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David Lynch, Lion d'or et Palme d'or, n'a pas tourné de long métrage depuis 2006. Une longue absence. Heureusement il nous a offert une suite à Twin peaks pour la télé. Et on peut voir ses photos fétéchistes dans l'exposition de Louboutin au Palais de la Porte dorée. Il vient aussi de terminer un court métrage. Elephant Man ressort cette semaine en salles. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Coeurs transis ou coeurs brisés, en un clic fixez sa cote.
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Votes : 13Cote : 33 %
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UN ZEST DE LEMMON
Hasard ou fatalité? Quelques mois après le décès de Walter Matthau, Jack Lemmon disparaît. Cela n'arrive qu'aux grands couples de cinéma. 8 films ensemble. Un drôle de couple...
Jack Lemmon est né avant la crise, trop jeune pour la guerre qui va venir, et langé dans les milieux huppés de Boston. Il est destiné à reprendre l'entreprise de patisserie de son père. Il fera les études qu'il faut pour cela. Mais l'esprit saltimbanque est déjà ancré en lui. C'est d'ailleurs de cette contradiction que naîtra son style, mélange de chic et de grimaces, d'élégance urbaine et de gesticulations trashs.
Ce qui étonnera toujours chez cet immense comédien (8 fois nominé aux Oscars!!! à l'instar de Tracy, Olivier, et Nicholson) c'est la facilité avec laquelle il passait d'un genre à l'autre, du grand écran aux planches en passant par la télévision. Il concevait son métier comme un tout.
Mais avant cela, l'itinéraire fut expérimental. Sportif récompensé, diplômé d'Harvard, il fait ses premières classes dans les spectacles d'école. Il tient tous les rôles du Class Day d'Andover et préside le Hasty Pudding Club de l'Université d'Harvard. Après la Navy, il enchaîne les boulots : pianiste, acteur pour la radio, music hall... Ces expériences lui permettront de savoir tout faire, tout jouer, tout donner.
C'est bien cette énergie qui caractérise son jeu nerveux, spontané, passant en un éclair d'une mimique hautement comique à un regard le plus hagard possible. Son épaisseur et sa popularité proviennent de cet instinct qu'il a eu de faire converger son talent vers tous les styles. Même si le cinéma retiendra sa relation particulière avec Billy Wilder et Blake Edwards, il a surtout été un One Man Show à lui tout seul, volant la vedette à chacun de ses partenaires, avec classe : c'est à dire en respectant bien leurs marques et leurs égos.
Si Cukor lui offre son premier rôle au cinéma, c'est John Ford (excusez du peu) qui lui donnera son premier Oscar, en second rôle de Mister Roberts (Permission jusqu'à l'aube), avec Henry Fonda et James Cagney. Sa côte grimpe vite en moins de deux ans. Il joue dans toutes sortes de comédies, romantiques ou pas, dans un western aussi. On le voit aux côtés de Mitchum et Stewart. Richard Quine le fait tourner trois fois. Un début de carrière honorable, alternant la scène, la télé et les studios.
En 59, tout change. Il joue avec Marilyn. Il croise Curtis. Il découvre Wilder. Il se travestit. Et il entre dans la légende du 7ème Art avec une séquence anthologique qui fait le bonheur des "Best of" du cinéma. Some Like it Ho" (Certains l'aiment chaud) est un tournage difficile à cause de Monroe (sa partenaire la plus angoissée en 50 ans de carrière). C'est aussi un triomphe pour les trois acteurs. Lemmon emmènera un British Award, un Golden Globe et une première nomination à l'Oscar du meilleur acteur. Surtout il sera de cette scène finale, sur un hors bord. Désespéré, il avoue au capitaine, Osgood, qu'il n'est pas Daphne, mais Jerry. Sa rage de clamer la vérité se transforme en déconvenue avec cette réplique : "Personne n'est parfait".
Tout Lemmon est là. Il est une victime malgré lui, se piège dans des situations insurmontables, se retrouve à devoir affronter l'absurde. Son drame est de faire rire quand il vit une tragédie. On le prend pour son rôle, alors qu'il est un personnage. Lemmon se sait imparfait, et pourtant il n' a jamais joué faux, alros que ses choix sont souvent casse-gueules.
Wilder lui portera chance un an après, une fois de plus, avec The Apartment (La Garçonnière). Il incarne cette jeunesse américaine qui croit au système mais cherche le grand amour, qui est victime d'une société injuste mais qui fonce tête baissée vers un destin imprévisible mais forcément meilleur. Nouveau British Award, nouvelle nomination à l'Oscar, nouveau Golden Globe... L'acteur s'impose dans le registre comique de bon goût, l'humour middle-class et nouveaux riches, dans ces comédies douces et amères, à la fois vaudevillesques et socialement intelligentes. A la fois beau et imprévisible, on le met dans les bras des plus belles (Kim Novak, Judy Holliday, Janet Leigh, Doris Day, Rita Hayworth...). Il a le droit aux meilleurs scénaristes. C'est en 62, d'ailleurs, qu'il rencontre Blake Edwards.
