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David Lynch, Lion d'or et Palme d'or, n'a pas tourné de long métrage depuis 2006. Une longue absence. Heureusement il nous a offert une suite à Twin peaks pour la télé. Et on peut voir ses photos fétéchistes dans l'exposition de Louboutin au Palais de la Porte dorée. Il vient aussi de terminer un court métrage. Elephant Man ressort cette semaine en salles. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Coeurs transis ou coeurs brisés, en un clic fixez sa cote.
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QUEEN GONG
Souvent surnommée l'Adjani chinoise, Gong Li, a longtemps été l'actrice à records : palmarès, médias, films... Egérie publicitaire (L'Oréal) et muse artistique (son ex mari le cinéaste Zhang Yimou et toute la "5ème Génération"), symbole politique (figure de proue de la Nouvelle Chine qui s'éveille) et emblème cinématographique (première chinoise à faire la couverture de Time magazine). Première star "à l'occidentale" venue d'Extrême Orient avant l'arrivée des Maggie Cheung, Michelle Yeoh, Zhang Ziyi... Gong Li cumule les superlatifs. Impératrice du cinéma, elle a pourtant faillit disparaître des écrans.
Rêvant d'être chanteuse, elle échoue à l'entrée de l'école de musique, à 20 ans. Par défaut elle s'inscrit à l'Académie centrale (équivalent du conservatoire français) et en sort diplômée en 1989. C'était le minimum : encore étudiante, elle est choisie en 1987 par une jeune réalisateur, Zhang Yimou, pour être l'actrice principale du Sorgho Rouge. Lion d'or à Berlin. Ce n'est pas simplement la révélation d'une comédienne, mais l'avènement d'un nouveau cinéma chinois... Gong Li devient l'actrice de tous les films de Zhang Yimou (6 entre 1987 et 1995), devenu, entre temps son compagnon. Leur rupture scellera aussi, durant un temps, leur traversée du désert artistique. Zhang Yimou comme Gong Li reviendront en haut de l'affiche, séparément, au début des années 2000. Il a fallu que toutes les braises s'éteignent sans doute.
Femme soumise ou rebelle, prostituée ou éconduite, paysanne et principalement concubine, Gong Li incarne parfaitement la femme amoureuse mais tourmentée, piégée par sa condition, l'époque ou encore les traditions. Impossible d'aimer librement, cela s'achève souvent en tragédie. On lui donne un mari, elle tombe amoureuse d'un serviteur. Jamais à la place qu'on lui dicte, toujours à vouloir celle qu'elle désire. Parfois elle est une simple héroïne - hôtesse de l'air - ou une chanteuse de cabaret. De la comédie (avec Stephen Chow!) au thriller, elle aura exploré tous les terrains du 7ème Art. Des femmes courageuses elle est passée aux femmes fatales avec le temps...
Elle profite alors de l'engouement mondial pour le cinéma chinois (incluant Hong Kong). Incontournable, elle est de tous les "grands" films de l'époque, voyageant de festivals en festivals, imposant son nom comme une marque, singulière. Si Hollywood l'ignore, elle séduit les critiques du monde entier et enchante les cinéphiles. femme forte, à caractère même, et belle, elle représente bien cette Chinoise égalitariste (ce qui plaît aux Maoistes) mais aussi un cinéma "déformaté", révolté, passionnel.
C'est un moment particulier dans l'histoire du cinéma chinois : l'émergence de plusieurs talents, avec des histoires alliant le passé et les traditions à un discours plus moderne et même assez féministe. Chen Kaige, Zhang Yimou, Tian Zhuangzhuang, Huang Jianxin, Hu Mei partagent leur rejet d'un socialisme liberticide. Si son concubin lui donnent ses plus beaux rôles, Gong Li trouve dans un Jules et Jim de Chen Kaige, Adieu ma concubine, une consécration internationale : palme d'or à Cannes, prix à New York, succès en salles en Europe... Toute la révolte des artistes, les destins broyé par le système prennent leur ampleur à travers cet adieu en forme d'espérance. La quatrième génération (celle de la révolution culturelle) est enterrée, et avec le traumatisme de Tiananmen, la cinquième (ab)use de la métaphore politique avec leurs films. Certains cinéastes et comédiens s'expatrieront ou préféreront privilégier des productions étrangères. Gong Li fera l'erreur de ne pas apprendre l'anglais assez vite. Et juste après sa séparation avec son mentor, ce dernier trouvera la perle rare pour la remplacer en 1999 dans The Road Home : la jeune et innocente Zhang Ziyi.
