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 Que reste-t-il de cette mascarade ? La mort. Ou plutôt son cadavre, dans le frigo d'une morgue. Celui du corps d'une prostituée sur lequel se penche Tom Cruise. Une des plus fortes scènes du film où la pulsion de sexe répond à celle de mort. D'où le malaise.
Si Eyes Wide Shut montre la décadence, l'incommunicabilité et la schizophrénie d'une société où le désir et le plaisir ont fait place à la pure bestialité physique et au voyeurisme malsain menant à l'autodestruction (pornographie et suicide sont intimement liés), il n'en reste pas moins le film le plus " progressiste " de Kubrick. Hommage rendue aux femmes, plus fortes car cérébrales (le fantasme du marin ou le rêve de gang-bang de Kidman). Victimes du commerce sexuel des hommes (orgie), les femmes encaissent les pires sévices et séquelles (drogue, proxénétisme, sida, mort). Les hommes sont, au choix, lâches (Pollack), impuissants (Cruise), violents (la bande de jeunes) ou homosexuel (garçon d'accueil de l'hôtel). Souvent ridicules...
Un reproche récurrent : le sentiment de culpabilité de Cruise (il a rien fait !) semble dépassé par l'échelle de valeurs dans notre société du début du XXIième siècle. Pas faux. On pourra aussi noter une fin quelque peu conservatrice où le doute est balayé un peu vite par la réplique de Nicole Kidman : "Arrêtons de nous prendre la tête, achetons des cadeaux de Noël à la gamine (qui tend fièrement son stéréotype, une Barbie !) et allons tirer un coup !". Mais c'est oublier que Kubrick ne juge pas ces personnages. Il les considère tout au plus. Et nous renvoie, non sans ironie, à la pauvreté, au conformisme et à la violence de nos désirs. La chair est triste dans une société matérialiste...
Tout commence et tout finit dans cet oeil de Nicole Kidman qui regarde dans le miroir l'image de son couple qui se caresse : doute, trouble, distance, désir, dégoût, sexe, ailleurs. Tout. En un seul plan. Un léger travelling avant. Un seul regard. Celui de Kubrick.
 

 

 (C) Ecran Noir 1996-2000