Ecran Noir, le cine-zine de vos nuits blanches, présente le festival de Sundance

ACTUALITÉs 1998

6 Décembre 1997 * Sundance avec les loups
Sundance est LE Festival des films indépendants dans le monde. Ou était? Depuis que l'événement crée par l'acteur-réalisateur-producteur Robert Redford a su imposer ses films en sélection à Cannes, en bonne position dans les Box offices, et en compétition aux Oscars, Sundance est devenu le "Cannes" du cinéma indie.
Cela a entraîné une progression croissante de la fréquentation, de la médiatisation, des attentes cinéphiles et surtout une forte augmentation des transactions financières (achats et ventes) autour des droits de distribution des films. Au point que les puristes préfèrent désormais Telluride en septembre...
Désormais Sundance est un micro-empire. Une chaîne câblée, un institut de formation cinématographique, un site web en partenariat avec Starwave (Mister Showbiz)... et depuis cette année une chaîne de salles de cinéma réservée aux films indépendants.
Désormais Sundance avance la date d'inscription des compétiteurs afin de faire face à son succès, et le Festival accueille les patrons de Miramax, New Line, et autres October Films. Même si ces nababs de l'indie sont tous affiliés aux multinationales Disney, Warner ou Universal.
Festival 98. Face à toutes ces critiques sur un Sundance dénaturé, les organisateurs n'ont pu répliquer que par le poids de leur cru 1998. 750 films (contre 600 en 96) et 200 documentaires voulaient déferler sur l'Utah. 16 documentaires et 16 fictions seront finalement en compétition.
Être sélectionné à Sundance c'est la possibilité pour un "petit" film de se retrouver catapulté parmi les grandes productions hollywoodiennes. L'exemple le plus récent et le plus brillant est bien entendu Shine.
Les organisateurs ont donc voulu rendre le festival plus "chaleureux", en réduisant volontairement le nombre de films dans chaque section. Cela n'empêchera pas les spectateurs de profiter confortablement de la salle de cinéma de l'Egyptian Theater (1300 places), totalement rénovée. Parmi les nouveautés, le quartier général et le centre d'accueil, un système d'indication des sections festivalières, et un système de transport revu et corrigé.
La foule ne devrait plus être un obstacle dans cette petite ville de Park City envahie 10 jours par an.
La fièvre de Sundance. Mais cela ne résout pas le problème à long terme. Sundance attire toujours plus de films (150 de plus qu'en 96, 250 de plus qu'en 95 ont été présentés au comité de sélection) comme si le Festival des Rocheuses apparaîssait comme incontournable. Ce qu'il est.
Geoffrey Gilmore, directeur de la programmation, avoue: "C'est un nombre astronomique (750, NDR). Nous n'en avons pris que 32 en compétition. C'est déprimant quand on y pense, mais un nombre horriblement important de ces films ont été produits alors qu'ils ne connaîtront jamais de public. Moins de 60 par an voient le jour en salles, et peut être 150, si l'on est optimiste, finissent en vidéo. Je suppose que cela montre l'envie des gens de faire des films."
Les thèmes de l'année. Deux types de films sont apparus dans la sélection 98. Les comédies (romantiques ou non) avec un casting un peu connu, un esthétisme grand public, très loin des films noirs des précédentes années. Et des films quasiment expérimentaux artistiquement.
De même, Sundance a laissé la place à des nouveaux talents, des nouveaux visages, délaissant des habitués comme les Frères Coen.
98 sera marquée par un retour des réalisateurs noirs, et par un déclin, passager, des réalisatrices dans la fiction. En revanche, les femmes trustent 13 des 16 documentaires sélectionnés.
Bref, un cinéma indépendant toujours très riche, et qui ne demande qu'une chose: être vu. Et pour cela, Sundance reste le lieu idéal.

7 décembre 1997 * Demandez le programme!
Du 15 au 25 janvier, 103 films s'embobineront dans les projecteurs des salles de Park City.
L'ouverture se fera avec Sliding doors de Peter Howitt, un film Miramax, avec Gwyneth Paltrow.
Pas de rétrospective particulière, mais une section dévolue aux archives de la Collection Sundance à l'UCLA.
Un hommage spécial à la réalisatrice et pionnière du ciné indie, Shirley Clarke. Quant à l'hommage Piper-Heidsieck, il récompensera l'actrice australienne Judy Davis.
Outre cela, voici la Compétition dramatique:

