Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



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 (c) Ecran Noir 96 - 24



Le Web Bar était l'endroit idéal pour une rencontre avec Pierre-Paul Renders, le réalisateur belge de « Thomas est Amoureux », film original et visionnaire. Peut-être que les futurs Thomas étaient déjà dans la salle, vivant leurs derniers moments de vie sociale en extérieur? Nous espérons que non !!
Ecran Noir : Pour commencer, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?





Pierre Paul Renders : Je suis belge, je vais avoir trente-huit ans. Je présente mon premier long métrage, qui s’appelle « Thomas est Amoureux », après avoir suivi un parcours assez varié: j’ai commencé par des études de lettres classique à l’université. Ensuite, j’ai fait une école de cinéma parce que j’avais besoin, après avoir exploré le monde de la parole et de la langue, d’explorer le monde de l’image. En sortant de l’école, j’ai réalisé un court métrage qui faisait partie d’un long-métrage collectif, qu’on a réalisé avec une bande de potes réalisateurs. Par la suite, j’ai fait toute sortes de métiers de la réalisation; en télévision, et dans le documentaire, en attendant de trouver le sujet qui me donnerait vraiment l’énergie et l’enthousiasme pour faire un premier long-métrage. Cela s’est concrétisé par le biais d’un ami, Philippe Blasbat, qui est un scénariste de plus en plus connu -en Belgique en tout cas. Ce dernier est un jour venu me proposer « Thomas est Amoureux », et c’était exactement ce qu’il me fallait pour commencer! J’ai tout de suite flashé sur le sujet, ainsi que sur l’idée de sa mise en forme.

E.N. : Et pourquoi ce sujet vous a-t-il intéressé? Est-ce parce que vous étiez à l’avance intéressé par Internet ?

P.P.R. : Non, pas du tout! Philippe a écrit le scénario il y a six ans, et à l’époque, Internet n’existait pas. On présupposait que de telles choses existeraient dans le futur, mais lui a écrit une histoire pour faire un film de science-fiction, ou plus exactement d’anticipation, parce qu’il se projetait dans un futur proche. Et c’était un film d’anticipation belge, c’est à dire, avec peu de moyen!! Il a donc imaginé d’utiliser la visiophonie, qui est un vieux cliché dans le domaine de la science fiction: on le voit dans les films des années cinquante. Le téléphone avec l’image en plus , ça existe depuis toujours dans l’imaginaire! Il a donc imaginé cette histoire , et à mesure que nous montions le projet, il y a eu le boom d’Internet, et on s’est rendu compte que cette technologie devenait l’équivalent de ce que Philippe avait écrit. Au moment où le film sort, les gens peuvent avoir l’impression que l’on a fait un produit pour être à la mode, pour être branchés, alors qu’en fait, nous voulions faire une fable beaucoup plus générale. Evidemment, on est content de voir que l’on touche à ce point dans le mille, mais on n’a pas calculé notre coup! Indépendamment de ça, je me suis intéressé à Internet au fur et à mesure qu’il se développait, mais je ne peux pas dire que je sois devenu un super surfeur qui passe des heures devant son ordi chaque jour! Au contraire ! Je suis plutôt quelqu’un qui se contente de relever son courrier électronique, et qui , de temps en temps, va voir sur un site si on parle de son film (rires), mais sinon, non, je ne suis pas un fana d’Internet! D’ailleurs, le mot « Internet », n’intervient pas dans le film. On ne parle pas d’Internet, on ne parle pas du web, même la webcam n’est pas citée comme telle, parce qu’on a voulu désenclaver le film du réel. Plus qu’un film du futur, c’est un film qui se situe dans un présent décalé, dans un univers parallèle au nôtre. On a vraiment l’impression d’être aujourd’hui, mais dans une autre dimension. On a essayé de rendre le film intemporel, donc on a gommé tous les détails concrets: on aurait pu mettre des petites icônes sur l’écran par exemple, mais ce genre de choses se démode très très vite, et on a voulu rester dans l’abstrait de cette technologie, la rendre la plus universelle et la plus intemporelle possible. En espérant que le film ne se démode pas trop vite! On a créé notre futur en mélangeant des époques du passé, les années 50, 60, 80, un peu comme le font des réalisateurs tels que Terry Gillyam quand ils créent un univers futuriste...

E.N. : Ou Klapish dans « Peut-être »...

P.P.R. : Oui, c’est ce qu’il a essayé de faire, mais je trouve que c’est moins bien réussi dans ce film là. Ca m’a rendu triste parce que j’avais envie d’aimer ce film. Je sentais que c’étais ce qu’il avait voulu faire....

E.N. : Pourquoi ça a pris tant de temps pour réaliser le film ?

