"Petits désordres amoureux" : Le désordre fait-il vraiment référence à l'amour ou bien plutôt au sexe ?
Peut-être qu'entre l'amour et le sexe, on pourrait glisser le désir. En fait, j'ai essayé de faire un film qui parle du désir. Du désir des hommes et de leur fragilité, et je revendiquerais volontiers la notion de "film d'hommes" un peu comme il y a des "films de femmes"...
Ce n'est pas contradictoire. Un "film d'hommes", ce n'est pas forcément un film où il n'y aurait que des flingues, de la violence et des explosions... Ce pourrait être aussi un film où l'on avancerait l'idée que les hommes ont tout intérêt à accepter leur fragilité et la part de féminité qui est en eux. C'est cet aspect du scénario qui m'a tout de suite séduit dans le script d'origine écrit par Assous. Il était assez sombre au départ, mais le personnage qu'Eric avait imaginé passait son temps à se cacher. Il désirait follement les femmes, mais il avait une peur bleue de leur désir.
Pendant très longtemps, l'histoire des relations entre les hommes et les femmes a en gros dictée et figée par les hommes. Depuis une trentaine d'années, c'est l'inverse. Je ne dis pas que les femmes ont tous les pouvoirs, loin de là... Je dis seulement que c'est elles qui font bouger les choses. Au moment où elles revendiquent et obtiennent le droit à la parole, au travail, aux responsabilités, au plaisir, il y a un retour en force de la lingerie fine et du porte-jarretelles, hier considérés comme des instruments d'aliénation... Les hommes n'y comprennent plus rien.
Ils ont l'impression qu'on est passé du "Sois belle et tais-toi" au "Non seulement je suis belle, mais en plus je ne me tais pas et je te dis "prends-moi comme une bête...". Je caricature un peu...
Sûrement pas... Mais c'est considéré comme tel par la plupart des mecs, et par certaines femmes aussi, peut-être plus nombreuses qu'on ne le pense... D'ailleurs, dans le film, c'est cet aspect du comportement de Claire qui me semble un peu négatif. Mais si elle ne répétait pas en substance à Lionel : "Sois un mec, pour une fois !", si elle prenait en compte sa fragilité, ce ne serait plus la même histoire...
Pas une semaine ne se passe sans que les magazines ne publient un article sur les nouveaux pères, sur les femmes de la troisième génération, sur le désir, le plaisir, l'orgasme des femmes ou sur l'impuissance... On sent bien que ça remue en permanence, si j'ose dire... Ce qui m'intéresse à travers le personnage de Lionel, c'est de voir comment les hommes ressentent et affrontent la remise en cause de leur hégémonie. Dans la société en général, ils résistent plutôt bien... Mais dans le cercle de l'intimité, c'est moins glorieux, si j'en juge par ce que je vois autour de moi. Séparations, divorces, infidélités, frustrations, bagarres...
En tout cas ils essaient. Mais comme ce combat est perdu d'avance, à plus ou moins long terme, - et c'est tant mieux - je crois qu'il vaut mieux essayer d'anticiper. Alors commençons par nous demander ce que devient le désir des hommes. On ne s'y intéresse pas si souvent. Le malheureux est paumé, perdu en rase campagne, en pleine recherche d'identité...
Eric avait raconté à sa manière l'histoire de Lionel et de Claire. C'est-à-dire le plus simplement, le plus naturellement possible. J'ai une grande admiration pour ce qui apparaît comme sa "facilité d'écriture". Tout semble couler de source, dans la légèreté et l'élégance... Rien n'est lourd. Tout est "transparent"... mais la transparence n'est là que pour faire apparaître des choses très profondes du comportement humain. Pour reprendre un mot de Bruno Putzulu à propos de son personnage, Eric Assous est un "explorateur de l'amour"... il va sur le terrain, observe, puis écrit. Beaucoup... C'est un entomologiste des sentiements élémentaires. Et c'est comme en physique pour les particules : c'est le fondement de la matière...
Non. Au départ, elle me faisait plutôt peur. Le côté introspection bourgeoise... Mais, comme je viens de le dire, cette simplicité laissait entrevoir toute une problématique : celle du désir des hommes face à des femmes en pleine mutation... Et ça, j'avais envie d'en parler... pour des tas de raisons. Entre autres, j'avais été très intéressé dans les années 80 par un petit livre de Bruckner et Finkelkraut intitulé "Le nouveau désordre amoureux". J'avais aussi envie de montrer que les jeux de séduction sont des jeux d'apparences, des jeux de miroirs. C'est en introduisant des narrateurs que j'ai pu y parvenir.
Un narrateur, c'est la possibilité de ménager une distance entre ce qu'il dit et ce qu'on voit. Comme réalisateur, ça me permet de jouer avec le récit, de le représenter comme narration, et de montrer ce qui le distingue de la réalité. Je crois que c'est dans cette espèce d'enrichissement, et parfois de trahison du scénario au moment de la réalisation que se joue mon envie de la mise en scène. La présence des deux narrateurs, c'est une grande part de ma contribution personnelle au scénario d'Eric Assous. Le personnage interprété par Vincent Elbaz, c'est un peu un metteur en scène. Il fait exister l'histoire dans l'imaginaire de Sophie. Finalement, qu'est-ce qu'on voit à l'écran ? Est-ce une représentation de l'imaginaire de Sophie, de celui d'Alain, du mien, de celui du scénariste ? Au cinéma, comme dans la vie, quand quelqu'un vous raconte une histoire, comme Alain, il ne vous raconte pas forcément sa propre histoire, mais il vous raconte toujours quelque chose sur lui-même... Je n'invente rien en disant ça. A mon avis, c'est aussi l'exigence minimale et première du métier de metteur en scène. C'est son style.
Quand on fait un premier film, on est toujours tenté de se demander comment ceux que l'on admire auraient fait... où ils auraient placé leur caméra, à quelle focale, qu'est-ce qui fait qu'un film de cinéma diffère d'un téléfilm, etc. On raisonne et, au bout d'un moment, on est perdu, on ne sait plus rien. Et à ce moment-là... C'est Kertesz, le photographe, qui a dit : "Le style, c'est la sincérité. C'est vrai dans l'art comme dans la vie". J'aime beaucoup cette phrase.
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