    2 by 4 de Jimmy Smallhome
    Billy's Hollywood Screen Kiss de Tommy O'Haver
    Buffalo 66 de Vincent Gallo, avec Christina Ricci, Anjelica Huston et Ben Gazzara
    Hav Plenty de Christopher Scott Cherot (déjà à Toronto)
    High Art de Lisa Cholodenko
    How to Make the Cruelest Month de Kip Koenig, avec Marianne Jean-Baptiste
    Married a Strange Person de Bill Plympton
    Jerry & Tom de Saul Rubinek, avec Joe Mantegna
    Miss Monday de Benson Lee
    Next Stop Wonderland de Brad Anderson
    Once We Were Strangers de Emanuele Crialese
    Pi de Darren Aronofsky
    Slam de Marc Levin
    Smoke Signals de Chris Eyre
    Under Heaven de Meg Richman
    Wrestling With Alligators de Laurie Weltz

Dans les autres sections, on notera la présence de:
    The Affliction de Paul Schrader (avec Nick Nolte, Sissy Spacek, James Coburn). Déjà présenté à Venise et Telluride.
    The Big One, la dernière provoc réaliste de Michael Moore.
    Digging to China premier film de Timothy Hutton (qui a joué dans le premier film du réalisateur Redford), avec Kevin Bacon.
    Gods and Monsters, film gay gai entre Ian McKellen et Brendan Fraser, de Bill Condon.
    The Misadventures of Margaret de Brian Skeet, seul film de l'année avec l'égérie Parker Posey, et Brooke Schields.
    The Opposite Sex de Don Roos, avec Christina Ricci (bis) et Klyle Lovett.
    Polish Wedding de Teresa Conellu, avec Claire Danes, lena Olin et Gabriel Byrne.
    The Real Blonde de Tom Di Cillo, avec Matthew Modine, Kathleen Turner, Daryl Hannah. Première à Deauville.
    The Spanish Prisoner, un hit à Toronto et Deauville, de David Mamet, avec Steve Martin, Campbell Scott et Ben Gazzara (bis).
    Too Tired to Die de Wonsuk Chin, avec Mira Sorvino, Ben Gazzara (ter), et Takeshi Kaneshiro.

Et parmi les films étrangers...
    Hana Bi de Takeshi Kitano (Lion d'or à Venise), The Hanging Garden de Thom Fitzgerald (hit et prix à Toronto), La vie selon Muriel de Eduardo Milewicz, Marie Baie des Anges de Manuel Pradal.
    Un frère de Sylvie Verheyde (avec Emma de Caunes), le moyen The Well de Samantha Lang, et le hit de Telluride comme de Toronto, Who the Hell Is Juliette? de Carlos Marcovich (Mexique).
Nombre d'entre eux ont déjà été projetés dans des festivals: Montréal, Vancouver, Edimbourgh, Toronto, Cannes...

15-22 Janvier 98 * Sundance News

  • Toute la ville en parle. Robert Redford contre Courtney Love, le match inattendu.
    Première étape. Sundance programme Kurt and Courtney un documentaire non autorisé de Nick Broomfield. Que personne n'a vu ou presque puisque ce film sur le couple Kurt Cobain-Courtney Love n'a été diffusé qu'en projection privée.
    Seconde étape. En effet, Courtney Love s'est battue jusqu'au bout pour empêcher ne serait ce que la réalisation du film. Dernières privations de la part de la chanteuse-actrice: interdiction d'utiliser les chansons de Nirvana, pressions auprès des producteurs (la BBC).
    Troisième et dernière étape. Conférence de presse du patron du festival, Robert Redford. Le film ne sera pas montré afin de ne pas exposer le festival à des poursuites judiciaires. Et à propos de Courtney Love? "En tant qu'artiste ayant profité autant de la liberté d'expression dans sa carrière, je trouve fortement ironique qu'elle choisisse d'interdire à un autre artiste de présenter son travail."
  • Ils étaient tous là. Les nababs des studios Miramax, Gramercy, Live ou Sony... Ils étaient là pour voir The Castle, un tout petit film australien (à très petit budget) de Rob Stich. Une comédie où une famille de prolétaires doit quitter son foyer pour cause d'expansion de l'aéroport.
    Ils étaient tous là et pourtant le film est sur le marché depuis mai. Et tous les studios ont refusé d'en acheter les droits. Or, ce qui valait 500 000 $ il y a un mois, vaut désormais 3 à 4 fois cette somme.
    Le film a en effet rapporté plus de 10 millions de $ rien qu'en Australie. Ils étaient là pour se demander pourquoi ils étaient passés à côté de ce film. Et surtout pour voir la réaction du public de Park City. Vraisemblablement le film aura un distributeur ce week-end.
  • On vous en parlait hier. C'est fait. The Castle, le petit film australien, a trouvé son distributeur nord américain: Miramax.
    Le film valait 500 000 $ la semaine dernière sur le marché. Le chèque fut de 6 millions de $ hier.
    Sundance devient de plus en plus un marché à prix forts, à cause de la surenchère acharnée entre les studios dits indépendants (mais à la ligne de crédit aussi large que leur propriétaires: Universal, Disney, Fox...).
    C'est le troisième film (après Next Stop, Wonderland et Jerry and Tom) en une semaine acheté par Miramax, pour un coût supérieur à 3 millions de $. Inflation vertigineuse comparée à 97.

