David Lynch, Lion d'or et Palme d'or, n'a pas tourné de long métrage depuis 2006. Une longue absence. Heureusement il nous a offert une suite à Twin peaks pour la télé. Et on peut voir ses photos fétéchistes dans l'exposition de Louboutin au Palais de la Porte dorée. Il vient aussi de terminer un court métrage. Elephant Man ressort cette semaine en salles.



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MAÎTRE ET FILS





«Je suis prêt à avaler le film le plus ennuyeux s’il me donne un beau gros plan d’une actrice que j’aime.» (1)

Jean Renoir, comme beaucoup d’autres cinéastes, commence à filmer pour l’amour d’une femme, la sienne, Catherine Hessling, accessoirement dernier modèle de son père, Auguste Renoir. Il abandonne alors la céramique, écrit et réalise plusieurs films muets autour son épouse ; les titres sont parlants : Catherine (1924, écrit pour le réalisateur Albert Dieudonné), La Fille de l’eau (1924), Nana (1926). Peu à peu, Jean Renoir tombe amoureux de la caméra, expérimentant les effets, surimpressions, mouvements d’appareil, le montage et jouant sur les décors (la forêt de Fontainebleau dans Le Fille de l’eau), expérimentations qu’il dépasse pour une œuvre charnière : La Chienne (1931), une forme d’autoportrait de l’artiste en tueur. Renoir a trouvé son sujet : le réel, rien que le réel.

Le réel, ou les rêveurs punis – la morale.
Bien avant la Nouvelle Vague, à qui il a tant plu, rolex submariner replica watches Renoir descend tourner dans la rue à la recherche d’un nouveau réalisme. Dans La Chienne, un peintre dilettante, Maurice Legrand (Michel Simon), mal marié à une femme acariâtre, tombe amoureux d’une jeune prostituée et finit par la tuer – sans être accusé. Entre le peintre qui se réfugie dans un monde idéal, la fille de la rue et son proxénète, deux univers s’opposent. Il fuit, Legrand ? Et pour cause, il est constamment humilié : au bout d’une longue table, il baisse la tête pendant que tous ses collègues et amis se moquent de lui ; avec sa femme, il subit les insultes et les cris – dans de longs plans séquences qui l’accablent dans son immobilité. Il n’est jamais à la hauteur de l’affreuse croûte représentant le premier mari qui semble le dévisager. Le jour où Legrand passe dans le réel et dans la rue où il terminera en heureux clochard (lui qui était un si malheureux bourgeois), ce jour-là, il est sauvé. A la fin du film, son imaginaire a du succès : il voit son autoportrait vendu à un riche collectionneur et le laisse partir au loin. Tout Renoir est là, dans ce regard cruel et ironique. Legrand a choisi la petite vie (forcément sale), plutôt que l’apparat bourgeois.
Même dans ses films les plus doux, Renoir oppose le réalisme non pas à l’art mais à l’imaginaire amoureux. Celui qui aime, c’est-à-dire qui rêve d’amour, est toujours puni. Le Fleuve, un des ses chefs d’œuvres plus tardifs (1950), ne raconte pas autre chose. Sur les bords du Gange, trois jeunes filles tombent amoureuses d’un capitaine américain qui a perdu une jambe à la guerre. L’adolescente de 14 ans, trop occupée à désirer un baiser du beau Capitaine, le poursuit, laissant son petit frère, tout aussi prisonnier d’une autre fascination – un cobra. Le petit frère, mordu, meurt. L’adolescente s’en voudra à raison. Elle entre alors dans le réalisme des rites indiens – comme le film. Le Fleuve oppose la part romanesque – le marivaudage des trois filles, le mythe du soldat américain, ironiquement diminué – et la part documentaire : du lieu de l’imaginaire et de l’enfance (la cachette dans la maison), le récit se déplace pour des lieux bien réels, le marché et ses travailleurs, le fleuve et ses pêcheurs. La terre indienne elle-même (les traces blanches sacrées au sol) gagne la fiction (les cérémonies de l’enterrement et de la naissance).
Au fond, Renoir ne laisse pas à ses héroïnes d’autre choix que d’être face à lui seul – cinéaste possessif qui veut garder pour lui ses créatures, ses modèles. Ainsi, dans ses films, les grandes amoureuses courent à leur perte. Dans son adaptation de Mme Bovary (1933), Renoir prend le parti pris inverse du film de Minnelli (1949). Dans le monde enchanté de l’Américain, Emma est une rêveuse, du côté de l’art et de l’artifice ; elle est créatrice. Il faut la voir faire la cuisine dans sa robe blanche comme si elle était déjà mariée, ou se regarder dans le miroir au bal se rêvant princesse de conte. Son regard ouvre un monde. Dans le film de Renoir, Emma frémit comme chez Minnelli mais elle est bien la seule à trouver ses aventures romantiques ; le point de vue est inverse, c’est celui du mari trompé. Le film, d’une ironie sans pitié, insiste sur les lieux tristes (la petite chambre de l’amant), et ne garde des rencontres amoureuses que l’essentiel : un échange de regard, une scène où Emma cède, si bien qu’Emma semble sauter sur le premier venu. Son regard est une prison. La caméra de Minnelli valse, s’envole, filme Emma de haut, gracieuse, là où celle de Renoir est désespérément frontale : Emma regarde trop loin, trop haut, et la caméra la recentre toujours, droite, dure, à son niveau. Le Jurieux de La Règle du jeu (1939), aviateur amoureux, donc doublement dans les nuages, en mourra – retombant sur terre. De là, à dire que le cinéma de Renoir est méchant, il y a un grand pas. C’est que la méchanceté de ses films est une méchanceté de classe et non d’individu – sa morale est celle du XVIIIème.

