Le cinéma a toujours eu un énorme impact politique et populaire. Il fut l'objet de manipulations inconscientes ou commandées. Les allemands réalisèrent de nombreux films ayant la Grande Guerre comme sujet après 1935. De la pure propagande : " Wunder des fliegens ", " DIII 88 ", " Pour le mérite ", ….
Les Américains n'étaient pas en reste. Pour exemple, " Sergent York ", de Howard Hawks, sur un scénario de John Huston, interprété par Gary Cooper, raconte l'histoire d'un paysan sans le sou et au chômage, découvrant la foi un jour où il s'apprête à tuer quelqu'un. Il connaît une période de gloire grâce la guerre en 1917. Hawks filme superbement la vie de l'armée, ses actions. Bizarrement le film bascule entre un ton non interventionniste et un message patriotique et militariste. On est en 1941. Pearl Harbor va survenir dans quelques mois. " Sergent York " va être un des plus gros succès du Box Office américain. Le film est pourtant loin d'être subtil et nuancé. Même si le contraste entre le paisible Tennessee et les champs de bataille est saisissant. Le crime militaire y est totalement pardonné.

En 71, Donald Trumbo réalise " Johnny got his gun " à partir de son propre roman, datant justement de 41. On est proche de " Né un 4 juillet ". On se rapproche surtout des images souvenirs que le cinéma français va imposer. Sa vision remarquable sur la guerre dans toute son atrocité se transmet à travers le personnage principal d'un jeune soldat qui a perdu tous ses membres mais pas sa lucidité. A quoi cela sert-il de communiquer dans ce monde absurde ? la question se pose en pleine débâcle américaine au Vietnam, à partir d'un livre édité juste avant Pearl Harbor, prenant place en plein conflit 14-18. En 3 décennies, le cinéma est passé naturellement de la propagande à une vision plus idéaliste. Plus besoin de films sur les valeureux pilotes ou de scénarii retraçant les relations ambigües entre des ennemis. Le monde est déchiré constamment par la guerre, et celle des années 10 va devenir un témoignage de son absurdité et de la mutilation qu'elle a imposé aux pays victimes. Car il n'y a pas de vainqueurs. Que des morts.
La France apparaît donc blessée au fil des œuvres traitant de cette guerre. Blessée et meurtrie au point de souvent finir dans les Hospices ou auprès des infirmières. " La chambre des officiers " (2001) de François Dupeyron en est le plus parfait exemple, livrant une œuvre sublime sur les gueules cassées. On retrouve cette déchirure, ce flirt entre la guerre qui fait mal, cette folie qui traverse les esprits et les douces femmes qui s'émancipent, travaillent, soignent, guérissent, font espérer dans " Les destinées sentimentales ", " Un air si pur ", " Marthe ou les promesses d'un jour ", ou encore l'inachevé film de Robert Enrico avec Deneuve en blouse blanche et Noiret.
Noiret qu'on retrouve pour son centième film (c'est ainsi qu'on a vendu le film) dans " La Vie et rien d'autre ", de Bertrand Tavernier. Le film est plongé dans une sorte de brouillard permanent, où les fantômes s'échappent des charniers de Verdun. Le regard est glacial. L'officier est chargé de faire le décompte des morts et disparus, devant combattre une administration militaire souhaitant baisser les chiffres et cherchant un symbole : le soldat inconnu. Le propos est lapidaire. On parle de génocide. On est en 89, l'année du bicentenaire de la Révolution Française.
7 ans plus tard, le même cinéaste récidive avec " Capitaine Conan " : un chapitre oublié d'une expérience militaire française dans les Balkans a donné l'occasion au réalisateur de fournir une réflexion mélancolique sur la guerre. Ici, un fait divers réel sur un bataillon combattant alors que la Paix a été signé, mais qu'ils ne sont pas prévenus. Ce ne seront pas les seuls films à critiquer le rôle de l'Etat français dans cette guerre.
Le plus marquant est évidemment " Paths of Glory (Les sentiers de la Gloire) ", avec Kirk Douglas. Le film fut censuré en Suisse pour son trop grand perfectionnisme (et donc ses révélations sur l'armée). Idem en France, mais plus pour des raisons (subjectives) d'atteinte morale à l'honneur de la République. Les officiers français y sont sévèrement traités. Le film fut longtemps interdit, et source de scandale (on y voit trois soldats français accusés de couardise et de mutinerie et fusillés pour l'exemple). Stanley Kubrick manie l'ironie, le propos acerbe et anti-militariste (qu'on retrouvera dans Dr Strangelove) et la précision sur les actes de guerre et la propagande qui les entoure (qu'on retrouvera dans Full Metal Jacket). La guerre absurde. Les rituels barbares. L'Homme animal sanguinaire. L'orgueil des gradés. Une comédie humaine qui vire à la tragédie féroce au milieu des tranchées (jamais aussi bien filmées et rappelant les couloirs de The Shining). Il fait écho à la vision allemande de " All is quiet on the western front (A l'Ouest rien de nouveau) ". Pourtant Kubrick vise tous les pays ne s'attaque pas qu'à la France…
Cet anticonformisme résume à lui seul la vision du cinéma sur cette guerre.
La force et l'impact de cette Grande Guerre aura conduit à l'héroïsme valeureux, à la critique désabusée, à l'espoir d'un monde moins bestial, à la trêve silencieuse dans les infirmeries, à une grande désillusion sur la monstruosité de notre époque. Pour toutes les raisons invoquées lors de ce dossier - la décolonisation, la propagande à l'approche de la seconde guerre mondiale, les premiers combats aériens, des millions de morts sans réelles raisons, la naissance de l'URSS… - le cinéma a toujours eu un regard particulier sur cet événement qui marqua le vrai début du XXième siècle.

Vincy