    23 janvier 98 * Nirvana des Indies

  • Le Festival de Sundance vient de s'achever. Avec la traditionnelle remise des prix.
    3 films ont reçu les principaux honneurs de cet événement créé par Robert Redford afin de contribuer au développement du cinéma indépendant.
    Slam de Marc Levin, Pi de Darren Aronofsky et Smoke signals de Chris Eyre, respectivement Grand prix, Meilleur metteur en scène, et pour le dernier une double récompense (Prix du public, Meilleur réalisateur).
    Slam est un film quasiment sans acteurs professionnels, autour d'un poète noir emprisonné à Washington. Il rencontrera lors de sa détention un chef de gang et une femme donnant des cours aux détenus.
    Pi est plus proche du thriller: un mathématicien est persuadé que tout est logiquement chiffré et donc prévisible, y compris les cours de la bourse...
    Enfin, Smoke signals, le favori du festival 98, suit l'itinéraire d'un jeune homme qui cherche le corps de son père afin de l'enterrer.
    Les 3 films (un quasiment documentaire, un autre au financement insolite, et enfin le troisième dont le cinéaste est un amérindien) montre bien que le cinéma peut transgresser les barrières: genre, argent, race.
    Pi, ou le film socialiste par excellence...
    En cela Sundance a montré sa force. 103 films, 15 000 spectateurs, et plus de 700 journalistes accrédités. Il est devenu le plus important festival de cinéma des Etats Unis.
    Il est salutaire qu'un film comme Pi ait donc réussi à trouver sa place dans un système habituellement dominé par l'argent.
    Or, Pi est un film sur les chiffres, et dont le financement est basé sur une idéologie socialiste.
    Selon Variety, le film est "une oeuvre personnelle, visionnaire, hermétique, artistique." Contrairement à Slam réalisé par un vétéran du documentaire (et qui a signé là un film cru, fort, politique, social, ancré dans les combats d'aujourd'hui), Pi est une réalisation brillante d'un futur talent, un metteur en scène en puissance, Darren Aronofsky.
    Pi serait presque comparable à un film comme La Sentinelle de Desplechins. Excepté que le film a été tourné (à New York) pour 60 000 $ US seulement et en noir et blanc.
    Pour monter le budget, le cinéaste a demandé des contributions à des proches (100 $) avec retour sur investissement de 150 $ si le film gagnait de l'argent. Les donateurs auront le droit aussi à deux billets pour la première à NY, et à leur nom au générique de fin.
    Total, 20 000$ en petites coupures qui lui permirent d'aller chercher le double chez un producteur indépendant.
    Puis il engagea une équipe, la plupart du temps des gens travaillant pour la première fois. Sans salaires à fournir, il leur attribua des parts de profits. Tout le monde ne pouvait être qu'impliqué.
    Le film a été acheté 1 million de $ par Live Entertainment lors du Fetsival. Après défraiements, chacun des travailleurs touchera donc entre 5 et 10 mille dollars. Une histoire de chiffres jusqu'au bout.
  • Pi a reçu le prix de la mise en scène à Sundance. Et déjà les comparaisons fleurissent autour de ce thriller "mathématiques", basé sur les chiffres.
    Entre la science-fiction et le surréalisme, l'oeuvre rappelle les premiers films de David Lynch (préoccupations: ordinateurs, insectes, cerveau, juifs, tortures physiques, overdose de créations).
    Mais cela rappelle aussi le style de Stanley Kubrick: précision, virtuosité technique, traitement de l'image intellectuel, froideur du comportement humain. La presse américaine remonte même jusqu'à Luis Bunuel pour tenter de retrouver autant de référence à l'histoire.
    Il est en effet très rare de voir un film se pencher sur la théorie existentialiste.

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