David Lynch, Lion d'or et Palme d'or, n'a pas tourné de long métrage depuis 2006. Une longue absence. Heureusement il nous a offert une suite à Twin peaks pour la télé. Et on peut voir ses photos fétéchistes dans l'exposition de Louboutin au Palais de la Porte dorée. Il vient aussi de terminer un court métrage. Elephant Man ressort cette semaine en salles.



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FAÇONNEUR DE REALITES





« La réalisation d’un film est une aventure si épuisante et si débilisante que, si l’on n’est pas convaincu d’avoir rencontré un sujet qui touche à la fois l’esprit, l’âme et l’œil, il vaut mieux rester chez soi et lire des livres. »

Cinéaste de la contradiction, Brian De Palma suscite autant le rejet que l’admiration. Auteur qui a su rester fidèle à sa vision du cinéma malgré les années, il ne doit rien à personne, n’a plus rien à prouver sauf à lui-même et continue de cultiver son indépendance d’artiste comme peut être aucun autre réalisateur à Hollywood. Régulièrement honnis par une presse américaine peu enclin à défendre le cinéma d’un réalisateur doué mais inégal, il est au contraire soutenu par la critique française dans son ensemble (avec une mention spéciale pour les Cahiers de Cinéma). Son cinéma, terriblement humain, est un patchwork brouillon mais haut en couleur des sentiments les plus intimes qui le traverse. Loin du film d’Entertainment classique, sa filmographie regorge d’essais un brin provocateur qui stigmatise une époque, exacerbe une société depuis trente ans au détour des fantasmes, des irréalités, des pulsions et de toutes les anomalies qui la pervertissent.

Son œuvre teintée d’un cynisme romantique et d’une part d’autobiographie, ne peut se dissocier du cinéaste. De Palma est un rebelle, un expérimentateur qui essaye depuis quarante ans de brouiller les pistes, entre les figures de style qui décomposent l’image (split screen) ou bien qui la rendent d’une cohérence absolue (plan séquence). Manipulateur, il aime plonger le spectateur (lorsqu’il ne le dupe pas) au cœur de la scénarisation de ses histoires, souvent folles, parfois grotesques, toujours démesurées et à la limite du réalisme. Mais qu’importe car il a le talent, la prétention et la certitude de croire que les spectateurs (au moins ceux qui vont voir ses films) possèdent la culture cinématographique pour comprendre les ambiguïtés qui structurent le squelette de ses longs métrages. Et là, il y va gaiement en nous livrant des scènes phares comme des points de rupture qui définissent chaque film, le réduisant parfois à cette seule dimension, mais l’inscrivant presque systématiquement vers ce qui défini le mieux son auteur. Cette particularité « depalmienne » lui confère un statut d’auteur et non de simple faiseur. Pour certain c’est du grand art, pour d’autre de l’esbroufe. On en revient au point de départ. C’est tout l’un ou tout l’autre, divisant avec virulence les avis. De Palma le sait. Peu lui importe car son art, beaucoup plus subtile qu’il n’y paraît, procure dans son foisonnement parfois excessif l’idée du plaisir instantané qui se renouvelle toujours par la grâce d’une maîtrise absolue de la grammaire cinématographique.

