Godard. Que dire de Jean Luc Godard ? L'entreprise est ardue puisque le réalisateur est peut-être la figure la plus complexe et la plus innovante du cinéma depuis plus de quarante ans. Complexe, car prolixe, expérimental, évolutif, toujours en avance et souvent métaphysique, tant au niveau du discours que de l'image.
Que l'on parle des premiers courts des années 50, de la période romanesque des années 60 (avec les films autour d'Anna Karina, de Brigitte Bardot, de Jean-Pierre Léaud et Jean-Paul Belmondo), de la période des années 70, partagées entre les années politiques (avec le groupe Dziga Vertov), et les années vidéo (souvent en collaboration avec sa compagne Anne-Marie Miéville), ou de celle des années 80 et 90, avec un retour aux films de cinéma à proprement parler, le travail de Godard a toujours gardé une même ligne directrice : celle de la recherche cinématographique, de l'art du fragment pour aller au delà de ce que le cinéma donne à voir.
Bien sûr, certains disent que la seule période godardienne s'apparentant au vrai cinéma (de " vrais " films avec des vraies histoires et des personnages psychologiquement palpables) reste celle des années 60. Néanmoins, à bien regarder, et même si évidemment, la dimension fictionnelle est plus facile à appréhender et plus proche du cinéma classique dans la première période godardienne, la démarche première du cinéaste est déjà là : l'accent mis sur chacune des composantes d'un film, à savoir l'image, le son, la parole. Parce que Godard ne s'arrête pas à un scénario (bien au contraire puisque le scénario est souvent chez lui évolutif et prend tout son sens dans le développement du film, du tournage jusqu'au montage). Son propos est au delà. Car son cinéma est toujours en quête de la vérité des choses et des êtres, comme l'illustre un dialogue du Grand escroc (1963) : " Pourquoi me filmez-vous comme ça ? "-" Je ne sais pas… parce que je cherche quelque chose de… la vérité ". C'est un peu comme s'il prenait chacun des éléments du film pour le disséquer, le maltraiter, l'utiliser à contre-courant pour lui donner un sens nouveau et appréhender l'essence cinématographique et humaine.
Il est ainsi assez difficile de rentrer dans un de ses films. Comme le dit justement Jacques Villeret : " Quand je vais voir son dernier film (Soigne ta droite), j'ai parfois du mal à suivre, j'ai l'impression de mal comprendre, je m'accroche, puis à la sortie, quand je me retrouve au bistrot ou au restaurant, j'ai tout à coup l'impression de vivre du Godard : cette scène c'est lui qui l'a faite. Je trouve que dans la vie, on vit souvent du Godard ". Parce que Godard reste difficile à décrypter immédiatement, dans une première approche. Le réalisateur ne peut pas montrer par une simple fiction des éléments simples de la vie : il passe la plupart du temps par des ellipses savantes qui peuvent sembler sibyllines. C'est ainsi qu'il lui faut Fritz Lang et l'Odyssée pour filmer une femme qui en vient à mépriser son mari (Le Mépris), l'intervention de Dieu et d'une pléiade de personnages pour parler de l'intimité d'un homme et d'une femme (Hélas pour moi) ou la Résistance et les usines Renault à Billancourt pour montre les quatre âges de l'amour (Eloge de l'amour).
Il faut souvent plusieurs lectures (comme plusieurs écoutes pour apprécier un morceau de musique dans sa globalité) ou une concentration intense pour parvenir à capter le sens de ses films et à en mesurer toute leur portée. En revanche, lorsque c'est chose faite, l'empreinte poétique et essentielle laissée par le réalisateur et ses films est indélébile.
Laurence