séduisant et solitaire dans Sur la route de Madison, mélo sensible, mémorable et subtil, ou quelques années plus tard, coach boxeur plein de ferveur dans l’ascension de sa muse et effondré par sa paralysie dans . Mais patiemment Eastwood construit une oeuvre et analyse cliniquement l'Amérique sous tous les genres : drame, polar, film noir, comédie... Il utilise les outils d'Hollywood pour offrir sa propre vision de la société, des services de santé à la conquête spatiale, de la corruption politique à l'homosexualité, de l’immigration latino à la seconde guerre mondiale.
L’incorruptible
Ainsi Sur La Route de Madison, filmé dans la ville natale de John Wayne, est l'une des plus belles histoires d'amour de ces vingt dernières années. Tout en silences et en frôlements, en regards et en sourires, Clint Eastwood et Meryl Streep se renvoient l'image d'une passion amoureuse et apaisée, mature et rajeunissante. Eastwood avait un temps pensé à Deneuve pour le rôle, après leur co-présidence cannoise... où il avait désigné Tarantino pulp-vainqueur!
En une vingtaine de films, ce soit-disant réactionnaire aura filmé un plaidoyer contre la peine de Mort (Jugé Coupable), l'amitié entre un criminel et un enfant (Un Monde Parfait), les préjugés contre un riche homosexuel (Minuit Dans Le Jardin Du Bien et Du Mal), les frasques sexuelles du Président américain (Les Pleins Pouvoirs, prémonitoire), une justification de l’euthanasie (Million dollar baby), un hymne à la paix des peuples et une charge anti-guerre dans son diptyque Mémoires de nos pères / Lettres d’Iwo Jima, film miroir renvoyant américains et japonais à l’atrocité de leurs actes.
Il fouille ainsi les symptômes de la civilisation américaine, dessinant un portrait sans concession de son pays qu'il aime tant, avec ses maux et ses fantasmes. Sa méfiance des institutions et sa confiance dans les contre-pouvoirs, sa défiance à l'égard de l'opinion de masse et sa chance d'atteindre le grand public le poussent à toutes les audaces, avec panache. Il observe méticuleusement une civilisation en quête d'un idéal facile à corrompre, à entacher ou à détruire. Et affiche ouvertement des convictions tolérantes (ses castings sont plus que métissés et variés) et parfois conservatrices (le regret d'une dignité perdue), mais sans aucun rapport avec son image héroïque de ses débuts.
Le « misfit » Mystic qui conduisit au « Million »
Clint Eastwood est un prototype unique dans le paysage cinématographique mondial. Certes d'autres acteurs passent parfois derrière la caméra avec succès et ampleur (Mel Gibson avec Braveheart, Kevin Costner avec Danse Avec Les Loups, Sean Penn avec Into the Wild) mais personne ne peut se targuer d'une telle et si belle longévité, d'une si belle constance.
Même si l’on considère un hit comme Space Cowboy comme un film mineur dans sa filmographie de par son genre, il n’y aura eu aucune faute de goût depuis son premier Oscar. Cannes passe cependant à côté de l’excellent Mystic River : Oscars pour Penn et Robbins, quatre nominations en plus. Avec ce film noir digne des œuvres des années 30 et 40, il mélange un sujet très moderne et une style très traditionnel. Parce que le film, selon lui, n’a pas été vu à sa juste valeur, et sans doute encouragé par son très joli succès en salles, il s’attèle à un autre projet encore plus casse-gueule : Million dollar baby où il est au cœur d’une double histoire. Une amitié complice avec un vieil homme noir et un lien affectif père et fille avec une jeune fille voulant boxer. Il s’agit de son vingt cinquième film. Mais aussi son deuxième Oscar du meilleur film et du meilleur réalisateur. Freeman et Swank emportent aussi la statuette, confirmant son grand talent de directeur d’acteur. Sa mise en scène est élégante, sûre, raffinée, jamais ostentatoire, jouant des pénombres et des lumières du jour. L’Inspecteur Harry a un talent indéniable pour faire pleurer le spectateur. Il le confirmera avec Lettres d’Iwo Jima, très grande œuvre où il cherche à défendre l’ennemi, obligeant l’Amérique à voir un autre discours, une autre vérité. Comme il le cite dans Minuit dans le jardin du bien et du mal, « La vérité comme l'art est dans l'oeil du spectateur».
Aujourd'hui sa mise en scène dépouillée, ses éclairages soignés, ses cadrages sobres, sa caméra toujours bien posée et une musique servant de ponctuation à la perfection, est mise au service de thèmes forts et d'histoires simples souvent tragiques. Enraciné dans un âge d’ôr révolu, Eastwood est sous l’emprise dune nostalgie qui a déteint avec le temps. Le sang est délavé et les sentiments davantage exacerbés. Comme un vieil air de jazz un soir, près de Carmel, on se laisse emporter par ses musiques du cœur et de la raison.
vincy
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