LE 3ème FORUM DU CINEMA EUROPEEN DE STRASBOURG

Collaboration Spéciale de Bruno Richaud à Strasbourg

Conclusions des Ateliers

Atelier 4 * CREATION ET NOUVELLES TECHNOLOGIES
Présidé par Mr Peter Fleischmann (Centre audiovisuel européen de Babelsberg), DE.
Rapporteur: Mr François Helt (CST), FR.

Contrairement à l'opinion communément répandue dans le public et même chez les professionnels, le numérique dans l'audiovisuel ne se limite pas à la réalisation d'effets spéciaux spectaculaires ou à la multiplication des canaux de diffusion. Le numérique est en train de transformer l'ensemble de la chaîne et tous les processus de travail des professionnels concernés, de la préparation d'une oeuvre à la production elle-même, de la post-production jusqu'à la diffusion et l'exploitation.

L'alliance des télécommunications, de l'audiovisuel et de l'ordinateur ne remet pas en cause le but créateur qui est d'atteindre et d'émouvoir son public, elle lui offre au contraire de nouvelles possibilités. La durée, le rythme et la forme des oeuvres, la forme même de la narration évoluent. Les possibilités de l'interactivité ouvrent à d'autres modes de récits. La chronologie n'est plus le seul moteur du narrateur. Jeux et oeuvres narratives se rapprochent, se répondent et trouvent de nouveaux modes de relation avec le public.

De la narration interactive, aujourd'hui déjà classique, parcours d'arborescences, jusqu'à l'exploration d'écritures comportementales ou environnementales, de la conception de nouvelles interfaces homme-machine jusqu'à la création d'avatars et de communautés virtuelles, le travail du créateur est en perpétuelle évolution.

Grâce au standard mondial de la bande perforée 35 mm, admirable invention de la technique cinématographique, la révolution numérique n'a pas provoqué de rupture subite dans la création cinématographique. Ainsi, durant ces prochaines années, les techniques analogiques et numériques se compléteront dans la production comme dans l'exploitation. Ce changement progressif vers l'ère numérique est une chance pour les professionnels du cinéma. Mais le changement sera inévitable. Si nous n'agissons pas aujourd'hui en prenant la tête de l'évolution nous serons obligés de réagir demain et de subir une transformation qui nous vient déjà toute faite de l'extérieur.

Les nouvelles formes des oeuvres et de leur diffusion demandent des nouvelles formes de réglementation et de protection. Mais elles demandent également une attention accrue sur les systèmes de droits d'auteurs existant en Europe. Face aux problèmes provoqués par la révolution digitale, le droit d'auteur européen semble un instrument plus solide que le copyright. Il faut défendre cet instrument précieux et s'opposer à toute tentative d'affaiblissement venant de l'extérieur ou de l'intérieur. Il faut en même temps développer de nouveaux moyens d'identification des oeuvres que la technologie numérique rend possible.

La formation est un des clés essentielles pour la maîtrise de cette révolution numérique. Cela concerne en même temps la formation des professionnels; les réalisateurs, les scénaristes et les producteurs doivent connaître les possibilités du numérique, afin de profiter au maximum des avantages techniques qui leur sont offerts. Cela concerne aussi la formation des jeunes Européens pour lesquels ces techniques d'avenir constitueront le quotidien. Le grand marché de la consommation ne pourra fonctionner de façon efficace que si les cinéastes, les informaticiens et les spécialistes de la télécommunication se comprennent. Il ne s'agit pas seulement de la convergence des techniques et du commerce, mais aussi de celle des acteurs de ce marché.

Les fabricants d'appareils de communication, de jeux numériques, d'ordinateurs semblent s'adresser à l'individu consommateur. L'homme à son ordinateur de bureau pendant la journée se retrouvant seul devant son ordinateur personnel ou devant son écran de télévision pendant que son enfant s'amuse de son côté sur son jeu vidéo, telles est la vision d'avenir que semble nous promettre le numérique. Même le sport, jeu de société par excellence, est de plus en plus organisé pour être consommé par des individus isolés.

Pendant le Championnat du monde de football, le public s'est révolté contre cette fatalité. Il a préféré partager l'émotion devant des écrans, en plein air, même sous la pluie, ou dans des salles de bistrots enfumées. Néanmoins la convivialité face aux techniques numériques existe et il faut l'encourager. L'exploitation cinématographique, dès son origine, a toujours été au service de cette convivialité. Elle peut et elle doit s'adapter continuellement aux nouvelles technologies et aux modifications structurelles. Les nouvelles technologies permettront même une augmentation de la diffusion des oeuvres européennes en Europe par un réel accès au film et par le multilinguisme. Pour multiplier les points de diffusion et d'exposition de ces oeuvres et ne pas être à la merci de monopoles, l'exploitation cinématographique doit se donner les moyens de cette mutation et participer à cette révolution.

Dans ce grand marché de communication créé par la convergence des télécommunications, de l'industrie du contenu et des ordinateurs, le contenu a un rôle central. Au centre de l'industrie du contenu se trouve le cinéma, coeur et moteur de l'audiovisuel. Ce rôle du cinéma, l'Amérique ne l'a jamais oublié. D'ailleurs, nos collègues d'outre-Atlantique semblent mieux préparés dès maintenant à cet avenir numérique et le gouvernement américain semble bien décidé à intervenir au maximum pour faciliter à leur industrie l'entrée dans ce grand marché du futur. Pourtant le numérique pourrait être une chance pour l'Europe, il permet de redistribuer les cartes, les dominations les mieux établies peuvent être remises en cause.

