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Interview de Michel Ciment
Le 25 octobre dernier, le réalisateur français Patrice Leconte, dans une interview donnée à Libération, parlait de la critique comme d'" un club de fossoyeurs ". Quelques jours auparavant, ilÊ adressait à ses confrères de l'ARP (la société des Auteurs, Réalisateurs et Producteurs) une lettre les informant de son inquiétude quant à l'attitude de la critique française vis à vis du cinéma populaire hexagonal. Autrement dit, la critique, aujourd'hui, s'apparenterait à un jeu de massacres, gratuit, et plus particulièrement dirigé contre le cinéma français, au risque de le voir disparaître sous les pattes du mastodonte américainÉ
La critique a-t-elle vraiment si dangereusement évolué ? Flash-back.
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CHRONO
28 décembre 1895 : Premières séances publiques du " Cinématographe Lumière " dans le Salon Indien, au sous-sol du Grand Café (14 boulevard des Italiens)
30 décembre: premiers comptes rendus dans Le Radical et La Poste
1908 : Charles Pathé lance Le Pathé Journal
1912 : Le Figaro enquête sur la concurrence nouvelle du cinéma pour le théâtre
1913 : le cinéma apparaît dans la rubrique " courrier théâtral " des journaux
17 octobre : Le Journal consacre une page entière au cinéma, mais sans critiques
1916 : Louis Delluc devient rédacteur en chef du Film
1er juin 1918 : Louis Delluc inaugure les premières critiques de films, publiées dans Paris-Midi
1921 : création de Cinémagazine
21 octobre : Le Petit Journal consacre une page entière au cinéma, critiques comprises
1924 : premières émissions de radio consacrées au cinéma
1928 : La Société des Ciné Romans intente un procès à L'Humanité et au journaliste Léon Moussinac, accusés d'avoir publié une mauvaise critique du film Jim le Harponneur, qu'elle distribue. Un premier tribunal donne raison au distributeur, mais la Cour d'Appel infirme le jugement et reconnaît la liberté de la critique cinématographique.
1930 : création de la Fédération Internationale de la Presse cinématographique (FIPRESCI)
1937 : création du prix Louis Delluc, attribué pour la première fois aux Bas-Fonds de Jean Renoir
LE PRIX LOUIS DELLUC
Considéré comme l'équivalent cinématographique du Prix Goncourt, il est décerné pour la première fois en 1937, par un groupe de journalistes de cinéma réunis sous le nom de " Jeune critique indépendante " ; il s'agit pour eux de lutter contre l'académisme duÊ Grand Prix du cinéma français ; ils attribuent leur premier Prix au film de Jean Renoir " Les Bas-Fonds "...Ê
Ce n'est pas par hasard que le nom de Louis Delluc est choisi pour ce prix : il est en effet synonyme d'indépendance, d'exigence critique et d'amour du cinéma. Depuis sa création, il est décerné chaque année (sauf rares exceptions) par un jury de critiques qui couronne ainsi le meilleur film de la production française.L'année dernière, c'est Cédric Kahn qui a été couronnéÊ pour son filmÊ L'ennui .
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HISTO - 1
Dès l'apparition du cinématographe, en décembre 1895, l'invention suscite de nombreux articles dans la presse. Mais jusque dans les premières années du XXème siècle, c'est sous un angle technique que la nouveauté du cinéma est commentée, le plus souvent dans des revues consacrées à la photographie. A noter cependant, l'apparition, en 1897 de La mise au point , l'ancêtre des petits magazines trouvés aujourd'hui dans les salles de cinéma. Crée par Léon Gaumont, il s'agit de la première publication publicitaire, destinée à mettre en valeur les nouveautés qu'il propose chaque mois. Une idée très vite reprise par son concurrent direct : PathéÉ
Rien qui ressemble à la critique donc, le cinéma étant considéré le plus souvent comme un ersatz du théâtre. En 1912, Le Figaro publie une enquête sur le thème " le cinéma peut-il concurrencer le théâtre ? ", et dès 1913, des informations sur la vie des studios sont intégrées aux pagesÊ du " Courrier théâtral ". Dans certains quotidiens, une page entière est parfois accordée au cinéma, mais sous un angle très publicitaire. Il faut donc attendre la fin de la guerre pour voir apparaître la critique cinématographique.
Louis Delluc, le " créateur de la critique cinématographique " (1890-1924)
Avant de devenir le premier critique cinématographique, Louis Delluc est un homme de lettres : né à Cadouin en Dordogne, il publie des poèmes dès l'âge de quinze ans, consacrant tous ses loisirs à la lecture et au théâtre. Une fois monté à Paris, il entre d'ailleurs dans la revue théâtrale, le " Comoedia Illustré ", dédaignant le cinéma, qu'il qualifie de " mauvaises cartes postales " ou encore d' " imagerie pour des êtres sans imagination ". Autant de préjugés qu'il abandonne en 1915, quand il voit pour la première foisÊ " Forfaiture ", de Cecil B. De Mille. Frappé par la qualité de la mise en scène, il abandonne tout pour se consacrer à ce qu'il considère désormais comme un art, et qu'il défend en tant que tel, d'abord au Film, l'aînée des revues spécialisées, pour laquelle il écrit son premier article le 25 juin 1917. Dès l'année suivante, il persuade le rédacteur en chef du quotidien Paris Midi de la pertinence d'une place réservée à la critique cinématographique. Son argument : " nous assistons à la naissance d'un art extraordinaire " ; son premier article : un portrait de Douglas Fairbanks. Appliquant au cinéma les méthodes de la critique théâtrale, il collabore à Paris Midi jusqu'en 1922, en même temps qu'il crée son propre magazine,ÊLe Journal du ciné-club , rapidement transformé enÊ Cinéa , et considéré comme la première revue de cinéma digne de ce nom. Toutes ses critiques sont marquées par son amour du cinéma américain, celui de Chaplin en particulier, le plus souvent au détriment du cinéma français, à l'exception d'Abel Gance ou de Germaine Dulac. Avec l'aide de cette dernière, Louis Delluc passe rapidement derrière la caméra et met en pratique son idéal cinématographique : l'histoire ne compte pas, seules les impressions importent.
Cinéa invente le concept du numéro spécial, consacré à un seul sujet, et accueille dans ses colonnes deux autres grandes signatures : Lucien Wahl et Léon Moussinac. Sur le modèle de cette revue, les grands journaux français développent rapidement des rubriques régulières consacrées au cinéma. A l'automne 21, la bataille est gagnée : Le Petit Journal institue tous les vendredi une page entière consacrée au cinéma, sans aucun lien avec la publicité. Non content de faire partager son amour du cinéma, Louis Delluc invente plusieurs concepts aujourd'hui rentrés dans les mÏurs : celui de cinéaste d'abord, mais surtout celui de ciné-club, conçu comme une infrastructure consacrée à la sauvegarde et à la diffusion de certains films. Une démarche qui fait de lui un pionnier dans la lutte pour la conservation des films. Le prix Louis Delluc est crée en son honneur en 1937, plus de dix ans après sa mort et son dernier film, " L'inondation ". En 1949, l 'Association Française de la Critique de cinéma pose une plaque sur la façade de l'immeuble où il est décédé, le consacrant " créateur de la critique cinématographique ".
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