Avec Dark Waters, Todd Haynes s'invite dans le film engagé (côté écolo), le thriller légaliste et l'enquête d'un David contre Goliath. Le film est glaçant et dévoile une fois de plus les méfaits d'une industrialisation sans régulation et sans normes.



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My Fair Lady


USA / 1964


 



L’EDUCATION D’ELIZA





"- La différence entre une dame et une vendeuse de fleurs, ce n'est pas comment elle se comporte mais comment on la traite."

Le docteur Higgins (Rex Harrison), illustre spécialiste de la phonétique, a une haute estime de lui-même. Et n’éprouve le plus souvent que du mépris pour ses semblables. Misanthrope, misogyne et égoïste, il ne vit que pour la langue de Shakespeare. Quand sa route croise celle d’Eliza Doolittle (Audrey Hepburn), ravissante mais braillarde marchande de fleur à l’accent cockney prononcé, s’en est trop pour les oreilles de l’irascible maître linguiste : «Le seigneur vous sera gré de ne plus lui écorcher les oreilles !», lui assène-t-il du haut de son mépris. D’abord irrité, il voit peu à peu en elle la dame de la haute qu’il pourrait en faire. D’où un pari passionnant (et cynique) tenu avec son ami Pickering : il va transformer en quelques mois ce vulgaire chat de gouttière en un bel Angora de compétition. Pas pour aider la miséreuse Eliza à s’arracher à sa condition sociale, non, seulement par désir de gloire personnelle : l’expérience, inédite, est intellectuellement stimulante.
L’histoire est simple et belle, presque mythologique. Cukor réussit à imposer Audrey Hepburn pour le rôle d’Eliza. Cette comédie musicale procure toujours aujourd’hui le même émerveillement. Et prouve magistralement que Cukor n’est pas seulement un fin coloriste, un génial dialoguiste et un grand directeur d’acteur - et surtout d’actrices, comme en témoignent ses fructueuses collaborations avec Jean Harlow, Katherine et Audrey Hepburn, Marilyn Monroe, Greta Garbo, Anna Magnani ou encore Ingrid Bergman. On a souvent restreint la reconnaissance de ce spécialiste de la comédie matrimoniale (le culte Madame porte la culotte) et du remariage (le sublissime Indiscrétions) à la préciosité de sa mise en scène. Et donc à une certaine sophistication un peu vaine et superficielle. Or George Cukor est aussi et surtout un moraliste. My Fair Lady en est un exemple parfait. Le ton est enjoué, les couleurs flattent le regard et les chansons sont réjouissantes, mais ce film « haute couture » n’en est pas moins une satire sociale bien sentie. Les prolos sont certes bons vivants, mais aussi cupides et ivrognes (« le gosier en pente »), incarnés en un seul être par le personnage haut en couleur du père d’Eliza. La bourgeoisie en prend aussi pour son grade dans la fameuse scène du champ de course hippique (et très hype), véritable repère à friqués. Cukor croque ces silhouettes figées en décomposant leurs mouvements par plans fixes, composés comme des photos de mode. Les chevaux passent, et tous lèvent machinalement leurs jumelles. Contraste saisissant entre la vitesse des canassons et l’immobilité du public. Eliza-Cendrillon, déguisée en dame pour un jour, incarne la vie qui manque à ces morts-vivants momifiés par les convenances. Son franc-parler a tôt fait d’être démasqué ... horrifiant les comtesses par son franc parler, ridiculisant ainsi son professeur, elle réussit à séduire un jeune fils à papa en mal d’inattendu.
Le langage comme repère social. C’est cela le sujet central de My Fair Lady. Le personnage joué par Rex Harrison s’amuse ainsi à disséquer les variantes d’accents de la langue anglaise, poussant même la maniaquerie jusqu’à pouvoir déterminer précisément le quartier d’origine d’un Londonien. Parle moi et je te dirais d’où tu viens... Transformer le « specimen » Eliza en dame, voila une manière pour le docteur Higgins de mettre en pratique sa théorie du langage, qui selon lui permettrait de « combler l’abîme qui sépare les classes sociales entre elles, et les âmes entre les âmes ». Entreprise noble, démiurgique, à la docteur Frankenstein : à partir d’un matériau ingrat, donner vie à un être exceptionnel. « Je ferai une duchesse de cette raclure », annonce-t-il sans ménagement. Mais le « monstre », une fois créé, devient incontrôlable. Dans le roman de Mary Shelley, le monstre devient un assassin. Dans le film de Cukor, un bourreau des cœurs, et en particulier de celui du Docteur Higgins.
Rex Harrison est splendide en amoureux malgré lui, étouffé par son cynisme, mais irradié par la présence d’Eliza, magnifique Audrey Hepburn. Leur duo antithétique donne lieu à de savoureuses scènes burlesques tout au long de l’éducation d’Eliza. Les méthodes du linguiste sont musclées, et parfois même un peu sadiques : il lui fait articuler des phrases imprononçables (du genre « les chaussettes de l’archiduchesse../ ») en lui gavant la bouche de billes…la pauvre Eliza finit par en avaler une, manquant de s’étouffer. Higgins s’en aperçoit, et la rassure aussitôt, à sa façon: « ça ne fait rien, j’en ai d’autres !» Eliza se venge ensuite, lors d’une séquence de rêve hilarante : son impitoyable prof se fait fusiller par la garde nationale! L’élève donne du fil à retordre au maître, le duel est permanent. Elle perd en innocence à mesure qu’elle se cultive, tandis que lui goûte le plaisir simple d’une présence féminine dans son univers constitué de livres poussiéreux et d’innombrables magnétophones. Eliza et le docteur Higgins sont finalement deux « hors classe ». Lui par misanthropie (il déteste autant les riches que les pauvres), elle parce qu’elle ne se sent plus à l’aise nulle part. Trop spontanée pour le monde étriqué de le haute bourgeoisie, trop sophistiquée désormais pour espérer regagner son quartier d’origine. Les siens ne la reconnaissent d’ailleurs même plus dans la rue. L’amour réunira ces deux êtres déracinés.
Splendidement chorégraphiées en long plan séquences, les scènes musicales font avancer l’histoire à la manière de monologues intérieurs, sans venir parasiter le film en cassant artificiellement la dramaturgie, comme c’est parfois le cas dans les comédies musicales. Ici, tout s’enchaîne dans un flux miraculeux et réjouissant. L’élégante mise en scène de Cukor, épousant le rythme des sentiments des personnages, est magnifiée par le travail sur les décors de Cecil Beaton (pourtant en conflit avec le réalisateur lors du tournage) d’un grand raffinement.
My Fair Lady pétille et séduit les sens comme un grand champagne, mais tient sa saveur particulière de son acidité. Beauté plastique renversante, acteurs irrésistibles, humour mordant : il faut redécouvrir sans hésiter ce chef d’œuvre sur grand écran.
 
éric

 
 
 
 

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