P.P.R. : Philippe a essayé de le réaliser lui-même pendant un an, parce qu’il voulait le faire et parce qu’il se disait que c’était un produit trop atypique pour que des producteurs osent miser dessus. Le seul moyen pour mener le projet à bien , selon lui, c’était en auto production, avec des copains, en filmant une scène le week-end, de temps en temps, ... C’était une bonne idée, mais , en fait, faire une auto production prend beaucoup d’énergie et de temps, et il n’a pas eu le temps de mener son projet à terme : il s’est trouvé de plus en plus souvent sur des projets d’écritures (ça commençait à bien marcher pour lui en Belgique). Il devait faire bouillir sa marmite d’écrivain, et il a reporté à plus tard l’idée de réaliser un film, chose qu’il va d’ailleurs faire cet été, avec mon comédien principal qu’on verra cette fois-ci à l’image, et Philippe Noiret... Donc, ne pouvant pas à le faire lui-même, il est venu me voir pour me proposer le projet. Je l’ai trouvé très intéressant, et j’ai eu la chance que , directement, une productrice me dise que nous allions faire le film ensemble, non pas en auto production, mais avec un petit budget. Avant de me lancer complètement dans l’aventure, j’avais besoin de savoir si c’était une vraie ou une fausse bonne idée : parfois des bonnes idées sur papier s’avèrent être plutôt des idées pour des courts, mais amènent à se demander si on est capable de tenir la distance sur 90 minutes. J’ai pris du temps pour réaliser un brouillon complet du film et j’ai tourné tout le scénario avec une petite caméra DV , juste avec les comédiens, qui , bénévolement, sont venus en répétitions. Une fois cette maquette terminée, j’ai vu que si le scénario fonctionnait comme ça, en même temps beaucoup de choses étaient à retravailler, ce qu’on a fait. Parallèlement, il y a l’attente que les moyens arrivent : on présente le projet aux commissions de films, on essaye de trouver un coproducteur en France... Nous avons eu assez rapidement de l’argent en Belgique, parce que c’est un peu une tradition chez nous de faire des choses atypiques et décalées, voire surréalistes; mais dans d’autres pays, comme en France, on nous regarde un peu plus de travers quand on arrive avec un projet hors norme! Les gens aiment bien savoir dans quel créneau situer les choses, quel public le film va viser, etc... On a trouvé un producteur, mais même lui a eu du mal à vraiment trouver du répondant. J’étais sûr qu’avec un tel projet, nous aurions Canal + par exemple, mais non ! Finalement on a fait le film avec presque uniquement de l’argent belge, à part la partie en images de synthèse, réalisée par Sparks, ici en France, en coproduction avec eux, parce que nous n’avions pas les moyens de payer une séquence aussi brillante. Ces six minutes ont représenté des mois de travail. Tout cela fait que le tournage a finalement eu lieu en été 1999. Le film a eu une très longue postproduction, et a été terminé en avril 2000. Et puis, c’est le genre de film qui met du temps à venir vers le public. En septembre, nous sommes allés au Festival de Venise , puis les Festivals se sont enchaînés , puis on a trouvé un distributeur français, et il a planifié la sortie. C’est vrai qu’on se retrouve vite six ans après avoir commencé le projet !

E.N. :Comment avez-vous procédé pour le tournage? Avez-vous eu recours à des techniques particulières ?

P.P.R. : Pour le tournage, je savais depuis le début que je voulais une belle qualité de jeu chez les comédiens, et surtout beaucoup de vérité du quotidien. Comme c’est un film qui met un peu le spectateur dans une position de voyeur, parce qu’il est en train de regarder des conversations qui, à priori ne lui sont pas destinées, je voulais qu’on sente ce côté très vrai, très quotidien, comme si on regardait Loft story, par exemple. Le spectateur se dit : « Mais je ne suis pas censé regarder ça! », et il regarde avec encore plus d’intérêt finalement.

E.N. : Il n’y a pas un côté « Big Brother » justement dans le film ?

P.P.R. : Oui, il y a un côté « Big Brother », mais ce n’est pas un société où une personne surveille tout le monde. Le monde du film est plutôt un monde où chacun va chez tout le monde. C’est vrai que l’assurance prend beaucoup de choses en charge et qu’elle sait beaucoup de choses, mais finalement, en sait-elle beaucoup plus que ce qu’il y a dans nos dossiers médicaux ?

E.N. : Par le côté « Big Brother », j’entend plus le fait que vous preniez le spectateur comme un voyeur, et c’est vrai, comme on le voit en France actuellement, qu’on est dans une société de plus en plus voyeuriste...

