David Lynch, Lion d'or et Palme d'or, n'a pas tourné de long métrage depuis 2006. Une longue absence. Heureusement il nous a offert une suite à Twin peaks pour la télé. Et on peut voir ses photos fétéchistes dans l'exposition de Louboutin au Palais de la Porte dorée. Il vient aussi de terminer un court métrage. Elephant Man ressort cette semaine en salles.



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LA BALLADE DE JOLIE JANE

Show must go now
Peu avant le Noël de 1947, une exquise esquisse voit le jour en Angleterre. Fille de David Birkin Commandant de la Royal Navy - daddy, héros de la seconde guerre mondiale, transbordent les combattants de la France libre et sauve ainsi un certain François Mitterrand - et de Judy Campbell, comédienne et muse de Noël Coward, le célèbre dramaturge britannique.
Dès l’adolescence, Jane passe sa première audition dans un théâtre londonien. Le trac la pétrifie. Elle ne peut prononcer un mot sur la scène. Coup de bol. La jolie sans voix est engagée sur-le-champ pour interpréter le rôle d’une muette violée puis écrasée par un bus. Avant de devenir Jane B., miss Birkin annonce la c(d)ouleur et signe Jane S. comme scandaleuse.
Alors que le swinging London bat son plein, le compositeur en vogue John Barry engage la débutante dans sa comédie musicale Passion Flower Hotel. Le titre est prémonitoire car les fleurs de la passion unissent le musicien à l’actrice qui, très vite, met au monde son premier bébé : Kate. Le mal être résonne déjà chez la jeune femme qui cache un crayon noir sous son oreiller afin de se maquiller au petit matin avant que son époux ne se réveille. Pour être présentable, mais avant tout pour être « aimable ». Peine perdue, John Barry le volage file à l’Anglaise vers les « famous sunlights » de Los Angeles. Jane l’a échappé belle. Peut-être si elle avait suivi son mari, serait-elle devenue aujourd’hui une « hype woman » bronzée et botoxée. Californienne alcoolique alanguie à longueur de journée près d’un carré turquoise aux eaux suicidaires si chères aux romans de Bret Easton Ellis.
Meurtrie et mère célibataire, Jane se jure alors ne plus jamais dépendre d’un homme. Mais de la caméra pour subsister ; pourquoi pas ?… Celle-ci la capture tout d’abord dans « The Knack… and how to get it » de Richard Lester aux côtés de deux « gorgeous beginners » : Charlotte Rampling et Jacqueline Bisset. Puis, Michelangelo Antonioni la montre toute nue entre les bras d’une comparse sous l’objectif d’un photographe voyeur dans « Blow up ». Re-scandale outre-Manche, mais aussi le premier chef-d’œuvre de Jane dans l’histoire du septième art.

Little Monroe
En 1965, Birkin débarque en France avec son bébé et un panier d’osier déjà rempli de mille objets mystérieux. Elle doit auditionner pour « Slogan » de Pierre Grimblat et rencontrer son partenaire : Serge Bourguigon. La délicate ingénue ne parle pas un mot de français et confond « Gainsbourg » et « Bourguignon ». Qui ne pas fondrait pas devant une si charmante ignorance ?… Gainsbourg himself à qui l’on avait promis comme partenaire le top modèle Marisa Berenson. Le chanteur alors très acteur souffre dans son ego de se retrouver face à une inconnue. Lors des bouts d’essai, l’arrogant ne fait rien pour aider Jane. À bout, elle éclate en sanglots. Ses larmes attendrissent Grimblat (comme Gainsbourg plus tard qui les enregistre dans « Je suis venu te dire que je m’en vais »). Le début du tournage est catastrophique tant les deux comédiens se haïssent. Le réalisateur propose un dîner de réconciliation à trois. Bien sûr, il n’y assiste pas et le lendemain, Jane et Serge se donnent la main sur le plateau. Lolita doesn’t go home et Kate ne jouera à Moïse sur les eaux de la Manche dans le panier d’osier de sa maman…
Bien avant l’ère vulgaire des people, Gainsbourg et son Gainsborough composent l’un des couple les plus beaux, sexy et artistiquement haut de gamme de la seconde moitié du XXe siècle en France. Le dandy magnifique, juif et slave fait aussitôt enregistrer sa nouvelle égérie à la voix d’enfant de chorale. Avec « Je t’aime moi non plus » - écrit pour Brigitte Bardot - Jane S. la sulfureuse est de retour.
Avec ses souffles orgasmiques à répétition, le disque déchaîne les foudres du Vatican et embrase les cours d’Angleterre et de Hollande qui interdisent sa diffusion.
Heureusement, la France qui aime Birkin lui lance : « Puisque vous chantez et bien jouer la comédie maintenant ! ». Pendant ces années, le cinéma hexagonal propose à la comédienne un registre acidulé. Tout dans le popotin (magnifique !), rien dans la tête, elle avance aussi délurée que dénudée dans des comédies aujourd’hui oubliées. Pourtant, Claude Zidi sait conjuguer sa candeur au burlesque de Pierre Richard. Au sein de ce couple un brin paumé et naïf, la poésie fait mouche. Dans « La moutarde me monte au nez », Birkin alias Jackie Logan casse la figure de tout son cœur à des dizaines de cow-boys. Dans « La course à l’échalote », elle incarne Janet, une coiffeuse qui oublie ses croque-monsieur dans le casque de ses clientes.
Populaire et légère, toujours souriante mais jamais dupe, diablement subtile et spirituelle, Jane réussit le tour de force d’être à la fois belle et drôle. Il y a du Monroe chez cette Birkin-là…

