David Lynch, Lion d'or et Palme d'or, n'a pas tourné de long métrage depuis 2006. Une longue absence. Heureusement il nous a offert une suite à Twin peaks pour la télé. Et on peut voir ses photos fétéchistes dans l'exposition de Louboutin au Palais de la Porte dorée. Il vient aussi de terminer un court métrage. Elephant Man ressort cette semaine en salles.



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L’AMOUR ET LA VÉRITÉ





Abdellatif Kechiche, réalisateur franco-tunisien né en 1960, est devenu une figure de proue d’un cinéma réaliste et romanesque. Une position décriée tant ses films attisent les passions, adorés ou détestés. Pour autant, bien avant de devenir le cinéaste que l'on connait, les débuts de Kechiche dans le cinéma se sont déroulés devant la caméra, chez Téchiné notamment dans Les innocents. C'est par la suite qu'il se décide à passer derrière la caméra, avec La faute à voltaire, un premier film autour d'un homme sans-papier que l'on suit dans sa vie quotidienne. Un titre littéraire, un fond social : les bases sont là. Le quotidien de la vie est ce qui semble intéresser Kechiche dans tous ses films. Ces débuts en tant que réalisateur lui valent une première reconnaissance avec le Lion d'or de la meilleure première oeuvre à la Mostra de Venise en 2000.

Vient ensuite sa deuxième réalisation avec L'esquive, sorti en 2004. Pour beaucoup, c’est une première claque du réalisateur qui révèlera ainsi une jeune Sara Forestier pleine de fougue. Le film ose se focaliser sur du théâtre en banlieue dans lequel les mots de Marivaux résonnent avec l'étrangeté d'un langage d'adolescents, lui permettant de confronter deux univers et d'explorer et de questionner le langage, son autre grande passion, qu’on retrouvera notamment dans La vie d’Adèle où Marivaux (de nouveau) croise Sartre. Un livre ouvert, un accès à la culture qui permettra pour certains de s'en sortir ou pas. Kechiche prouve qu'il est un excellent directeur de comédiens pour la plupart amateurs (révélant également Sabrina Ouazani). Un second film qui lui vaudra 4 césars et déjà une reconnaissance critique et populaire avec plus de 600 000 entrées au box office français. Il y démontre déjà un intérêt certain pour les générations d'origines étrangères implantées en France, un regard qui lui vaut certaines critiques lorsqu'il exprime lors d'interviews qu'il rêverait de soulèvement des banlieues dans le pays afin de mettre un terme à l'injustice sociale.

Ce goût porté à l'égard de l'histoire de ces personnes issues de l'immigration se poursuit dans La graine et le mulet qui sort en 2007 et permet à Kechiche de marquer et de confirmer l'étendue de son talent. Presse unanime (ou presque), million d'entrées dépassé : un succès populaire comme critique qui lui permettra de remporter à nouveau 4 césars. Il y fait toujours preuve d'une redoutable direction d'acteurs en plus de s'attacher au quotidien d'une famille et d'instaurer un suspense avec une histoire de couscous, c'est osé et cela fonctionne très bien dans l'émotion, grâce à des acteurs amateurs exceptionnels pour une grande majorité. On remarque quelques obsessions cinématographiques : des plans longs, des portraits filmés au plus près, une caméra vive, une fascination pour mettre le temps réel au service d’une scène, de filmer les émotions (pas forcément joyeuses) en saisissant le moindre frémissement de peau. Mais que ce soit grâce à ses acteurs précieusement choisis, ou à sa mise en scène au plus proche des corps, certaines séquences accrochent l'attention (la fameuse danse du ventre notamment), hypnotisant certains, énervant d’autres. Alors qu’il est consacré, comparé aux Dardenne et même à Pialat, Kechiche ne manque pas de surprendre en basculant alors au film d'époque avec Vénus Noire, sorti en 2010. Plus difficile, moins épatant, déroutant les critiques et son public, il n'a pas retrouvé les succès populaires de ses précédents longs métrages mais fait ses preuves dans un univers différent. Il continue d’explorer la féminité, les discriminations et préjugés, les mépris de classe, tous ces sujets que l’on retrouvera également dans La vie d’Adèle. Ici il aborde la vie de la Venus Hottentote dont la caméra épouse le destin (et les courbes sensuelles) au point de susciter des débats contradictoires quant au voyeurisme du film (qu’on pourra lui reprocher dans Adèle).

C'est cependant à un cinéma toujours très généreux auquel on est confronté, très dense, éprouvant (il abuse de répétitions lassantes, préfère torturer ses actrices jusqu’aux larmes pour obtenir l’émotion juste que d’accompagner musicalement les moments dramatiques), subversif pour le cas de Vénus Noire et même sulfureux pour Adèle. Ses fresques teintées de réalisme dépeignent ainsi une France clivée entre ceux qui veulent donner et transmettre et les autres, fermés sur leurs préjugés ou dans leurs schémas de vie. Kechiche veut oser un cinéma populaire, en « éduquant » les masses à coup de citations classiques, de didactisme philosophique, en provoquant le public avec des scènes de sexe crues, sans avoir peur des corps, en mettant en danger ses actrices ou même en prouvant que le film le plus déprimant ou pessimiste peut être chaleureux et plein d’espoir. Il y croit. Cette foi transpire avec sa caméra. Qu’il soit vénéré ou pas, il a le mérite de tendre un miroir lucide (et cruel) à une France qui s’aveugle d’un passé autrefois glorieux. Il est dans présent, dans la vérité. Mais n’oublie jamais que le grand moteur de la vie et du 7e art c’est l’amour…

Matthieu


 
 
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