Cruel : à ce moment là, Gong Li fait son chant du cygne avec Breaking the Silence qui lui vaut tous les honneurs. Une interprétation sans faille en mère courage, sans maquillage. Hélas dans le même temps, la comédienne rate deux marches : son premier film en langue anglaise, Chinese Box, de Wayne Wang, un ratage artistique, et la plus importante production chinoise de l'histoire (à cette date là), le nouveau Chen Kaige, L'empereur et l'Assassin, ennuyeux et lourd, coûteux et impopulaire. Gong Li va sombrer dans l'oubli, après ces deux fiascos. Elle ne parvient pas à s'internationaliser alors que le cinéma, les cinéastes et les comédiens chinois vont investir les multiplexes occidentaux ; trop connotée années 80/90, elle ne joue dans aucun des films de la Sixième génération (Lou Ye, Jia Zhangke, Wang Xiaoshuai, Zhang Yuan) qui envahit les festivals dès la fin des années 90. Ce cinéma d'auteur, caméra portée, aux sujets plus radicaux, flirtant avec les limites floues de la censure, pas loin de notre "cinéma vérité", bénéficiant de capitaux internationaux passent à côté d'elle.Comme si ces films plus individualistes, moins romanesques, plus âpres n'étaient pas appropriées pour cette star. Plus inquiétant, les Ang Lee et Wong Kar-wai ne font pas plus appel à elle. Elle manque tous les tournants, et sa carrière se crashe avec l'an 2000. Elle ne tourne plus durant trois années. On parle d'une retraite. Elle s'implique dans des causes humanitaires, jouent les mannequins publicitaires pour des grandes marques, se promènent dans les jurys de cinéma, forte de son statut de "vétéran" du 7ème Art et de cette passion occidentale pour tout ce qui a trait à l'Asie.
Elle a très vite capitalisé sur sa popularité mondiale. Membre d'un comité de citoyen en faveur des libertés individuelles en Chine, elle a même été surveillée et parfois vue d'un mauvais oeil par Pékin. Lors de sa trahison (le mariage avec un étranger), on lui chercha des noises (y compris fiscales) qui aboutirent vers 2000 à la disparition de Gong Li sur les écrans. Limite paria du régime après lui avoir tant offert (en image). Le régime avait sans doute peur de cette déesse qui a tant fait pour promouvoir un cinéma chinois plus libre. Elle est d'ailleurs toujours soumise à l'approbation d'une commission pour le choix de ses rôles, notamment à l'étranger. Mais ça n'a pas empêché les dignitaires de faire appel à elle pour vendre "en beauté" les J.O. de 2008.
Ce n'est pas le temps des adieux. Intelligente, l'actrice va rebondir. En trois temps, troubles et maladroits. Une aventure amoureuse pour Zhou Sun. Le réalisateur de Breaking the Silence lui permet de briser ce silence de trois ans. Il l'a fait jouer avec Tony Leung, tout juste auréolé d'In the Mood for Love. Le film, Train, n'est pas une grande réussite. Mais c'est à ce moment que Wong Kar-wai, le cinéaste asiatique le plus vénéré des cinéphiles (grâce au fameux In the mood for love justement), l'enrôle pour incarner une "princesse" déchue, une vamp vieillissante, dans un segment de Eros. Elle impose une distance et une beauté, une magnificence et une cruauté qui laissent bouche bée. Kar-wai, enthousiasmé, lui met Tony Leung dans les pattes dans 2046. Si ce brelan de Reines lui ré-ouvre les sentiers de la gloire, elle ne parvient pas à rivaliser avec Maggie Cheung (prix d'interprétation cannoise chez Assayas), Michelle Yeoh (entre James Bond et Tigre et dragon, de loin la plus populaire de ce début de décennie) et Zhang Ziyi qui accroche tous les regards, lui volant la vedette dans 2046.
Gong Li n'a fait parti d'aucun des hits chinois : ni ceux d'Ang Lee, ni ceux de Zhang Yimou (Hero)... Evincée de ce genre de nouvelles productions qui misent sur l'action, où elle n' a pas de talent, elle semble, évanescente, sortie d'un musée. Son jeu mise sur la pudeur, l'économie de geste, les regards embués. Un roseau sauvage, qui plie mais ne rompt pas. Elle est faite pour les drames humains, les tragédies historiques, les pas de deux sensuels mais prudes. Cependant elle s'adapte. Dans sa première super production américaine, Mémoires d'une Geisha, elle prend plaisir à jouer une Geisha fourbe, vicieuse et rentable. La méchante c'est elle. Elle se soumet aussi à la toute puissante Michelle Yeoh et son héritière Zhang Ziyi. Elle n'a qu'un second rôle, ingrat, mais sublime. De quoi montrer qui est l'actrice, la grande comédienne. Elle semble ainsi vouloir approcher le public américain par des films d'auteur très hollywoodiens. Aucune prise de risque. Geisha n'est qu'une oeuvre à Oscars. Miami Vice un blockbuster de Michael Mann où elle s'amuse à jouer double jeu. Elle est parfaite pour nous abandonner dans les dédales de son inconscient. Young Hannibal, La marque jaune ne seront jamais à la hauteur de ce qui a rendu Gong Li si légendaire dans nos mémoires... Loin de ses films où elle enflammait nos coeurs et nos esprits avec ces oeuvres néo-réalistes sinophiles... Mais on revient toujours chez soi.
Comme beaucoup d'acteurs étrangers qui se perdent à Hollywood, elle n'est bien que chez elle, en Chine. Après deux ans de tournage en Amérique du nord, Gong Li revient en Chine. Et comme tous les couples de cinéma, le spectateur n'a qu'une hâte : celle de revoir les amoureux d'autrefois se réconcilier. Elle sera donc chez Zhang Yimou pour un souvenir d'automne, un film entre romance et aventure, face à Chow-Yun Fat. Gong Li rattrape le temps perdu, met les bouchées doubles. Impériale. Certes, elle ne montre plus la voie. Pourtant, à revoir sa filmographie elle occupe un espace unique dans nos fragments visuels qui nous hantent : comme si le cinéma chinois avait un seul visage, le sien.
vincy
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