Je t’aime moi toujours
Cependant, Jane se lasse de cette image d’ingénue perverse. La jeune comédienne autrefois godiche est devenue l’une des stars les plus lumineuses et les plus courtisées du cinéma français. C’est elle qui fait bouillir la marmite de l’hôtel particulier de la rue de Verneuil qu’elle partage avec celui qu’elle appelle - ravissante prononciation - Se (r) ge ! Pendant ces années-là, malgré de pures merveilles comme « Melody Nelson » et « L’homme à la tête de chou », Gainsbourg ne vend pas de disques alors que sa compagne attire des milliers d’entrées dans les salles obscures. Serge est en passe de devenir Mister Birkin…
Après « Sept morts sur ordonnance » de Jacques Rouffio qui montre l’actrice dans un rôle dramatique, c’est Gainsbourg qui révèle l’immense tragédienne qu’est Birkin. Il réalise « Je t’aime moi non plus », un bijou de cinéma ciselé comme un poème. Une œuvre à part que l’on peut qualifier de « luxundergroud ». Extrait du synopsis écrit par le créateur :
« Un camion Mac d’un jaune glauque avec une figurine pin-up Veedol à la proue. À son bord deux pèdes. Padovan, introverti et torturé qui triture sans arrêt un sac de plastique et Krass, macho, musclé, regard acier.
Une route rectiligne, un paysage désolé, sorte de no man’s land émotionnel, et géographique, le trou de balle du monde. Il y règne d’ailleurs un pétomane nommé Boris qui écluse du champ’ à longueur de journée, laissant la p’tite Johnny s’occuper seule de son snack . On y sert des burgers, du coca-cola ou de l’orange juice, tout y est américain, pour accentuer le décalage, pour neutraliser l’anecdotique. »
Birkin en débardeur, jeans et perruque courte campe un Johnny émouvant, troublant, bouleversant. Elle s’aliène en mangeant des asperges à la crème devant Krass excité (Joe Dalessandro, sexuellement angélique). Elle se donne à lui comme un garçon dans des chambres d’hôtel crades où elle gueule si fort son plaisir que les deux amants se font éjecter de partout. Ils se réfugient dans les décharges publiques qui deviennent des Atlantide peintes par Edward Hopper et Andrew Wyeth grâce à la lumière splendide de Willy Kurant.
Le film est accueilli comme un brûlot. Seuls François Truffaut - qui a un temps avec Jane un projet intitulé « Les lolos de Lola » - Pierre Tchernia, Robert Chazal et Henri Chapier osent le défendre. Le scandale est immense. Jane ajoute un S comme sodomite à sa panoplie. Londres range le film dans la catégorie des pornos. En France, une censure souterraine écarte des plateaux pendant deux longues années la plus pure de tous les garçons manqués. Pourtant, la comédienne peut s’enorgueillir de ranger dans son panier un second chef-d’œuvre aujourd’hui reconnu - au sens le plus rare, le plus noble et le plus propre du terme - culte !

