Kubrick

Eyes Wide Shut. Trois mots ambivalents qui résonnent comme une invitation au rêve. Kubrick a joué pour la dernière fois sur son terrain favori : notre inconscient ; afin d'y révéler cette part intime et complexe que sont nos fantasmes. Pour mieux désacraliser nos pulsions, les mettre à nu, une à une, tout en avançant masqué...
Le film est construit comme un miroir : l'image de nos fantasmes vient se confronter à leur réalité, l'orgie étant l'axe, le pivot entre les deux mondes. Le rêve érotique du début vire à la farce cauchemardesque. Soit un petit couple new-yorkais clean. Une soirée de gens bien sous tous rapports. Un dragueur hongrois. Un petit joint. Le fantasme avoué de sa femme. La confiance du couple qui s'envole. Et le doute qui fait son entrée dans la tête du petit mari.
Sorti prendre l'air, notre docteur va subir les avances consécutives de deux escort-girl, d'une amie endeuillée par la mort de son père, d'une prostituée et d'une jeune Lolita en soutien-gorge dans un magasin de déguisements. Over the Rainbow. Chaque scène évoque une tentation teintée par la présence d'un danger, d'un trouble psychologique ou de la mort qui attend son heure en second plan. Ce trouble qui s'installe dans la tête de notre cher docteur (et du spectateur !) éveille sa curiosité (invitation du pianiste) et le mènera jusqu'à l'apothéose de son désir : l'orgie. Le "rêve" s'arrête là. The End.
Un deuxième film commence. Le docteur passif va devenir actif, cherchant à con-science-tiser ce qu'il a vécu. Il revient dans chaque lieu traversé : bureau, manoir, chambre de la prostituée, magasin, hôtel. Mais les apparences sont toutes autres (grâce à la symétrie complémentaire des couleurs : rouge, vert et noir en extérieur, bleu, orange et blanc pour les intérieurs). Les fantasmes, pure construction mentale de mise en scène (!), se sont évanouis laissant la place aux pulsions et à leur réalité la plus crue, déjà sous-jacente dans la première partie (prostitution, pédophilie, proxénétisme, nécrophilie).