Débuts morcelés
A la suite de son premier choc grandeur nature avec le Vertigo d’Hitchcock, De Palma se cherche, expérimente et façonne avec d’autres le cinéma postmoderne américain. Nous sommes dans les années 60. Basé à New-York, il enchaîne des courts (Icarus, 660214, Woton’s Way…), des documentaires (Bridge that Gap, The responsive eye…) et réalise pour deux francs six sous un exercice d’étudiant très sixties, The Wedding Party (1966, mais sorti en 1969). Ce visuel déconstructiviste est le réceptacle d’une tendance qui, pour le réalisateur en herbe qu’il est encore, impose ce qui l’anime fondamentalement et restera pour longtemps, voir à jamais, comme le contraire de toute narration standardisée. Dionysos 69 (1970) prolongera cette tendance. Adaptation très libre des Bacchantes d’Euripide, ce deuxième long métrage, filmé par deux caméras 16mm, casse l’image en plusieurs points, inaugurant pour son auteur la technique du Split screen qui ne le quittera plus. De cette période underground façonnant l’esprit rebelle et un brin clinquant du réalisateur bientôt résident californien, il tirera son premier classique : Sœurs de sang (1973). Mélange habile mais étrange entre l’hommage appuyé au maître Hitchcock et les pulsions d’un cinéaste dans sa recherche de cohérence visuelle afin d’affirmer son statut d’auteur, cette réussite filmique et publique lui donnera l’occasion d’asseoir deux ans plus tard le culte « depalmien » avec Phantom of the Paradise (1975). Préfigurant l’entrée dans un genre qui façonna sa légende (Obsession, Pulsions, Carrie, Furie etc.), cette comédie musicale d’opéra rock inspirée du Fantôme de l’Opéra, de Faust et du Portrait de Dorian Gray libère dans une démesure visuelle ahurissante toutes les thématiques du maître : voyeurisme souvent criminel, goût de l’opératique, du grandiloquent, culte de l’apparence, mysticisme à peine voilé, esthétique tranchée entre kitch assumé, vulgarité du propos et romantisme noir. Synthèse réussie à la limite de l’orgasmique, ce film séduit par son style ampoulé, ses improvisations de caméra délirantes, sa plongée dans le fantasmagorique et son goût immodéré pour la construction de plans aux multiples effets. Marque d’un cinéaste avant tout visuel, il réussit là où beaucoup se serait planté, juxtaposant avec le génie de l’équilibriste mauvais goût et esthétique bariolée, kitch et reconstitution travaillée (Les Incorruptibles ou Mission to Mars), lenteur excessive et fureur décomplexée. Chef d’œuvre de mise en abîme, il préfigure magistralement la carrière d’un cinéaste beaucoup plus torturé et intime que ne laisse penser ses différents opus un brin plus analytiques.

Le diktat de la technique
Réalisateur de l’excès avons-nous dit. Celui des processus techniques avant tout ; mais pas uniquement, car en construisant ses films autour de séquences phares, il favorise un point de « rencontre » entre les personnages et le spectateur. Nous devenons cette attente frémissante collée au fauteuil subissant le dénouement d’un auteur qui manie comme personne l’illusion et le trompe l’œil. A ce titre, la mise en scène qui supporte ses thématiques, sublime parfois jusqu’à la nausée ce sentiment de répulsion / fascination. Nous sommes happés dans son délire oculaire manipulateur et donc terriblement jouissif. Comme dans Blow Out (1982), Femme fatale (2002) ou Body Double (1985), le spectateur devient ce voyeur omnipotent baladé au rythme des évènements. Si l’on excepte Phantom of the Paradise qui regorge en continu de cette maestria visuelle, comment ne pas répondre émotionnellement à la scène de bal dans Carrie (1976), au final homérique dans Femme fatale, à la course effrénée dans L’Impasse (1994), au meurtre dans l’ascenseur de Pulsions (1981) ou bien à la fameuse scène des escaliers des Incorruptibles. Toutes ces scènes répondent à des mouvements de caméra qui définissent le style si particulier de De Palma. Plus encore, elles ont une valeur expressive très nette car elles résument en quelque sorte la tension, la finalité et le but de chaque film. Que ce soit au début, au cours ou vers la fin, ces séquences définissent un cadre, expriment une vision et jouent sur la perception du déroulement de l’histoire. Souvent incomplète, éclatée, relative, la perception construite interpelle alors nommément chaque spectateur.
D’autres réalisateurs utilisent ce procédé, mais chez De Palma c’est quasi organique et donc va bien au-delà de la simple ritournelle scénaristique. La réalité est variable et comme le photographe dans Femme fatale, le preneur de son dans Blow Out, le voisin et son téléobjectif dans Body Double, les images vidéo parcellaires dans Mission to Mars (2000) et la vidéosurveillance dans Snake eyes (1998), il est impossible de fabriquer une vue d’ensemble, le processus de reconstitution mentale devant alors faire tranquillement son travail. Nous sommes condamné, comme chaque personnage des films de De Palma par ce que l’on voit ou croyons voir, ce que l’on entend ou croyons entendre. Notre perception est mise à rude épreuve et nous devons procéder au décryptage.

