David Lynch, Lion d'or et Palme d'or, n'a pas tourné de long métrage depuis 2006. Une longue absence. Heureusement il nous a offert une suite à Twin peaks pour la télé. Et on peut voir ses photos fétéchistes dans l'exposition de Louboutin au Palais de la Porte dorée. Il vient aussi de terminer un court métrage. Elephant Man ressort cette semaine en salles.



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«BERNADETTE, ELLE EST TRÈS CHOUETTE…»





« Chinoise sur le maquillage, andalouse par la coiffure, gitane blanche, Bardot nègre, garce sublime, pépée de tous les diables, fée de bagout, enquiquineuse de choc ! » - Hervé Guibert (Le Monde)

Elle n'arrêtait plus de tourner, et son dernier film, Paulette, qu'elle portait littéralement sur les épaules, avait été un succès inattendu cet hiver. Bernadette Lafont, hospitalisée lundi après un malaise alors qu'elle se trouvait au centre hélio-marin du Grau-du-Roi, est décédée aujourd'hui à l'âge de 74 ans.

Née le 26 octobre 1938 à Nîmes, sa mère l'appelait Bernard parce qu'elle voulait un garçon. Cette fille des montagnes du sud a conservé tout au long de sa vie cette allure de belle paysanne, de fille sortie des foins, les cheveux défaits. Après de la danse classique, rêvant de cinéma, elle avait commencé à jouer, sans apprendre, improvisant devant les caméras de jeunes cinéastes qui aimait sa fraîcheur, ses yeux splendidement tragiques et son humour. Grâce à son premier mari, le très bel acteur Gérard Blain, elle rencontre François Truffaut, alors critique aux Cahiers du cinéma. Il disait d’elle : « Artiste fantaisiste et rigoureuse en même temps, jamais démagogique, droite chandelle jamais vacillante, toujours vaillante, jamais éteinte. Quand je pense à Bernadette Lafont actrice française, je vois un symbole en mouvement, le symbole de la vitalité, donc de la vie. »

Fort Chabrol

Égérie de la Nouvelle Vague, Bernadette Lafont, la "Vamp villageoise" comme on la surnommait, reconnaissable à sa voix légèrement gouailleuse et son physique pulpeux, avait débuté en 1958 avec un court-métrage de François Truffaut, Les Mistons (qui l’enrôlera de nouveau dans Une belle fille comme moi en 1972) et le premier long-métrage sublime de Claude Chabrol, Le beau Serge (Prix Jean Vigo). Cette aventureuse a tourné sans interruption depuis 55 ans, pour le cinéma comme pour la télévision. Chabrol lui offrira quelques uns de ses plus beaux rôles : Les bonnes femmes en 1960, avec Stéphane Audran, Les Godelureaux en 1961, Violette Nozière en 1978, Inspecteur Lavardin face à Jean Poiret, en 1986 et Masques en 1987.

Elle doit beaucoup à Gérard Blain. Elle le conquiert en un battement de cil, alors qu’il joue dans Jules césar aux Arènes de Nîmes. Il l’emmène à Paris… Leur mariage cassera avec les premiers succès de Lafont. Il voulait une femme pas une comédienne. Manque de chance pour Blain, Lafont est diaboliquement bonne quand elle joue. Le sculpteur hongrois Diourka Medveczky en tombera amoureux, lui fera trois enfants. Là voici sur les bons rails.

Le jeu de Lafont, assez naturaliste, s'adaptait à la perfection à un certain cinéma français. Premier ou second rôle, elle tourne ainsi avec Jacques Doniol-Valcroze (L'eau à la bouche), Edouard Molinaro (La chasse à l'homme, Costa-Gavras (le grandiose Compartiment tueurs), Louis Malle (Le voleur) ou encore Philippe Garrel (Le révélateur). Touchant à différents genres, elle s'impose comme une comédienne tout-terrain dans les années 60. Etrangement, ce n’était pas ce cinéma auquel elle aspirait, préférant les Vicente Minelli. Elle fantasmait sur des couleurs et avait finalement débuté en noir et blanc. Elle imaginait de beaux costumes, de belles lumières, et c’est un cinéma en rupture avec Hollywood qui la fit naître. Bernadette Lafont était un peu rebelle, spontanée, l’inverse des divas de l’époque, une Bardot moins érotique, une Deneuve moins sophistiquée, une Moreau plus naturelle… Cela ne pouvait que plaire à une génération d’auteurs qui voulaient casser les codes.

Fiancée éternelle, Maman idéale

En 1969, elle devient La fiancée du pirate, le film de Nelly Kaplan, où elle incarne dans ce film insolant et drôle (si on aime l'humour noir) une orpheline décidée à se venger d'un village dont la pensée rance rappelle une certaine France. La satire sociale est réussie et Lafont impose son talent avec un personnage aussi glamour qu'insoumis. C’est aussi la seule fois où elle provoque la rencontre et insiste pour obtenir un rôle.

Sans jamais avoir été une "star" (d'ailleurs Laszlo Szabo lui donnera un personnage de "starlette" dans Les gants blancs du diable), elle aura été une vedette populaire et surtout aura eu du flair pour choisir quelques-uns des films les plus marquants du cinéma à cette période là. Au sommet de cette filmographie, il y a bien entendu La maman et la putain, de Jean Eustache (1973). Avec Jean-Pierre Léaud, elle crée l'un des plus grands couples du 7e art. Grande réflexion sur la femme, en plein activisme féministe, et sur l'infidélité, avec un texte qui pourrait être à lui seul un roman, le film a reçu le Grand prix au Festival de Cannes. L’expérience a pourtant été douloureuse, même si le film est magnifique. Trop de souffrance sur le plateau comme dans le scénario. Le personnage qu’elle incarnait, la véritable fiancée d’Eustache, s’est d’ailleurs suicidée après la première projection. Mais ce film d’une génération, comme La fiancée du pirate, lui permet de tisser un lien invisible avec les spectateurs de l’époque. Tous vieilliront ensemble.