P.P.R. : Oui, on a besoin de voir de plus en plus. J’aime bien renvoyer les spectateurs à cette idée en disant « on peut regarder », mais il y a toujours cette barrière de l’écran et l’on ne crée pas de vraies relations avec les gens que l’on regarde. Et d’ailleurs, tout le monde a envie d’aller toucher les gens qui sortent du Loft; car ça ne leur suffit pas de les voir à distance. La limite est là. Donc « Big Brother », oui, mais je trouve que , dans mon film, j’essaie de créer plus qu’une société dictatoriale avec une tête, une espèce de concept de société qui fait encore plus peur qu’une dictature, parce que dans ce monde, il n’y a pas de tête justement! C’est une sorte de dictature de la pensée unique, où il n’y a pas de tête dirigeante. Il est quasiment impossible de sortir du système; tout le monde est obligé d’aller dans la même direction, mais en fait, personne n’est aux commandes! Des gens y ont du pouvoir, mais pas tout le Pouvoir, et chacun y fait son travail. L’assureur a du pouvoir, mais en même temps, il a peur d’avoir des ennuis avec la Justice, qui, elle doit dealer avec le Pouvoir politique. Tout le monde a ses enjeux à soi, mais personne ne pense à ce vers quoi il va. Chacun poursuit son petit objectif à lui, ce qui crée en même temps un système totalitaire. Dans ce monde, on n’a pas le choix; il faut entrer dans un certain moule, et cela fait encore plus peur qu’une vraie dictature! Dans une dictature, au moins on peut se révolter. Si on prend les moyens, qu’on va frapper à la tête et qu’on tue Ceausescu ou qu’on fait tomber Pinochet, le système s’effondre! Mais là, où peut-on frapper? Comment peut-on se révolter? C’est terrible! Bon, c’est ce qui se passe dans mon film, je ne dis pas que c’est ce qui nous arrive en ce moment! C’est vrai que c’est une des choses qui m’intéressait dans ce scénario: Philippe a imaginé une société qui est très proche de ce qu’on vit aujourd’hui, pas comme dans « 1984 » ou dans « Le Meilleur des Mondes » de Huxley, où les choses sont poussées très loin pour nous faire peur. Philippe, lui, ne franchit qu’un pas en plus. Par exemple, les clubs de rencontres sur Internet existent, les tests psychoaffectifs dans les magazines féminins ou masculins existent; mais le fait de mettre les deux ensembles... Je ne sais pas si des clubs où l’ordinateur met en contact les gens en fonction d’un test qu’ils ont fait n’existent pas déjà! Tout ça avec des bonnes intentions: les gens se disent: « Moi je ne réussit pas mes histoires d’amour; je ne sais sans doute pas choisir, pourquoi ne pas m’en remettre à un tiers? » . C’est la même chose avec l’histoire des prostituées pour handicapés... Toutes ces choses existent, même si on ne le sait pas. Les prostituées pour handicapés existent dans certains pays, et elles résolvent un vrai problème parce qu’il y a là un vrai besoin à combler! D’un autre côté, les peines de substitution, c’est bien, c’est mieux que les emprisonnements, tout le monde en parle. Et tout d’un coup, on met ensemble peine de substitution et prostituées pour handicapés, là ça me fait froid dans le dos. Ce côté où on pousse juste un petit peu et où on a peur m’intéresse énormément...

E.N. : Et à propos du tournage, alors ?

P.P.R. : Je n’ai pas oublié! (rires) Comme je voulais cette chaleur des personnages, ce côté quotidien , je savais que ce serait très difficile d’avoir un jeu très vrai en les faisant jouer face à une caméra. On doit imaginer l’autre, etc., et le jeu du comédien est plombé. On peut parfois le faire ponctuellement sur un plan, mais réaliser tout un film de cette façon n’aurait jamais donné de résultats satisfaisants. Dès le début, j’ai voulu un système, où, plutôt que regarder la caméra, les comédiens regardent un écran sur lequel l’interlocuteur se trouve. On a créé la vraie visiophonie pour ce tournage: le comédien qui joue Thomas était dans une petite pièce à part, face à une petite caméra vidéo avec un petit prompteur de télévision. Les comédiens se voyaient à distance, ils se parlaient via des micros et des écouteurs. Ils étaient vraiment dans des conditions de visiophonie et c’était très intéressant à réaliser! Cette méthode leur a permis de rentrer complètement dans la situation du jeu, et , de plus, une fois que l’on avait mis en place le système technique, le plateau pouvait être complètement dégagé: il n’y avait parfois q’un perchman qui était avec le comédien à l’image; sinon, ils étaient seuls sur le plateau, et ils pouvaient jouer les scènes d’une volée, dans la foulée, comme au théâtre, et c’était vraiment très intéressant, pour moi, comme pour les comédiens.
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