Une cinéma psychique et hypnotique
Cette façon d’opérer résume parfaitement la mise sous tension d’un cinéma que certains jugent gratuit, grandiloquent ou bien nombriliste. Cette marque de fabrique est assumée et correspond à la fascination du maître pour le suspense, triturant une réalité instable, des peurs profondes et des fantasmes coupables. Cela peut déranger ou énerver, mais c’est ainsi qu’il fabrique avec brio sa vision du monde. La forme chez De palma importe autant que le fond et démontre l’entreprise du bonhomme. Celle d’un auteur qui veut raconter des histoires par le biais d’une grammaire non figée, modulable à souhait, dans une exubérance qui peut donner L’esprit de Cain (1992) ou Le bûcher des Vanités (1991). Contre tout, remplit de désillusion, provocateur et un brin déstructurant, ces deux films dénotent une volonté farouche de puiser jusqu’au-boutisme la virtuosité du cinéaste. Alors il crée des OVNI improbables, sorte d’avatars digressifs de son propre cinéma qui fini, inéluctablement, par se parodier. Pourtant il ne faut pas se laisser berner par cette maestria de sophistication et reconnaître les mises sous tension, les plages d’attente, entre scènes de filature et de voyeurisme (Blow Out, Body Double). Il met en posture ses personnages et travail ses effets. D’Obsession en hommage à Hitchcock avec une pointe d’onirisme en plus à Body Double, mixte kitch mais haletant de Fenêtre sur cour et Vertigo, De Palma trace une ligne exemplaire qui fini par se dédoubler. Carrie, Furie, Pulsions, Blow Out se présentent comme des pastiches inventifs postmoderne de plusieurs chefs-d’œuvre. Hitchcock, Antonioni, Aldrich (Split screen notamment) et Argento. Or, la force de De Palma est de (re)façonner ce cinéma qu’il vénère. En se servant de films comme Citizen Kane, Psychose, Vertigo, Double Indemnity, il se remet en question pour amener son art dans la réactualisation de thématiques qui lui sont chères. Ce qui l’intéresse c’est de proposer une lecture active de ses films au spectateur. Polar, thriller, histoire fantastique, étude psychologique…tout est bon pour redéfinir l’essence même de la mise en scène. Il le fait à sa façon (Scarface, 1984, est un film monstrueux de violence, de vulgarité éclairée, de mise en scène pompeuse et de jouissance ultime) et développe l’idée selon laquelle la manipulation de ses personnages équivaut à la manipulation du spectateur. C’est cette lecture permanente du cinéma qui façonne le projet artistique du cinéaste. Loin de tout plagiat, la réappropriation d’une histoire qui appartient à tout le monde, est utilisée pour créer une œuvre originale, cohérente, évolutive, issue des sixties, expérimentale, romantique, narrative ou bien cynique.

Combats absurdes, morales maléables
Si la plupart de ses films demeurent analytiques ou cérébraux, le réalisateur arrive dans un déploiement d’images à proposer du mélodramatique. Outrages (1990) en est le parfait exemple. D’un sujet fort qui critique les conséquences d’une guerre absurde, il parvient à rechercher la profondeur d’une image dans sa raison d’être, son origine en tant que révélateur ou source d’information. Pour ce faire, il n’hésite pas à construire son film à partir d’une forme recherchée, virtuose, « visible », mais qui triture la réalité pour éclairer, critiquer et dénoncer. Ce film, nonobstant ses quelques défauts, exprime alors la synthèse idéale du film « depalmien », que l’on retrouve en moins réussie sur le récent, Le Dahlia Noir (2006). Peu importe la cohérence des différents scénarii, ce qui compte c’est la réflexion d’un homme qui alimente en sous main l’art de la persuasion par l’image. Son dernier film et chef-d’œuvre Redacted (2008) ne fait que cela. En renversant la problématique, en livrant des images différentes dans leur conception, leur procédé de fabrication et leur portée symbolique. Ce revirement n’en est que plus logique, tant De Palma a su puiser dans son énergie créatrice afin de produire des images qui ont mis en lumière un cinéma unique en son genre.



Geoffroy


 
 
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