Ecran Noir: Le personnage du roman est assez éloigné de vous dans le sens ou c'est un maghrébin. Qu'est-ce qui vous a fait insister pour obtenir le rôle? Ou bien est-ce Mathieu qui a absolument tenu à ce que vous l'interprétiez?
Vincent Cassel: Un peu des deux. Je crois qu'on voulait de toute façon retravaillé ensemble, c'est évident. On avait commencé à écrire un truc et puis ça n'a pas aboutit et Mathieu est partit à Los Angeles. Là, tout à coup, ces Rivières pourpres nous tombe dessus alors que Mathieu rêvait de faire un film où tout serait facile. Il a cru que ce serait le cas mais ça n'a pas du tout été ça (sourires).
En fait je sais qu'une personne de la Gaumont avait déjà pensé à moi bien en amont, déjà à l'époque ou je tournais Jeanne d'Arc avec Besson. J'avais pris la voiture avec ce type, qui, déjà, m'avait laissé entendre qu'il y avait un truc qui se préparait avec Jean Reno, tiré d'un best seller, et dans lequel il y avait le rôle d'un flic à prendre... Ensuite les droits sont passés entre les mains d'Alain Goldman. Un jour Mathieu m'appelle et me dit: "Il y a un truc qui s'appelle Les Rivières pourpres, je ne sais pas si tu pourrais le faire...". Et puis il a enchaîné: "Non, en fait c'est toi, vas-y, on le fait comme ça." Ensuite, ils ont réécrit le personnage en fonction. Mathieu était assez content que ce soit moi qui le fasse...
EN :C'est vrai que le personnage est bien défini dans le film. Il paraît très clair dans votre tête...
Ouais, tout à fait. Mais en même temps, ce n'est pas moi du tout. Disons que Mathieu m'a fait jouer sur des traits de caractères qui me sont propres. Dans le film, j'ai une manière de m'exprimer qui est assez proche de la mienne.
EN :Et le côté physique? Comment se sont déroulées ces scènes d'action?
Physiquement c'était très dur. Par exemple, pour la scène de la poursuite à pied, j'ai couru de quatre heures de l'après-midi pour les répétitions, jusqu'à six heures le lendemain matin pour le tournage. Et le surlendemain, je ne pouvais plus marcher. Par contre je suis très fier, parce que il m'ont foutu une championne de 400 mètres, une cascadeuse, Mathieu a ensuite pris le relais, et je les ai tous bien suivis. Tourner en plein air en montagne, c'est fatiguant pour tous le monde. Ne serait-ce que pour la personne qui tient la caméra. Et pour les scènes de la fin à 3200 mètres d'altitude, on avait du mal rien qu'à ouvrir la bouche.
EN :Aviez-vous lu le livre? Quels changements y a t'il eu par rapport au film?
Je l'ai lu il y a maintenant pas mal de temps, et je dois dire qu'après les nombreuses réécritures du scénario, je ne sais plus trop ce qu'on trouvait dans le livre. Je me rappelle qu'il y avait des choses concernant le sexe de la personne qu'ils recherchent, que son nom était un anagramme, ou quelque chose comme ça... C'était beaucoup trop complexe pour la durée d'un film. Il a fallu élaguer, faire en sorte que les personnages ne soient plus huit, mais trois, ou que la mère qui a perdu sa fille et la bonne sœur ne fasse qu'une seule et même personne, et non pas que l'une renvoie à l'autre, etc...
EN :D'où vient cette idée de faire un film de genre?
De Mathieu. Il m'avait présenté la chose dès nos premières discutions. Il fallait que ce soit un film qui cartonne. L'envie que j'ai maintenant, c'est d'aller voir le film un samedi soir dans une grande salle. Parce qu'il est fait pour ça. J'ai très envie de voir comment le film va réagir confronté à son public.
EN :Ca fait un moment que vous n'aviez pas tourné avec Mathieu. Avez-vous remarqué des changements dans sa manière de réaliser, mis à part les moyens techniques qui sont un peu plus conséquents?
Non, je ne crois pas. Ce n'est pas vraiment un changement, mais il y a une... (Vincent cherche ses mots) En fait, il s'est bien affirmé. Avant, il était moins sûr de lui. Aujourd'hui, il se laisse plus aller à son instinct. Quand il a une idée de dernière minute, il dégage la grue de 15 mètres et utilise à la place la steadycam.
EN :C'est bizarre. On aurait pu penser que la réaction de la presse face à Assassin(s) aurait dû freiner cette manière instinctive de concevoir sa mise en scène...
Ben non, là ce n'est pas le cas. En fait, je crois qu'Assassin(s) a prit la fonction que Mathieu voulait lui donner. Il avait besoin de faire un film contre tous les gens qui l'avait encensé au moment de La Haine. Alors peut-être que maintenant une partie de lui n'en est pas consciente -on ne se jette pas volontairement à ce point là dans la gueule du loup...
EN :Mais il en a souffert quand même?
Bien sûr qu'on en a souffert. Mais vous savez, parfois on ne fait pas les choses de manière complètement volontaire. Combien de fois a-t-on fait des conneries alors que l'on est en couple et pourtant ça ne veut pas dire que l'on n'aime pas sa compagne ou son compagnon. On a besoin de voir jusqu'où on peut aller, on a besoin d'exprimer des choses que l'on a en soi ... On ne peut pas faire une interview la veille de la projection à Cannes avec deux gardes du corps, les pieds sur la table, en train de hurler que les journalistes sont des trous du cul et espérer, en faisant un film comme Assassin(s), que la critique va dire que le film est merveilleux. Ce n'est pas possible. Et c'est pourtant ce que Mathieu à fait. Donc, je pense qu'il a eu ce qu'il méritait, et finalement ce qu'il voulait.
Propos recueillis par John Nada