CRITIQUECHABAT ET COMPAGNIE
" - Je suis, mon cher ami, très heureux de te voir
- C'est un Alexandrin. "
Rendons à Chabat ce qui est à César. Ce génie de l'humour a réussi son pari, en partie. Il a
respecté - à peu près - la bande dessinée originale dont il s'est inspiré. Son perfectionnisme a
permis à cette production gigantesque d'être techniquement au niveau des divertissements
américains. Même si l'humour est très français, à l'instar de ses héros, le film a d'emblée les
ambitions d'un Cecil B.De Mille au service de Les Nuls. Chabat prouve avec cette mission
improbable qu'il est non seulement possible d'adapter Astérix avec son propre style, mais surtout
que le lifting en fait une oeuvre distincte de la BD, complètement moderne, avec ses propres gags (et
étonnamment sans cul, mis à part la chute de reins de Monica). Toutes proportions gardées, c'est
un peu Burton revisitant Batman, excepté qu'il s'agit là de Mike Myers s'attaquant à Mickey.
C'est une bonne nouvelle car la " franchise " cinéma du héros gaulois prend un nouveau tournant.
Après le très franchouillard opus de Zidi, et son casting prêt-à-l'export, Chabat réalise un film
moins exportable mais plus drôle, visuellement plus gonflé.
Bon. Passés les lauriers et notre immense vénération pour Chabat, que reste-t-il ?
Des belles surprises (de César) et des manques (y aurait eu Brutus on aurait crié à la trahison). Il y
a de réelles trouvailles, des vannes, des jeux de mots, des nouveaux noms de personnages (Otis,
Céplus, Cannabis). Même si le gag nommé Itinéris ne devrait pas résister au temps puisque la
marque a été remplacé par Orange, dans la vraie vie (à ce propos, on vous rappelle qu'il faut
éteindre les portables dans les salles de cinéma). Il y a aussi ces intermèdes irrésistibles, absurdes
et hors sujets (cette année : la langouste). Un bon coup de James Brown, à fond la sono, pour
nous la jouer délirium musical à la Broadway. Ou encore l'écho parodique à Star Wars (" Quand
on attaque l'Empire, l'Empire contre attaque, musique en sus). Non, sus n'est pas un personnage
du film. On pourrait ajouter les caméos si bien veni vidi vici : Bacri, Kassovitz, BerriŠ, les
références à la culture pop TV d'avant Loft Story, la poétique idée d'avoir fait réciter à Obélix une
tirade de Cyrano, la sortie de la Pyramide, façon cartoon. Il ne faut pas oublier Isabelle Nanty,
Gérard Darmon, Dieudonné, Chantal Lauby, parfaits dans la dérision et l'excès.
Hélas, il y a du capharnaüm. D'abord on regrette - mais c'est même impardonnable, et presque
digne d'un blocus du port d'Alexandrie (Alexandra, ah !) - mais il n'y a aucune référence au nez de
Cléopâtre (pourtant si long et si joli qu'il en aurait changé la face du monde). On voit à peine le
village et le Panoramix du premier Astérix joué par Piéplu est remplacé par un Claude Rich trop
souriant pour être crédible. Il y a bien un clin d'¦il grossier à Mission :Impossible (quand " Obé "
grimpe sur le Sphinx) ou à Titanic (le Pirate, un peu trop technicolor). Mais force est de constater
que ni Astérix ni Obélix ne sont les héros de cette histoire. Jamel est en effet le fil conducteur, la
star. Mais a-t-on déjà vu les Aventures de Numérobis l'Egyptien cartonné dans les librairies ? ? ?
Non pas que Jamel ne fait pas rire. Mais il fait du Jamel, jeux d'élocutions inclus. C'est le pire
défaut, mais non des moindres, du film. En rassemblant quelques uns des plus grands comix de la
télé et de la scène gauloise, Chabat nous pousse à l'indigestion, sans goûteur préalable. Le
problème n'est pas leur talent individuel, mais bien l'appropriation des dialogues qu'ils en font. Il
faut imaginer Jamel parlant comme Jamel, Edouard Baer faisant du monologue philosophe chiant
(pire qu'Assurancetourix et son chant abominable), les Robins des Bois agissant comme s'ils étaient
dans un de leur sketch, le tout dans un même film. On a échappé à Eric et Ramzy, ceci dit... Nous
voici embarqués dans un grand huit du rire, avec ses très haut et ses très bas. Cela donne une ¦uvre
aussi bancale que les palais de Numérobis. On se croirait presque dans un Best of Canal +. Là où il
aurait fallu réguler, on nous offre la surenchère. Là où on aurait aimé voir un Jamel se glisser dans
l'humour d'un autre, dans un véritable jeu de composition, on se retrouve dans une production à la
Jean Yanne où Prévost vendait du Prévost. Tout le monde a le droit à sa scène, déconnecté du
reste du script.
Ca a son charme, parfois. Ca ennuie, souvent. Ca gâche presque la jubilation qu'on a à certains
moments.
On pourrait voir ça comme le syndrome vivendien universel. Messier serait César demandant à
Lescure-Cléopâtre de reconnaître qu'elle est finie. Lescure demande alors à son bricolo-man et
vendeur de Burger, Chabat, à l'aide de potion magique en euros, de réaliser le plus beau des films,
résumant l'esprit de ce grand empire déclinant, qui construisit Objectif Nul, NPA, Mon Zénith à
moi, ou encore des pharaons comme Delarue, Fogiel, Š On a racolé tout le gratin du show biz, on
a fait appel à l'exception culturelle par excellence, celle qui résiste encore et toujours à Hollywood
l'envahisseur, Astérix (Clavier) et Obélix (Depardieu). Cette bronca anti-impérialiste montre bien
comment des talents " français " (petit pays exotique selon Messier) peuvent rivaliser avec les
produits de l'Empire. Évidemment, ce que l'histoire sous-entend, c'est bien qu'il faille devenir un
boeuf français pour concurrencer à un b¦uf américain. Et que les grenouilles ne peuvent pas lutter,
avec leurs petites pattes. De toute façon, en Egypte, les grenouilles, ça pleut.
Vincy-