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David Lynch, Lion d'or et Palme d'or, n'a pas tourné de long métrage depuis 2006. Une longue absence. Heureusement il nous a offert une suite à Twin peaks pour la télé. Et on peut voir ses photos fétéchistes dans l'exposition de Louboutin au Palais de la Porte dorée. Il vient aussi de terminer un court métrage. Elephant Man ressort cette semaine en salles. |
(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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LA SOIF DU BIEN
Christopher Nolan s’est affirmé en une décennie comme un cinéaste majeur. Revendiquant sa culture du film noir, il a réussi, film après film, à maîtriser des scénarios de plus en plus complexes, repoussant les limites d’un cinéma souvent trop décérébré vers les limbes d’un art où flirtent le surréalisme technique et le subconscient psychologique, sans jamais oublier de divertir.
Cette lente construction, en sept films, repose sur un postulat de départ. Un personnage au passé trouble, presque dépressif, proche du désordre mental – schizophrénie, aliénation, paranoïa, amnésie, insomnie – aux répercussions physiologiques. A partir de ce « héros nolanien », il écrit une histoire, souvent la même : la femme idéale est morte et il faut la venger. Les ingrédients – obsessions, névroses, dilemmes, jalousies – font les rebondissements et si la fin justifie toujours les moyens, la morale n’est pas forcément sauve. Il y a même une sorte d’ambivalence : le héros est peut-être libéré, mais sa culpabilité ne s’est pas évaporée. Puis, le réalisateur ajoute une complexité propre à son cinéma : la distorsion du temps, et d’une certaine manière du réel. Il manipule la chronologie linéaire, assemble des puzzles, multiplie les séquences à un instant T, déploie des situations parallèles, tout ce qui peut l’aider à intensifier, dramatiser une histoire, et créer une atmosphère happant le spectateur.
Grâce à ce talent, Nolan a signé l’un des plus grand succès du cinéma hollywoodien, Batman The Dark Knight. Si sa notoriété n’est pas celle d’un Spielberg ou d’un Lucas, il est devenu impossible à un studio de lui dire non, malgré ses projets qui ne manquent ni d’audace ni d’ambition.
A suivre dès le début
Avec Following, en 1997, il se fait déjà remarquer. Primé à Dinard, Rotterdam et Slamdance, son premier film n’a coûté que quelques milliers de dollars, tourné en décors réels, et sur une longue période : les acteurs avaient un métier à honorer à côté. Déjà il tord le cou à la chronologie des événements. Il refuse cette convention narrative destinée à la télévision où les choses doivent être linéaires.
Nolan imagine des histoires alambiquées, des œuvres denses, où le suspens se mixe avec une quête individuelle, où le héros est piégé par ses propres émotions. Orson Welles (La soif du mal), Stanley Kubrick, Ridley Scott et Georges Lucas (pour sa capacité à mélanger plusieurs récits tout en maintenant un tempo haletant) sont ses références. Il aime le spectaculaire, l’épique, mais il vénère les œuvres quand l’homme au centre du cadre est un animal dépendant d’éléments qui lui échappent. De tous les James Bond, c’est le plus mélancolique qu’il apprécie (Au service secret de sa majesté), sans doute parce que le héros y perd sa bien aimée.
Des hommes blessés
Comme dans Memento. Un bel homme, tatoué, dans des coins paumés d’une Amérique ensoleillée mais sombre. Plus sec que ses films ultérieurs, le découpage fascine. Le scénario aussi. Deux citations aux Oscars pour le film : montage et scénario original. En plus de multiples prix, et même d’une prestigieuse citation par la Director’s Guild. Les vétérans le sacrent, les jeunes aussi avec un prix MTV du meilleur nouveau talent. Le film, de plus, s’avère très rentable. Tourné en 3 semaines pour un budget assez restreint, il rapporte 10 fois sa mise. L’envie et le don de Nolan à diriger les grands acteurs se révèlent à travers la prestation magistrale de Guy Pearce. Il aime qu’un film se voie et se revoie. « Il faut découvrir de nouvelles choses ». Avec Memento, on retrace un parcours à travers les yeux d’un homme qui n’a plus de mémoire.
Un cinéma où on ne s'endort pas
Il explorera davantage les failles de son héros dans le remake du film norvégien, Insomnia. Outre qu’il se frotte à un monstre sacré, Al Pacino, il désirait pouvoir réaliser un film fixé sur un acteur. La performance artistique était aussi essentielle que le cadre de cette ville d’Alaska où la nuit ne se couche jamais. Le flic est dans une mauvaise passe et trouver le tueur a une dimension cathartique, salvatrice, à défaut d’être rédemptrice. Seul film dont il n’écrit pas le scénario, il en fait sa « chose » en distillant ses propres idées. Nolan devient ainsi un auteur patenté. Un de ceux qui s’approprient n’importe quel sujet pour créer une œuvre indissociable de sa filmographie. Il ne sacrifie jamais l’action au détriment des explications, mais sait valoriser les (dé)raisons de ses protagonistes en leur construisant une vie cohérente, avec ses aspirations et ses angoisses. L’humain n’est jamais loin : il est le moteur de l’aventure. Si le traitement du final est plus convenu, le succès est encore au rendez-vous.