Les Lumières de Renoir – la philosophie.
Si l’inspiration romanesque de Renoir est ancrée dans le XIXème (Flaubert, mais aussi Maupassant avec sa Partie de campagne, et Zola avec Nana et La Bête humaine), son regard est bel et bien celui des philosophes des Lumières. Pas étonnant dès lors que la citation liminaire de La Règle du jeu soit de Beaumarchais, et que, sous le Front Populaire, Renoir se soit prêté au jeu de la propagande communiste le temps d’un film, La Marseillaise (1937). Car la question (de la lutte) des classes hante son cinéma. Les valets, loin d’être pions, influent sur la dramaturgie. La Règle du jeu mêle les cartes, des amours du couple à particule (Christine et Robert de La Cheyniest) à ceux de leur bonne (Lisette) et de son mari (le garde-chasse). Ce dernier pourchasse l’amant présumé dans le château : spectacle pour les invités racés que ces guignols qui rejouent leurs amours sur un mode burlesque. Cette première entrée dans le champ des nobles en annonce pourtant une autre, tragique celle-là : le garde-chasse tue l’amant de Christine, croyant qu’il rejoint Lisette. L’élément perturbateur (un roturier célèbre) disparu, chacun peut reprendre sa place sur l’échiquier sentimental. Renoir se distribue en Octave, ami de Madame, aimé de Lisette : acteur, il est le passeur entre ses deux mondes, cinéaste, il en analyse les codes.
Deux ans avant La Règle du jeu, La Grande illusion donnait le la, décrivant une double amitié de classe (2). Quatre hommes : trois français, le Capitaine De Boldieu, les lieutenants Maréchal et Rosenthal, prisonniers d’un général aristocrate allemand, Rauffenstein. De Boldieu et Maréchal sont faits prisonniers ensemble, le film devrait raconter leur amitié. Au contraire, De Boldieu a fréquenté les mêmes endroits et les mêmes femmes (Fifi, Chez Maxim’s) que Rauffenstein et, malgré leur camp adverse, ils se « reconnaissent », tandis que Maréchal, mécanicien, se lie avec le commerçant juif. A la fin du film, les couples se séparent : les deux aristocrates dans le château, les deux autres fuyant dans l’immensité blanche – le monde. Rauffenstein aimerait «arrêter la marche du temps» mais c’est trop tard : De Boldieu, mort, et lui, blessé, sont deux faibles remparts à l’avancée des prolétaires. «La peinture de ce milieu», écrit Renoir, «me permettait d'insister sur une théorie qui m'a toujours été chère : que les hommes ne se divisent pas en nations mais peut-être en catégories de travail. C'est ce que l'on fait qui est notre véritable nation.» (3)
Durant les années trente, qui comptent sans doute les plus belles réussites de sa carrière, de La Chienne à La Règle du jeu, Renoir crée une œuvre d’une grande cohérence. Deux corps minuscules marchent difficilement dans la neige : c’est le dernier plan de La Grande Illusion. Ce rapport du corps (ouvrier, paysan, commerçant) au paysage est essentiel, parce que c’est bien lui qui est sujet, et parce qu’il est vu dans un paysage noble, c’est-à-dire à travers un genre qui ne lui est pas classiquement destiné. Le Destin, c’est la tragédie grecque : l’ouvrier italien Toni (le soldat romain qui revient victorieux, dans la tragédie) épouse une femme mais en aime une autre qui épouse son patron (le roi). Le film s’appelle Toni (1934) comme pour mieux révéler la familiarisation d’un nom impérial : Antoine… Les gens bas sont vus à travers un genre haut : l’histoire est en creux celle d’une égalité esthétique. Détourner les codes pour filmer depuis la terre, certes, mais avec noblesse – d’où les paysages magnifiques, champs et grand lac romantique, qui glorifient le monde paysan. En cela, Renoir n’est pas seulement le fils des Lumières, mais aussi celui d’un genre pictural, celui de son auguste père : l’impressionnisme.