Effrontée

Elle fut fidèle à certains réalisateurs comme Laszlo ou Nadine Trintignant. S'égara dans des comédies de séries B (Le Roi des cons, Retour en force, ...). Elle interpréta une Reine (Gwendoline, une pharmacienne, une infirmière, une concierge.... Après La maman et la putain, les choix étaient moins glorieux, disons-le. Mais les années 80 allaient la faire revenir sur le devant de l'écran. Chez Chabrol, déjà. Mais aussi chez Jean-Pierre Mocky, au sommet de sa carrière, avec Le Pactole et Les saisons du plaisir ; chez Claude Miller surtout, dans L'effrontée, prix Louis-Delluc : Bernadette fut récompensé par un César du meilleur second-rôle féminin amplement mérité. La voix presque rauque, elle frise le génie en maman ours un peu casse-pieds.

A l'instar des Bébel, Noiret et autres grandes gueules du cinéma français, elle s'installe, comme Annie Girardot, dans la mémoire collective des spectateurs, entre films populaires et oeuvres de grands auteurs, grands rôles et personnages secondaires qu'on aime affectueusement. On la sent gourmande, généreuse, insolente. Sa distance est masquée par son sens de la dérision.

Retraitée active

On la revoit ainsi chez Raoul Ruiz, aux côtés de Deneuve, dans Généalogies d'un crime, Pascal Bonitzer dans Rien sur Robert, Claude Zidi dans Les Ripoux 3... que de grands écarts. Elle retrouve le chemin du succès avec Prête-moi ta main, où de nouveau elle donne la réplique à une Charlotte Gainsbourg moins effrontée mais bien plus grande, se permet quelques jolies participations où son jeu fait souvent la différence dans une scène. Les spectateurs l'apprécient ainsi dans La première étoile, Le skylab, et surtout Paulette, film à petit budget qui devint millionnaire en début d'année. La tête haute, elle part ainsi dans nos têtes avec l'image d'une mamie rebelle, dealeuse et drôle. Complice à jamais, avec ses partenaires et avec les spectateurs.

Il restera à la voir dans Attila Marcel, de Sylvain Chomet. César d'honneur en 2003, prix spécial d'interprétation à Locarno en 1994 (Personne ne m'aime) elle était un peu à la marge du système tout en étant l'une de ses valeurs patrimoniales les plus sûres.

Il faut dire qu’elle trouvait l’époque timorée. Moins audacieuse. Tout est trop correct. Elle préféra longtemps la scène aux plateaux de cinéma. Son plaisir a migré de lieux. Ce n’est pas un hasard si c’est grand-mère incorrecte qu’elle fait les plus belles étincelles. Vieille dame indigne ? Elle en rêvait. Loin de son éducation stricte, provinciale et protestante. Enfin stricte… : « Je pouvais m’habiller en pute à condition de rentrer à l’heure. »

La fêlure et l'envie

Car on peut aussi pleurer la comédienne de théâtre, celle qui a joué du Copi, du Guitry, du Daudet, du Pagnol et même du Ruquier. Sa dernière prestation fut à l'Opéra Comique avec l'immense Michel Fau, dans Ciboulette, en mère Pingret. Toujours prête à des expériences novatrices, rajeunissantes. Elle a aussi écrit : La fiancée du cinéma, Mes enfants de la balle et Le roman de ma vie. Elle y racontait notamment ses douleurs, effondrée par la disparition tragique de sa fille Pauline, le 11 août 1988. Depuis, elle s’était noyée dans le travail, disant oui à des inconnus, pour les aider, ou à des vétérans, qui l’aimaient.

Pétillante et piquante, en rien calculatrice, toujours prête à servir de jeunes talents, à s'entourer de comédiens qui pouvaient être ses enfants et même petits-enfants, Bernadette Lafont était comme ces mamans qui couvent leurs progénitures : rassurante et protectrice. Lucide, elle a toujours valorisé le métier de metteur en scène, trouvant celui d’acteur comme trop narcissique. « N’importe qui peut faire l’acteur au cinéma et ça ne dure qu’un temps ». Alors elle assume : elle a tourné des films commerciaux pour nourrir sa famille et a choisi des films radicaux par envie. Mais le principal pour elle était de « se marrer ». « J’aime tellement mon métier que je paierais pour faire ce que je fais. » Cette liberté lui a coûté cher. Certains cinéastes n’ont pas voulu d’elle, à commencer par Lelouch, sous prétexte qu’elle était catalogué « nouvelle vague. "Je n'ai jamais voulu être cataloguée, ni avoir d'étiquette" disait-elle. Et comme pour claquer le bec de nous autres journalistes, refusait fermement le statut d’égérie : « C’est ridicule. » Toujours cette distance… et cette franchise.

La fiancée idéale, la maman rêvée et au final une comédienne qui, sans artifices esthétiques, avait vieillit comme un grand vin. 120 films au compteur, ce n'est pas anodin. Mais surtout on voit bien à quel point son jeu sans artifice et son esprit sans barrières ont inspiré toute une génération d’actrice.

vincy


 
 
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