Le début de l'envol
De quoi rassurer un studio et en tout cas, l’inciter à lui confier une grosse machine. Ce sera Batman begins. Warner veut adapter sa franchise à l’air du temps, comme Sony l’a fait avec Spider-Man en recrutant le cinéaste « underground » Sam Raimi. Nolan prend confiance et va débuter une relation fidèle avec certains de ses comédiens : Michael Caine, Cillian Murphy, Christian Bale… Le pari sera gagné (375 millions de $ au box office mondial), épatant cinéphiles et mangeurs de pop-corn avec un blockbuster d’une noirceur rarement approchée. En tête, il a Chinatown, L’homme qui voulut être roi, Hitcher. Il utilise les codes du grand spectacle et les modernise. La photo est magnifique. Les acteurs jouent comme si c’était du Shakespeare. Bale parvient à faire oublier tous les autres Batman. Le cinéaste impose ses règles : du réalisme, aucune seconde équipe (il supervise tout et obtient 4 mois de tournage), le choix de Londres et Chicago pour transposer Gotham, et même l’insertion de scènes d’hallucination. Rien ne vaut le subconscient pour illustrer les terreurs enfouies.
Le maître des illusions
Il enchaîne avec son film le plus bancal, The Prestige. Indispensable échelon pour pouvoir un jour concrétiser Inception, qu’il continue de mûrir depuis quelques années. Une histoire d’illusions, de magie où Nolan expérimente une narration compliquée. Il considère que ce film lui a permis de progresser en tant que metteur en scène. Sans doute. Le montage est assurément brillant, une fois de plus, déstructurant l’intrigue, sans passer à côté du romanesque. Star Wars est quelque part dans sa tête lorsqu’il fait The Prestige. Sans être un échec, le film déçoit les attentes d’Hollywood, qui espérait mieux du prodige. Cependant, on remarque une fois de plus le soin apporté à la direction artistique, la photographie du film, les décors, le sens du cadre. Nolan ne fait pas dans l’esbroufe mais parvient, miraculeusement, à rendre limpide une histoire à plusieurs tiroirs, où deux comédiens jouent presque le double de l’autre.
Chevalier d'Hollywood
Par contrat, et avec enthousiasme, il revient à Batman. The Dark Knight. Le film magique. Pas simplement pour son score monstrueux au box office. Pas uniquement parce qu’il a reçu des critiques plus qu’élogieuses. Pas simplement pour ses défis techniques (séquences en format Imax par exemple). The Dark Knight est devenu mythique. Le Joker (Heath Ledger) est désormais passé à la postérité. Nolan a donné à Bruce Wayne, deux doubles, histoire de compliquer l’affaire : son penchant « noir », avec ce Joker qui l’oblige à choisir entre deux maux, et son alter-ego qui penche du côté de force obscure, avec Double Face. Véritable opéra, avec sa dose de tragédies, le film est comme une impasse vers une paix, impossible. Blade Runner n’est pas loin. Nolan distille en plus un portrait d’une Amérique décadente, avec son élite inconsciente, sa population captive de ses propres valeurs (la mort, l’argent, et même la télé-réalité), et ce sentiment diffus de ne plus se croire invulnérable face à une menace extérieure. Entre un héros peu recommandable, un système d’ultra-surveillance impuissant et une police incompétente, il dresse le portrait d’un pays, politiquement et socialement, en perdition.
Le film est un drame forcément fascinant. Il n’a plus besoin de s’appeler Batman. Le drame devint réel quand le Joker mourut quelques mois plus tard. Une œuvre sur le chaos, où tout explose, même les certitudes.
Intercepteur de rêves
Pourtant Nolan retombe sur ses pattes. Il propose Inception à la Warner, qui signe son chèque en blanc. Malgré son budget faramineux, le cinéaste va peser chaque dollars pour donner vie à une fiction où quatre rêves se superposent à une réalité. Il y intègre course-poursuite, fusillades, actions à la James Bond, braquage, et augmente l’ensemble avec deux procédés : chaque rêve est une histoire possédant sa propre finalité (et donc son suspens) et chacun d’entre eux évolue à sa propre vitesse. Il utilise ainsi des ralentis, fabrique une mécanique horlogère pour ne pas perdre le spectateur, et joue les marionnettistes avec le temps. Il approfondit la partie émotive en créant un trauma à son personnage principal. Omet comme toujours le sexe et la sensualité. Il veut déstabiliser le spectateur, l’obliger à se questionner, tout en le distrayant. Pour lui, « l’action nécessite des idées ». Il n’en manque pas. Il précise aussi que les « idées ont besoin de l’action ». Il en donne à foison.
vincy
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