The men she loves
Au début des années quatre-vingt, un homme ténébreux aux traits anguleux sonne à la porte de la rue de Verneuil. Birkin lui ouvre et découvre Jacques Doillon, un réalisateur réputé intellectuel inconnu à son bataillon. D’emblée, elle est séduite par ce ténébreux qu’elle compare à un vieux protestant croisé avec un Peau-Rouge. Il lui déclare que dans son prochain film, il l’imagine boutonnée jusqu’au cou et que c’est l’intérieur de sa tête qu’il souhaite déshabiller.
Tous deux commettent « La fille prodigue ». Histoire d’inceste d’une grande pudeur dans laquelle Jane porte à bout de bras - littéralement ! - son père joué par Michel Piccoli. Le comédien la classe alors - avec Romy Schneider, Catherine Deneuve et Léa Massari - parmi les plus grandes actrices de cinéma croisées dans sa carrière.
« La fille prodigue » qui sort en 1981 en pleines élections présidentielles, passe inaperçue. Les visages de Giscard d'Estaing et de François Mitterrand recouvrent le visage démaquillé de Birkin dont la beauté pâle rappelle celle de Falconetti. Jane arrache de rage les affiches politiciennes sur les Champs-Élysées. Pourtant, elle vient d’étendre le champ de sa sensibilité, le spectre de sa visibilité à des réalisateurs décrétés sérieux (Agnès Varda, Jacques Rivette, Jean-Luc Godard, Bertrand Tavernier…) qui ne cessent de la réclamer jusqu’à l’orée des années quatre-vingt-dix. Le cœur de Jane change aussi car depuis le succès de la Marseillaise en reggae, Gainsbarre prend le pas sur Gainsbourg. Entre Dr Jekyll et Mr Hyde, elle choisit… Jacques Doillon qui lui offre deux films pendant leur histoire d’amour.
Face à la caméra de cet ausculteur obsessionnel des tourments, Birkin fébrile semble jouer sa vie à chaque plan. Dans « Comédie » avec Alain Souchon et surtout dans « La pirate », l’œuvre majeure du couple. En 1983, le film est présenté au festival de Cannes. Il suscite le même fracas, subit le même rejet que « Je t’aime moi non plus » à sa sortie. Comme si elle entrait en religion, Jane S. la subversive défend le film à genoux face à la presse choquée par son propos lesbien. Birkin - diaphane à couper le souffle - interprète dans ce huis clos le rôle de Elle, amoureuse de Maruschka Detmers qui vampirise ses sentiments. Doillon lui offre l’une de ses plus belles partitions de victime désignée et aussi - couteau en main - une crise de nerf mémorable dans la cabine d’un yacht. Psychose on the boat…
Gainsbourg donne également un cadeau aussi somptueux que douloureux à Jane. « Baby alone in Babylone », l’album-iceberg qui dévoile la face cachée et meurtrie de Serge depuis leur séparation. Ce disque - le plus beau de ce duo d’artistes - est à des milliers de lieues des élucubrations de Gainsbarre. Il frôle la plus délicate, la plus cristalline des perfections et remporte le prix Charles Cros.
Désormais, Jane S. veut dire serious actress and singer...

Lady Jane

Le cinéma est un ogre amateur de chair fraîche aussi macho qu’amnésique. Des années quatre-vingt-dix jusqu’au début du XXIe siècle, il s’éloigne quelque peu de Birkin. Parfois, il se souvient d’elle dans des œuvres de Jean-Pierre Mocky, de James Ivory, de Catherine Corsini ou encore de Carine Tardieu... Malgré tout, l’actrice à l’apogée de son talent hyper sensible, est à l’affiche de deux films magnifiques : « La belle Noiseuse » de Jacques Rivette et « On connaît la chanson » d’Alain Resnais. Mais Jane a plus d’un tour dans son sac - animal glouton, énorme et informe - qui semble greffer au bout de son bras. Elle conquiert le music-hall avec éclat et devient l’ambassadrice la plus inspirée, l’interprète la plus précise de l’œuvre de Gainsbourg qu’elle fait découvrir sans relâche au monde entier.
Du music-hall au théâtre, la scène devient l’arène principale de son expression artistique. Elle dont on a tant brocardé le filet de voix interprète dans la grâce du funambule aspiré par le vide, le répertoire classique (Marivaux, Sophocle…) et contemporain (Carrière, Horowitz…). Gainsbourg, dans son dernier souffle, lui envoie son ultime volute de fumée et le jour de son enterrement, David son père meurt aussi. Son cœur n’est plus à papa. Sans propriétaire, il bat désormais pour la terre entière. Fougueuse, à fleur de peau, telle une Jeanne d’Arc des temps modernes, Jane s’engage alors sur tous les fronts de l’humanitaire.
En 1987, Alice franchit aussi peu à peu le miroir. Elle écrit dans la foulée du docu-fiction « Jane B. par Agnès V. » le scénario de « Kung Fu master » réalisé par Agnès Varda. Dans « La fille de quinze ans », elle est l’assistante de Jacques Doillon. Dans l’ombre, elle le soutient activement dans chaque étape créatrice de l’œuvre. En 1992, elle se lance enfin dans l’aventure de la mise en scène avec un téléfilm pour Arte « Oh, pardon tu dormais » qu’elle adapte et interprète au théâtre.
Il y a dix ans, alors qu’un nouvel amour d’écrivain lui promet l’embellie, Jane décide de faire le grand ménage dans ses souvenirs. Elle ouvre les boîtes de sa vie sous la forme d’un scénario qui laisse échapper les « daddie’s ghosts » de ses trois filles : John Barry pour Kate, Serge Gainsbourg pour Charlotte et Jacques Doillon pour Lou.
Acharnée, elle se bat longtemps pour parvenir à monter « Boxes », un film « test-amants » où elle mêle dans un bouquet surréaliste les fleurs diverses, les parfums désordonnés de sa grande famille recomposée. L’âme d’une grande absente plane pourtant sur la distribution car Judy Campbell, sa mère, qui devait jouer son propre rôle s’envole pour toujours peu avant le tournage.

