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Critique

ANNEAUBLI

"- N'allez pas où je ne peux pas vous suivre."

Le voyage prend fin. 13 mois dans le film. 3 ans pour le spectateur. Car il s'agit bien de voyages dans cette trilogie où la cartographie, les noms géographiques, les déplacements de tous ponctuent chacun des chapitres des films. Des voyages intérieurs aussi puisque la plupart vont affronter leur destin, se mettant face à leurs troubles de la personnalité. Le Retour du roi aurait d'ailleurs pu s'appeler Le retour tout court. Celui vers le Comté, celui vers la Paix, celui vers le père, et aussi celui en arrière, puisque nous retrouvons certains des protagonistes là où nous les avions laissés dans le premier épisode. Ces allers, ces élans et ces retours nous emmènent, une fois de plus, dans un univers dépaysant. Bien plus que la trilogie "matrixienne". Grâce à son matériau d'origine solide, Peter Jackson offre une vision qui sera à jamais la sienne, de l'oeuvre de Tolkien. Jusqu'à y placer quelques idées plus modernes (Eowyn fortement féministe, un couple gay improbable avec Merry et Pippin). Ici, la trilogie prend tout son sens et les épisodes se font écho avec cohérence. Cette ultime épopée est pourtant exténuante pour le spectateur, après 200 minutes d'aventures hautes en couleurs. Le cinéaste a su garder de grands moments pour ce dernier rendez-vous. La surenchère ne fait pas d'ombre au scénario. Si La Communauté de l'Anneau semblait dramatique et très dialogué, tandis que Les Deux Tours privilégiait l'épique et le suspens, Le Retour du Roi est sans aucun doute le plus équilibré des trois, entre la narration et l'action. Peter Jackson semble presque libéré, tout à sa joie de profiter de son indépendance artistique. Comme un enfant dans sa salle de jeux. Il insère, ici, ses références : hommage aux séries B et Z des années 50 (science-fiction, péplums, fantastique et horreur) mais aussi citation de son propre cinéma (à commencer par Fantômes contre Fantômes avec cette armée de spectres). Clairement, et pour faire taire ceux qui prennent le cinéma trop au sérieux, Jackson annonce la généalogie de sa trilogie, héritière d'un cinéma divertissant et imaginaire, avec Méliès et Griffith en lointains aïeux.
Dans ce Retour tant attendu, les fils se renouent entre les personnages. Cela permettra vers la fin des combats d'avoir en offrande un peu d'émotion. Ils nous apparaîtront familiers, même si au final, les seconds rôles ont été vite avalés par un double trio (Frodon, Sam, Gollum et Aragorn, Gandalf, Eowyn). Le reste apparaît presque superflu. Et l'on comprend d'ailleurs pourquoi il fallait une Liv Tyler pour incarner Arwen, censée hanter l'esprit du Roi tout au long des épisodes. Mais cela ne suffit pas à justifier les diversions futiles du film. Car si le rythme ne retombe jamais, on peut s'interroger sur l'insistance à faire certains détours qui finalement apportent peu à cette quête mythique. Jackson a été confronté à des choix cruciaux : laisser Saruman hors de l'histoire, ne pas oublier certains personnages jusqu'à présent omis des deux premiers opusŠ Là est toute la difficulté du Retour du Roi. Même si le DVD comportera des dizaines de minutes des 3 heures supplémentaires, le cinéaste a aussi décidé de nous offrir en salles la version longue. Ce n'est pas forcément le meilleur des cadeaux tant l'épilogue nous apparaît fastidieux et interminable. Le couronnement du Roi et le baiser à la Reine nous aurait amplement comblés en concluant cette trilogie avec passion et beauté.
Cela gâchera un peu le plaisir. Car finalement, nous étions prêts à toutes les concessions et les pires compromis avec l'oeuvre de Tolkien pourvu que nous obtenions un spectacle digne de ce nom. Et à ce titre, nous sommes plus que satisfaits. Même si quelques effets numériques nous rappellent l'aspect irréaliste de cet univers, nous y croyons jusqu'au bout. Et mieux que les trucages, félicitons-nous du travail remarquable sur le son, bien plus effrayant que l'image, à certains moments. Parfois, Jackson fait même preuve d'inspiration visuelle pour des scènes plus modestes mais dramatiquement essentielles (la mort de Faramir). Admirons les scènes de batailles, qui nous clouent au siège.
Il faut avouer qu'avec cette galerie de tronches, il peut croiser le courage des uns avec la folie des autres, ce qui n'en empêche aucun d'avoir des hallucinations ou des tentations. Même à nous, cela peut arriver : que de morts qui reviennent à la vie! Psychologiquement beaucoup plus noir, ce Retour ne laissera pas indemne la Communauté (et les autres), contrastant ainsi avec la paix des Hobbits du tout début de la série. Car ces voyages ne sont pas sans obstacles. Outre les bestioles (incluons-y les Orcs) répugnantes et profondément maltraitées (que fait la SPA?), la mise en scène de Jackson alterne les gouffres vertigineux, les falaises à-pic, les contre plongées avec les cavernes sombres, les grottes souterraines, les couloirs à déconseiller aux claustrophobes. Que d'impasses, d'escaliers, de voies impossibles ou de détours dangereux - mieux vaut jouer le "collectif" que perso. Le labyrinthe de la vie se déroule sous nos yeux, pour nous faire revenir de là où nous sommes partis.
Car, finalement, le voyage incite aux erreurs de parcours. "Go in or go back". Ainsi fonctionne cette trilogie : dans le mouvement et les déplacements. Cela évite de se reposer, de s'ennuyer. 10 heures c'est sans doute trop long, mais le découpage en trois opus est habile et donne à chacun un goût différent. Peter Jackson y est allé franco, artisanalement, et a réussi son pari, atteignant enfin les rivages de la félicité, prêt à larguer les amarres pour un monstre de série B, King Kong. Encore une bête maltraitée. Espérons que son Gorille sera moins puritain et plus sexe que cette trilogie hélas trop peu sensuelle et plus que chaste...

Vincy-