J'aime écouter les gens qui jouent de la musique sur les toits de Paris,
mais j'aime pas les ressorts de lit qui couinent.
J'aime bien faire la cuisine avec des sțurs siamoises,
mais j'aime pas les aliens trans-géniques qui bavent de l'acide.
J'aime bien collectionner les photos ratées des photomatons,
mais j'aime pas les nains de jardin qui font des fugues....
Tel est Le Fabuleux Monde de Jean Pierre Jeunet.
Comme la majeure partie des cinéastes de sa génération (Mathieu Kassovitz, Luc Besson, Yann Kounen, Christopher Gans), le cinéma de Jean-Pierre Jeunet est le produit de différentes influences : la bande dessinée, la science-fiction, les films d'animation et la culture du cinéma américain.
Mais là où ses acolytes n'ont fait que reprendre et appliquer des figures de style récurrentes du cinéma Hollywoodien pour en faire une imagerie qui tourne très vite à vide (mouvements de caméra à tout va, scénario au second degré, personnages stéréotypés), Jean-Pierre Jeunet les a mises à profit pour créer un univers plus personnel, entre onirisme et fantastique. Un monde de contes pour enfants, traversé de situations loufoques, truffé de recoins fantastiques, habité de personnages hauts en couleurs, rempli de collections, de gadgets, de modèles réduits et d'images d'Epinal.
A l'image, cela se traduit par un penchant nostalgique pour le réalisme poétique français des années 30-40 (Delicatessen, La Cité) et un goût pour les figures techniques héritées du cinéma d'animation (jeu sur les rapports d'échelle entre les personnages et les décors, accessoires qui prennent vie, vitesses de prise de vues).
Cette combinaison est à l'origine de l'atmosphère qui se dégage de chacun de ces films (Délicatessen, La Cité des Enfants Perdus et Amélie..., à l'exception d'Alien IV) où il réussit à rendre compte d'un univers homogène à partir d'éléments hétérogènes. Ce dispositif de mise en monde se fait par des décors, des lumières et des personnages qui génèrent une artificialité atemporelle mais toujours cohérente.
Sa mise en scène est une vraie musique. Elle varie les tempos : entre montage saccadé et image accélérée, jeux de pistes pour enfants et grands mouvements fluides façon comédie musicale (la séquence où Nino de Quincampoix (Mathieu Kassovitz) suit les flèches bleues sur la butte de Montmartre pour récupérer son album photo est un must). Si ressemblance ou parenté il y a, il faudrait plutôt aller les chercher du côté des frères Coen pour la mise en scène et chez Tim Burton pour l'univers fantasmagorique.
La caméra est un outil central dans cette re-construction du monde de Jeunet. Elle occupe souvent le point de vue omniscient par lequel chaque décor, chaque lieu ou action semble être composé. Sa présence est constamment rappelée au spectateur par des artifices visuels ou sonores (voir la scène de découpage de lettres dans Amélie...). La caméra dépeint souvent l'espace en multipliant les points de vue et en variant les échelles (périscope, lunettes déformantes, point de vue du trou de souris ou d'une puce) ce qui se manifeste par l'utilisation récurrente de courtes focales.
Visuellement, ses films se démarquent de l'habituelle production française par une rigueur technique, un oeil graphique, un sens du détail qui fait mouche. La précision de la composition des cadres et la maîtrise des effets font de ses țuvres des petits bijoux de perfectionnisme.