- LE SCENARIO, LA MISE EN SCENE, LES IMAGES, LE SON
Dans la quasi totalité de ses films, Jean-Luc Godard semble très éloigné de tout académisme, quelques soient les stades de la réalisation.
Pour commencer, ses scénarii sont souvent évolutifs. Même s'ils existent de façon détaillée au départ (et il le faut bien pour obtenir des financements), la version initiale est souvent très différente du résultat final. Ainsi par exemple, A bout de souffle évolue fortement entre le projet (" en gros, le sujet sera l'histoire d'un garçon qui pense à la mort et celle d'une fille qui n'y pense pas ") et le tournage. Jusqu'à ce qu'il en tourne la fin, il ne sait absolument pas si Michel Poiccard va mourir ou non. Chaque matin, il écrit avec précision les scènes qu'il va tourner dans la journée. C'est en partie pour cette raison que l'actrice Jean Seberg, effrayée par ce qu'elle pense être de l'amateurisme, est, à un moment donné, sur le point de quitter le tournage.
De cette façon de procéder (création permanente et in extremis) ressort une impression de performance. On a le sentiment d'être face à une construction qui s'apparente au cinéma expérimental.
De plus en plus dans les films de Godard, on suit des personnages, des voix , la vie, des questionnements, et le scénario devient de plus en plus difficile à appréhender dans une dimension classique (une vraie histoire simple avec des personnages palpables).
Avec la mise en scène, Godard amplifie ce côté " non classique ". Il utilise largement les ruptures de rythme, l'art de la fragmentation afin de mettre chaque plan en valeur.
Sa façon d'appréhender les personnages est également particulière. Dès le début, et de plus en plus au fil de ses films, il leur fait adopter une diction automatique qui donne un côté déshumanisé et qui met en relief le sens du texte et des scènes filmées.
On retrouve souvent le procédé de distanciation qui contribue à mettre le spectateur dans une position critique et qui le pousse à percevoir les scènes d'une manière différente, moins passive. Par exemple, dans Made in USA, Lazlo Szabo regarde droit la caméra alors qu'Anna Karina fait les cent pas devant lui. Il énonce clairement d'une voix monocorde : " je suis là, avec mon costume noir et ma cravate de couleur. Et je lui dit que j'ai encore pas mal d'amis au pouvoir… ". Ce procédé, alors surprenant, interpelle. On le retrouve encore dans Pierrot le fou, lorsque Belmondo parle à la caméra (" Vous voyez : elle pense qu'à rigoler ! "), ou encore dans A bout de souffle (" Si vous n'aimez pas la mer… si vous n'aimez pas la montagne… si vous n'aimez pas la ville… allez vous faire foutre ! ").
Concernant les images, Godard adopte encore un point de vue particulier : des cadrages souvent étonnants (des personnages apparaissant dans un coin de l'écran, comme parfois dans Made in USA), des à-plats de couleurs vives (Pierrot le Fou, Made in USA...), des mots filmés en gros plan comme pour mettre en valeur les thèmes énoncés dans les scènes (des néons clignotants comme dans Made in USA, des panneaux ajoutés à la manière des films muets comme dans Bande à part, Histoire(s) du Cinéma, ou encore dans Hélas pour moi, des titres de livres pour dialoguer comme dans Une femme est une femme).
Le son participe aussi de cette " marque de fabrique " cinématographique. On retrouve souvent des bruits extérieurs (sonneries, avion, voiture…) qui couvrent la parole, des discours qui se chevauchent tels la strette d'une fugue, des voix off qui se superposent aux bruits des scènes ou au contraire qui les couvrent parfaitement, des monologues où l'on ne voit que celui qui écoute, des chansons entières qui remplacent les sons d'une scène (Bande à part), un générique sonore à la place d'un générique écrit (Le Mépris), des thèmes musicaux omniprésents (musiques de Duhamel, Delerue) ...
Quelque soient les techniques cinématographiques, c'est comme si Godard cherchait à ne pas montrer les choses telles qu'on a l'habitude de les voir, comme s'il voulait maltraiter chaque composante afin de créer davantage de sens et de profondeur.
On a parfois rapproché le cinéma de Godard et le free jazz. Parce que c'est peut-être un peu du free cinéma : maltraiter les règles établies pour en sortir du neuf, du vrai. Avec lui, rien n'est jamais acquis. Et cette remise en question permanente est sûrement pour beaucoup dans l'évolution du cinéma.
Laurence