Le jour du vin et des roses est sa première collaboration avec le réalisateur de la Panthère Rose. Contre toute attente, il s'agit d'un drame (qui vaudra à Lemmon un prix au festival de San Sebastien). Ce film sur la dépendance (lui alcoolo, elle accro au cacao) fait entrer Lemmon dans la cour des grands. Il dévoile une certaine sensibilité, une folie rentrée, un goût certain pour les aventures intérieures les plus tourmentées, sous les dehors les plus banals. Ni héros ni superstar, il devient l'un des premiers comédiens à jouer ailleurs qu'au cinéma. Il précède les acteurs tels que Hoffmann, Nicholson, Pacino... ceux qui n'ont ni le physique, ni la popularité des Warren Beatty, John Wayne ou autres Burt Reynolds. Il est moderne avant les autres, à la manière d'un Bourvil. Sa capacité à tout jouer, sa "versatilité" lui donnent plus de liberté. Toute sa carrière le prouvera.
Il retrouve Billy Wilder et Shirley McLaine dans Irma La douce. C'est lors du tournage à Paris qu'il se mariera avec l'actrice Felicia Farr (ils ne se séparèrent jamais). Mais ce coup-ci c'est Shirley qui semble tenir la vedette. Lui roucoule ailleurs...
Blake Edwards l'enrôle une seconde fois dans The Great Race (La grande course autour du monde). Tony Curtis (bis!) joue les Don Juan immaculés et scintillants, fair play et mysogine. Natalie Wood y est objet de convoitise, délurée féministe. Peter Falk est un assistant malin et peu recommandable. Et Lemmon prouve toute sa virtuosité dans l'excès, en diabolique conducteur qui triche, et en empereur idiot adorant lancer des tartes à la crème. Hystérique ou hurlant des ordres, il brille de ridicule sans jamais humilier ses personnages. Dans l'excès ou la nuance, il insuffle toute sa subtilité...
Alors que tout notre subconscient de cinéphile le lie à Curtis, l'année suivante, Billy Wilder, pour leur quatrième film ensemble, l'attache à un certain Walter Matthau. The Fortune Cookie (La grande combine) est leur première épreuve commune. Lemmon est désormais au centre de l'affiche. Personne ne se doute que leurs vies seraient unies jusque dans la mort.
Pourtant, grâce au script de Neil Simon, ils deviennent le Drôle de couple du cinéma. Le succès du duo est immédiat. Ils seront complices et râleurs, Talon et Lefuneste, indissociables et divorçant tout le temps. Lemmon, à cette époque, a joué avec les plus belles : Romy Schneider, Virna Lisi, Elaine May, Lee Remick, Catherine Deneuve. Mais c'est Walter qui sera son partenaire idéal.
Tout comme avec Neil Simon il trouve une plume qui régale sa force comique, sa détresse tragique, ses mélancolies romantiques. Dans The Out of Towners, il incarne un provincial agressé par New York. Arrogant, il mue en animal blessé et paumé. la comédie vire au film catastrophe. Lemmon est un des rares comédiens à pouvoir passer tous les stades de ce scénario, de la serennité à la peur, du mari qui contrôle tout au mec qui perd pieds et pête les plombs.
Cela fait 15 ans qu'il tourne. Il va de succès en succès. En 71, il réalise Kotch. Son seul film en tant que cinéaste. Logiquement il fait jouer son alter ego Walter Matthau et sa femme Felicia Farr. Le film est loin d'être un échec. 4 nominations aux Oscars. L'acteur principal, la chanson du film, le scénario et le montage ont les louanges de tous. Pourtant, Lemmon ne renouvellera pas l'expérience.
Les années 70 l'entraîneront surtout au théâtre. Il joue "nonstop" à New York, Los Angeles, Londres des pièces (classiques ou comédies). Le phénoménal succès de "Long day's Journey into night" (d'Eugene O'Neill) le contraint à jouer des années à guichets fermés.
10 ans après Paris, Wilder l'envoie en Italie pour Avanti!. L'acteur est désormais rare. Mais sa côte demeure toujours aussi élevée. On ne peut pas dire que sa carrière se découpe en périodes. Lemmon apprécie par dessus tout changer, bouger, étonner. En 73, on le propulse en cadre fatigué dans Save the tiger. Oscar. Il arrive à l'âge où les jeunes premiers n'ont plus ses traits. Au moment où le cinéma américain devient social, politique, épique et dramatique, il est au bon endroit, au bon moment. Il a la quarantaine, il est cultivé, engagé politiquement. Le tigre est loin d'être épuisé. Il peut même mordre. Ce film ne fera qu'amorcer une longue décennie de films militants où Lemmon s'inscrit dans une époque plus réaliste, moins amusante. Le fantassin devient sérieux.