Atelier 5 * LE CADRE REGLEMENTAIRE EUROPEEN ET LES ENJEUX INTERNATIONAUX
Présidé par Mr Manuel Gutierez Aragon (Président de la SGAE), SP.
Rapporteurs: Mme Cécile Despringre (FERA), FR.
Mr Gaëtano Stucchi (UER), IT.
Mr Daniel Zimmermann (ACT), BE.

Les conclusions de la Conférence de Birmingham et la consultation menée par la Commission européenne sur le Livre Vert sur la convergence des secteurs des télécoms et des médias, ont été les points de départ de notre panel consacré au cadre réglementaire européen et aux enjeux internationaux.

Ces deux consultations ont invité les professionnels, les parlementaires et les gouvernements à concentrer leurs efforts sur les questions suivantes:

a) la nécessité d'avoir un cadre réglementaire stable, cohérent et flexible qui encourage l'innovation dans le domaine des médias et permette d'apporter concrètement au consommateur les avantages de la convergence des médias;
b) l'encouragement de la production et de la distribution de contenus européens;
c) l'équilibre à trouver entre le cadre réglementaire et l'application des règles de concurrence.

Nous sommes partis du constat que l'industrie audiovisuelle européenne a, dans l'évolution actuelle du paysage, des atouts et des faiblesses:

Parmi les points forts, on peut citer une certaine bonne santé de la production télévisuelle et une renaissance de cinématographies nationales dans de nombreux pays.

Les services publics de télévision, dont la contribution au développement des contenus européens est absolument nécessaire, sont aussi parmi les points de force spécifiques de notre système audiovisuel.

De même, le lancement par les diffuseurs des plates-formes numériques devraient être un nouveau moteur pour la production du contenu en Europe; Seule la production de contenus européens à haute « valeur ajoutée » leur permettra d'être en position de négociation forte face à l'industrie américaine. Mais l'équilibre économique de plates-formes numériques est encore fragile.

De plus, les réseaux de distributions de films de cinéma ne sont pas à même d'exposer au public toute la production européenne dans sa diversité sur tout le territoire de l'Union européenne.

Par conséquent, toute forme d'incitation par des mécanismes financiers appropriés à la production de contenus européens, en particulier dans le domaine du cinéma, est à encourager. Dans ce contexte, il est urgent que chaque opérateur du secteur audiovisuel (créateurs, producteurs, distributeurs, exploitants et diffuseurs, etc...) montre son engagement en faveur du contenu européen et assume ses responsabilités à son échelle. Le renforcement de notre industrie européenne du contenu et l'augmentation de la production pour alimenter les multiples canaux que l'on nous prédit, doivent être les éléments principaux de toute stratégie.

Dans cette perpective, nous, professionnels de l'audiovisuel, avons besoin d'un cadre réglementaire:

  • 1. Qui mette le contenu européen au centre de toutes les préoccupations;
  • 2. Qui encourage l'investissement privé dans la création européenne;
  • 3. Qui assure l'accès au marché de la production européenne, à la fois à la télévision et en salles, en permettant une exposition suffisante des oeuvres européennes;
  • 4. Qui permette une concurrence loyale entre les opérateurs et la prise en compte par les règles de concurrence des besoins de développement de l'industrie audiovisuelle;
  • 5. Qui favorise la création d'entreprises et de réseaux de distribution pan-européens;
  • 6. Qui assure une protection adéquate des oeuvres de création par la pleine application du droit d'auteur sur les nouveaux réseaux;
  • 7. Enfin, qui garantisse la réalisation d'objectifs d'intérêt généraux sur les nouveaux modes de communication comme sur les anciens.

    La construction de ce cadre européen pour l'audiovisuel est aussi confrontée à des remises en cause par les négociations internationales en cours à l'OCDE sur l'AMI et d'ici à l'an 2000 à l'OMC sur les services (GATS).

    Nous refusons que ces négociations aient lieu en dehors des forums naturels représentatifs, par exemple l'OMPI, pour tout débat concernant la propriété intellectuelle.

    Dans ces négociations internationales, il ne s'agit plus de se battre pour une exception culturelle pour l'audiovisuel et la culture sur un mode défensif, qui serait de toute façon remise en cause à chaque nouvelle négociation par les tenants de l'ultra-libéralisme. Cette approche n'a pas d'avenir. Nous voulons qu'enfin soit reconnue sur la scène internationale et par nos partenaires étrangers, en qui nous pouvons trouver des alliés, notre modèle de société européen fondé sur la promotion de la richesse due à la diversité culturelle et linguistique de nos régions.

    Les évolutions extrêmement rapides du marché, ses incertitudes et les opportunités qu'elles présentent, demandent plus que jamais que l'après Birmingham ait une suite rapide. Des mesures concrètes doivent être prises en faveur de la production et de la distribution de contenus européens. Les règles de concurrence doivent être appliquées à la lumière de la globalisation des marchés.

    Les professionnels de l'audiovisuel appellent à un dialogue continu entre les acteurs du secteur et avec les instances européennes afin d'aboutir rapidement à la réalisation de ces objectifs.


  • Courrier - Vincent Cyril Thomas / Christophe Train


    (C) Ecran Noir 1996-1999