Le peintre du mouvement – l’esthétique.
On pourrait indéfiniment gloser sur la présence des œuvres d’Auguste Renoir dans les images de son fils : tels Déjeuner sur l’herbe, Partie de campagne ou French Cancan trouvent leur inspiration visuelle dans des tableaux, telle jeune femme ressemble à un modèle du père, tel motif est au centre de l’impressionnisme (les rails de La Bête humaine, l’eau dans tous ses films…). D’une part, ce n’est pas dans les images qu’il faut retrouver cette influence, mais plutôt dans l’esprit : les rails non pas visuellement mais comme représentant d’un modernité (un portrait d’aujourd’hui). Et d’autre part, à trop jouer au jeu des différences et des ressemblances, il ne faudrait pas confondre les plans avec des tableaux. Seuls les cinéastes académiques tentent de reproduire des tableaux, avec l’échec que l’on sait – des films mort-nés. Les plans de Renoir fils, si picturaux soient-il, sont toujours en action, en vie (caméra, corps ou visage de l’acteur). «Je ne conçois le cinéma sans eau» (4), dit-il. C’est l’élément liquide qu’évoque sa mise en scène à travers des mouvements de caméra extrêmement complexes et fluides (5) et des plans séquences véritables morceaux de bravoure : c’est le temps qui coule dans les plans, non sans leur donner une théâtralité.
Les films de Renoir, s’ils sont réalistes, n’en jouent pas moins la distanciation. Le début de La Chienne présente les personnages dans un théâtre de guignol. A la fin du Carrosse d’or (1952), Anna Magnani sort de scène pour regarder le spectateur. Le mouvement des plans est alors celui de la destruction d’un cadre trop précis (et à travers lui, encore une fois, de l’imaginaire). Pas un plan du Carrosse d’or qui ne soit encadré par des portes (très visiblement fausses) ou des fenêtres (à commencer par celle du carrosse). Le film, dont l’action se déroule au Pérou, est tourné à Cinecitta ; Renoir souligne l’artifice du studio et distancie le spectateur des aventures très Commedia dell’arte de Camilla. Devant le rideau, elle est mise en garde par le metteur en scène à gauche de l’écran : «Tu n’es pas faite pour ce qu’on appelle la vie… Ton bonheur tu le trouveras seulement sur scène.» C’est la voix qui permet de sortir du cadre théâtral.
A une époque où l’arrivée du son a fait perdre une part d’inventivité au cinéma, qui devient du dialogue filmé, Renoir a su l’utiliser comme une distance face à l’image. La Règle du jeu débute par le fil du micro de la speakerine qui se déroule de l’enregistreur jusqu’à Jurieux interviewé, furieux que Christine ne soit pas venue l’accueillir, puis cut : Christine, chez elle, éteint la radio. Le son entraîne le mouvement et ironise sur le plan. De même, la musique de La Grande illusion est vouée à se répéter en changeant indéfiniment de sens : la chanson "Frou frou", écoutée au tourne-disque par les Français, sifflotée par les Allemands… Si Renoir n’utilise pas de voix off, sa bande-son se fait le reflet d’une pensée – dans les deux camps, on chante la même chose.
De la peinture et du théâtre, du Guignol et de la musique, Renoir fait un cinéma. Si l’on peut préférer ses films réalistes poétiques, sa période américaine (l’exil de la guerre) garde, à l’intérieur d’un système très formaté, quelques traces de son regard. Intérêt pour la nature (les champs de L’Homme du Sud, 1945), les relations triangulaires malsaines (La Femme sur la plage, 1946) et la sensualité féminine exacerbée (la poitrine d’Anne Baxter dans L’Etang tragique, 1942). Trouvailles formelles, tel le plus beau plan de La Femme sur la plage lorsque la caméra suit le briquet de l’homme qui s’avance vers la femme qu’il aime sous les yeux du mari (aveugle). Renoir ne connaît aucun succès à Hollywood. Il retrouve l’inspiration en passant par l’Inde (Le Fleuve) et l’Italie (Le Carrosse d’or) avant de revenir en France, enfin. Mais il ne parle plus du même endroit. Le réalisme ? On y croit à peine. La cruauté ? Presque envolée. Reste la légèreté, l’incroyable plaisir de faire du cinéma qui transparaît à chaque plan. «Il en est de l’art comme de la vie. On aime une histoire parce qu’on aime le conteur.» (6) Les producteurs n’ont pas dû beaucoup aimer Renoir : ils ne le laisseront plus faire de film. Il écrit, sur son père, sur sa vie, des romans aussi. Plus que le peintre de La Chienne, plus que l’Octave de La Règle du jeu, l’autoportrait de Renoir est peut-être le berger du Déjeuner sur l’herbe (1959), qui, en une mélodie de flûte, provoque une tornade, libérant les désirs et redonnant la vie à un monde figé.


Nota bene : 1 - Renoir, Ma vie et mes films, Champs Flammarion, 2005.
2 - Car, dans les films de Renoir, l’amitié, contrairement à l’amour, est un sentiment positif, terrien.
3- Renoir, ORTF
4 - Renoir, Ma vie et mes films
5 - Regarder un film de Renoir s’avère une leçon pour plus d’un cinéaste d’aujourd’hui (André Téchiné réécrit en 2001 Le Fleuve avec la caméra DV de Loin).
6 - Renoir, Ibid


martin


 
 
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