Jack Lemmon, de par son éducation, devient vite un militant de l'environnement. Ecologiste avant l'heure, il est un des meilleurs lobbyistes "vert" d'Hollywood, et y aura consacré une grande partie de sa vie. Son film le plus symbolique est assurément The China Syndrom (Le syndrome chinois), avec Jane Fonda et Michael Douglas. Outre ce casting "de gauche", le film bénéficia d'un fait divers similaire survenu quelques jours après la sortie de ce film anti-nucléaire. A l'instar de films comme Network, Les Hommes du Président ou plus tard The Insider, The China Syndrom mélange l'investigation à la fiction. Impliqué personnellement, Lemmon obtient son premier prix d'interprétation à Cannes.
Juste avant, il sera l'une des stars d'un film culte, Airport 77, sorte de chef d'oeuvre du genre catastrophe de l'époque. Lemmon continue de traîner une certaine peur d'un monde qui devient fou, qui n'écoute plus. Sa farouche détermination ne sert qu'à combattre son impuissance face à la fatalité. Il était victime de lui-même, de ses gaffes. Il devient prisonnier de la société. Ces hits lui assurent un statut de star depuis plus de vingt ans, à travers des genres très différents. Il persiste dans sa facette dramatique. Tribute lui vaut un prix d'interprétation à Berlin en 80. Seul Billy Wilder le fait revenir au rire, avec Matthau, toujours. C'est son septième opus avec le cinéaste (6 avec Richard Quine). Il n'est jamais un salaud, mais choisit malgré des personnages toujours ambivalents, pour ne pas dire ambiguës.
En 82, Lemmon accepte la proposition de Costa Gavras. Missing est dans la même veine que Le Syndrome Chinois. Mélangeant politique et thriller, fait divers et fiction, il vaut un second prix d'interprétation cannois à Lemmon. Il sera l'un des comédiens américains les plus primés du siècle. Le Chili en toile de fond, c'est aussi le dernier grand rôle de l'acteur.
Les années 80 sont les plus ingrates. Aucun grand cinéaste ne le choisira. Il n'a pas encore l'âge des vieillards. Et le divertissement est roi. Ettore Scola l'invitera à une rencontre au sommet avec Mastroianni. Blake Edwards l'invitera pour un film de famille où on retrouve la femme du cinéaste (Julie Andrews), sa fille, et la femme et le fils de Jack Lemmon . Les hommages commencent. Les rôles se raréfient. Ils jouent les grands pères en 89. A cette époque, il n'est plus "bankable".
Il accepte un petit rôle dans le sublime JFK d'Oliver Stone. Il est désormais une guest star. Chez Altman, dans The Player, il joue ... Jack Lemmon. Altman, toujours, sera plus généreux avec Short Cuts. En mélangeant les genres, les générations, il s'installe au panthéon...
Lemmon prend du plaisir avec des films plus noirs. Glengarry Glen Ross est son premier grand rôle en dix ans. Il joue aux côtés de Al Pacino et Kevin Spacey, sur un scénario de David Mamer. Prix d'interprétation à Venise. Le seul prix qui lui manquait. Son étoile renaît. Et sa poularité revient. Dès 93, il renoue avec Walter Matthau, pour un dernier tour de piste. Grumpy old men (Les Grincheux) est un carton inattendu. Si bien qu'il mourra en pleine gloire, ce qui est très rare.
Le couple s'est bonnifié, comme le bon vin. Toujours plus rouspetteurs, ils ont l'âge de pouvoir tout se permettre, y compris la farce la plus infantile. Ils s'amusent à se faire plaisir. Les spectateurs rigolent. Une suite aura lieu (avec Sophia Loren!). taquins, coquins, les deux vieillards forment ainsi l'un des duos les plus mythiques de la comédie américaine. Lemmon aura été grave et léger, digne dans le burlesque, et amer dans le drame. Branagh lui offre le rôle de Marcellus dans Hamlet. Petit rôle mais interprétation costaud.
Humaniste et dubitatif dans le remake TV de "12 hommes en colère", il continue de tourner avec Matthau (Out to sea, Drôle de couple 2), de recevoir les honneurs et témoigner de 50 ans de cinéma. Il donnait son fric à l'environnement. Il commença à combattre son cancer. Il reçu récemment un Emmy Award. Il donna sa voix de narrateur au dernier Redford.
Séducteur et caractériel à l'écran, Jack Lemmon aura été un monstre sacré discret, creusant profondément son sillon dans l'histoire du cinéma. Il était devenu à l'image un personnage dont l'élégance le disputait à la violence des situations, dont la maladresse comique s'acharnait à le ridiculiser dans les moments les plus dramatiques. Une sorte de garçon bien éduqué capable des pires bêtises, et à qui on pardonne d'avoir laisser l'appartement dans un état lamentable. On le sent sur le fil, funambule équilibriste, avec un peu d'ivresse mais toujours accroché à son parapluie. Face à cette adversité qui le défiait constamment, dans chacun de ses films, il apparaissait déterminé, farouchement, la combattant par tous les moyens. Mais Walter s'en est allé, et le cancer le rongeait. La farce ne pouvait plus grimer la grimace de douleur. La mort est toujours la plus forte...
vincy
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