Icône métamorphosée
L’allure « aristocrate de la gouttière », l’élégance négligée, la classe savamment débraillée demandent une application et un travail constants. À ce titre, Jane est une véritable star, organisatrice de son image jusqu’au bout de ses ongles apparemment ignorés. Ambassadrice d’un look « cashmere clochardisée », bourgeoise bohème bien avant l’avènement des bobos, la comédienne est sacrée - dans les années soixante-dix - la femme la plus élégante par Madame Grés. La styliste célèbre pour ses drapés à l’antique déclare admirer l’accent immuable, les pantalons d’homme, les pulls amples et les vestes trop larges qui créent l’identité Birkin. Le comble de la sophistication aux yeux de la grande couturière.
Au jeu du moi et du je, les apparences de Jane traduisent les multiples (r)évolutions de l’artiste : les robes ultracourtes et virginales des sixties qui laissent entrevoir ses culottes de dentelle (dessous chics, of course…), puis les robes souples et sexy de Loris Azzaro qui allongent sa ligne à l’infini lorsqu’elle se déhanche sur « La décadanse », enfin l’épure mélancolique et cérébrale d’un tee-shirt blanc de garçon, d’une paire de jeans azurée et de baskets sans lacets. Au cœur des années quatre-vingt, lors d'un voyage en avion, l’actrice est assise à côté d’un passager inconnu. Souffrant du complexe de l’escargot, elle se plaint de son sac trop petit. L’homme alias le directeur d’Hermès lui propose de concevoir le cabas de ses rêves. Jean-Louis Dumas créé le fameux « Birkin Bag » qui succède au « Kelly » et connaît depuis un succès mondial.
De Brigitte Bardot, Anna Karina, Françoise Hardy, Catherine Deneuve, Isabelle Adjani jusqu’à Vanessa Paradis, Gainsbourg a fait murmurer les femmes les plus « glam-bouleversantes ». Mais vous êtes son élue Jane. Sa face B à jamais. La plus puissante, passionnante et rayonnante. Perpétuelle chrysalide, étoile mutante, muse et vampire, narcisse et reine de cœur, je vous hisse sur un piédestal au fil de ces lignes. Moi, le Lilliputien, le fan émotif qui tremble devant vous. Prenez-moi dans le creux de votre main, plongez-moi dans votre sac, cousez-moi à vif à dans l’une de ses coutures, chamboulez-moi, malmenez-moi, trimballez-moi dans votre bric à brac bilingue qui transcende les frontières. Emmenez-moi jusqu’à l’ultime note d’une chanson, jusqu’à la dernière ligne d’un générique de fin, jusqu’au bout du monde, jusque dans l’au-delà… Nous y défierons les lois de l’apesanteur et chanterons ensemble cette savoureuse mélodie que vous susurriez il y a quelques poussières de temps : « Je souffle dans les capotes anglaises / Ça fait des jolis ballons / Satellites artificiels / Montez vite jusqu’à Orion / Allez dans le ciel faire les cons… ».

Benoit


 
 
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