ANALYSTES

De la tendresse à la férocité, de la poésie à l'humour, ces réalisatrices décortiquent les êtres au plus profond de leurs âmes. Elles éclatent l'intime dans ce qu'il a de plus naturel pour le hisser au rang de l'universel et toucher chacun de nos sens. Leurs personnages, qu'ils soient errants ou révoltés, aliénés où libérés, sont voués à renaître.

Certaines retournent aux origines et portent des enfants déracinés. Ils sont " Fils de requins " chez Agnès Merlet, " Enfants de salaud " pour Nicole Garcia ; de jeunes êtres abandonnés, traumatisés chez Sandrine Veysset (" Victor pendant qu'il est trop tard ") et Nadia Tass (" Amy "), ou encore condamnés par la maladie (" Le petit prince a dit ", de Christine Pascal). Des maux de l'enfance aux malaises et fuites de l'adulte (" La vie ne me fait pas peur ", de Noémie Lvovsky ; " Le lait de la tendresse humaine ", de Dominique Cabrera ; " Qui plume la lune ? ", de Christine Carrière) le psychodrame familial est un moyen de représentation qui soulève des questions universelles. D'autres ancrent leurs films dans la notion de crise identitaire : chez Carine Adler (" Under the Skin ") ou encore Anne Fontaine (" Comment j'ai tué mon père "), la libération des individus passe par un duel contre leurs propres histoires familiales. Pour Laurence Feirrera Barbosa (" La vie moderne "), ces êtres se libèrent et trouvent leur place en s'appuyant sur des idéaux familiaux, spirituels ou encore sociaux. Avec " L'âge des possibles ", Pascale Ferran s'attaque à la perte même de ces idéaux et ses effets destructeurs chez les jeunes adultes.

Peurs, affirmation de soi dans une société en crise, quelquefois hostile (" Les amoureux ", de Catherine Corsini) ; psychologie de la vie amoureuse dans chacune de ses problématiques (du processus libératoire, physique et moral, à l'impasse relationnelle) : l'adultère et le fantasme réaniment la vie d'un couple chez Anne Fontaine (" Nettoyage à sec ") ; Sophie Marceau dans " Parlez-moi d'amour " déploie la question des rapports d'influence entre enfance et vie amoureuse ; quant à Tonie Marshall, sa " Venus Beauté " se perd entre désirs d'affranchissement corporel et pièges de l'amour. Le corps féminin, justement : il est " A vendre ", chez Laetitia Masson, lorsque la femme, asservie au désir masculin, n'a plus aucun repère pour lui donner une toute autre valeur.

On entre ici dans l'absolu. Du rapport à son propre corps, à la relation aux autres, les questions restent sensiblement identiques : de l'engrenage alcoolique (" Place Vendôme ", de Nicole Garcia ; " 28 Jours en sursis ", de Betty Thomas) à l'autodestruction sans retour (" Sans toit ni Loi ", d'Agnès Varda), en passant par la spirale passionnelle - qu'elle se situe dans l'amour (" Clément ", d'Emmanuelle Bercot), l'amitié, sous forme de duel, (" La répétiton ", de Catherine Corsini ), ou le rapport à la liberté (" Holy Smoke ", de Jane Campion) -, les réalisatrices construisent de véritables labyrinthes psychologiques. Dépendances, duo-duels, errances, autodestructions morales et physiques, compensations chimériques, … : la folie (" Les fils de Marie ", de Carole Laure ; " Mad Love ", d'Antonia Bird ; " L'adversaire ", de Nicole Garcia) constitue la forme ultime de cette quête d'absolu.
Mais au-delà de l'oppression ou de la déchéance subie par leurs personnages, ces réalisatrices visent toujours ce que les êtres ont de plus précieux et intimes : l'élan vital de leur coeur et de leur âme : " Hauts les cœurs ! ", titrait Solveig Anspach en 1998 ; quant à Zabou Breitman, elle nous proposait l'an dernier de " Se souvenir des belles choses ". Des belles choses : justement, aussi invisibles puissent-elles paraître, ces réalisatrices parviennent à les rendre palpables, en usant, sans modération, d'un véritable réalisme de proximité. Elles embrassent cette part obscure et cachée des êtres et nous offrent ainsi des oeuvres dynamisées d'une réelle matière active.

Sabrina