(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Avec Ixcanul en 2016, le cinéma du Guatémala se faisait une place sur la planète cinéma grâce à Jayro Bustamente. Le film repart de Berlin avec un prix avant d'en empocher une dizaine d'autres ici et là. Son nouveau film Tremblements, récompensé à Cinélatino, continue de nous surprendre et de nous impressionner. Pourtant le réalisateur est humble, charmeur, généreux, assez joyeux. Dans un excellent français, il explique ce qu'il veut montrer de son pays à travers une trilogie sur les minorités opprimées. |
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Ecran Noir: Vous avez connu des hommes mariés et gays ?
Jayro Bustamente: J’ai suivi deux « Pablo » (le nom du personnage masculin principal, père de famille qui est amoureux d’un autre homme, ndlr). Je les ai suivis pendant l’écriture mais j’ai continué à les suivre après. Je continue à parler avec eux et c'était très drôle comment dès qu’ils l’ont et qu’ils ont dit, on leur a conseillé de se prendre une femme et se marier. Mais ce n'est pas du style « je prends ma copine et elle fait semblant avec moi pour que je sois pas attaqué » . Non, c’est prendre une femme et je la fais signer un contrat de mariage sans qu'elle sache qui je suis vraiment. C'est ça qui m'a vraiment choqué, parce que après, évidemment, une fois que les femmes ont découvert qui ils étaient, elles sont devenu presque violentes. Mais il y avait une raison, ce n'était pas gratuit. C'était pas simplement « ah il y a un homosexuel là, je vais aller l'attaquer en justice ».
Toutes les femmes semblent monstrueuses, de la patronne à la femme du pasteur, en passant par la mère de Pablo.
JB: C’est ce qui m'a aussi beaucoup intéressé, c’est la manière dont les mères ont réagi. Elles ont été beaucoup plus violentes. Plus que les pères. La femme m'intéressait aussi, énormément, même si j'étais en train de parler d’homosexualité masculine. Comment elle a pu devenir la gardienne de l'oppresseur en étant, elle, la victime principale aussi, quand on regarde la religion comme ce qu’elle, c’est-à-dire une institution très, très misogyne, surtout quand elle est appliquée tel que on l'applique au Guatemala. Ce sont ces questions qui m'ont inspirées.
Cette violence, ce rejet des femmes, ça se voit dans votre film.
JB: Oui et je voulais le raconter. Et je voulais parler de ce phénomène des femmes de pasteurs. Aux Etats-Unis, elles ont beaucoup de pouvoir. Elles ont même plus de folllowers que les pateurs, même si ce sont eux qui ont l’argent. Elles font un travail énorme et défendent tout ce qu'on peut appeler des règles morales, qui vont à l'encontre de la liberté de la femme.
Dans le film, c’est une générale terrifiante.
JB: C’est pour ça que je voulais en faire un film d’oppression, dans lequel être humaniste est mal vu. C’est dur d’être humaniste quand on ne peut pas être aimé de la société.
Dans vos deux films, Ixcanul et Tremblements, il y a ce rapport à la nature, aux croyances et à la souffrance. C’est ce sillon que vous creusez.
JB: Vous avez raison. Ce sont deux films qui se ressemblent énormément, qui dialoguent entre eux. Les personnages n'arrivent pas à vaincre la société, qui est plus forte, plus écrasante. Ils font parti d'un triptyque, qui traite les trois insultes les plus graves au Guatemala. Les Indiens, qui est le reflet de la discrimination dont on est capable, de la non-acceptation de nous-même. Ensuite, c’est la discrimination des homosexuels face à la majorité sexuelle. On appelle ça « Hueco », ça veut dire trou. L’homosexualité, surtout la masculine est liée au machisme, à la misogynie. On croit que l’homosexuel masculin se rabaisse parce qu’il est un peu féminin. En revanche, si tu es une fille lesbienne, elle devient lesbienne parce qu'elle n’a pas trouvé d'homme. C'est très phallocrate.
Et le prochain film abordera quelle discrimination.
JB: Je pense que c’est le plus grave parce que il vient embrasser les autres, ce sont les communistes. Mais un communiste n’a rien à voir avec l’idéologie politique au Guatemala. On est catalogué communiste quand on s'inquiète pour le droit de quelqu'un d'autre. Les droits sociaux ça fait peur. On craint de devenir Cuba ou le Venezuela. C’est aussi le portrait d’une société qui vit avec 50 ans de retard. On pense encore que les communistes guettent nos frontières pour nous conquérir. On est un pays qui est sorti de la guerre civile en 1996 mais qui a gardé les militaires, qui ont été responsables de l’une des plus grosses catastrophes humanitaires. On les garde pouvoir encore. On en est toujours là. On vit sous la peur, et ils utilisent la peur pour faire peur et contrôler vos amis.
Il y a plusieurs histoires d’amour dans Tremblements : Pablo avec ses enfants, avec sa femme, avec son amant. Mais on ne sait jamais quel va être son choix.
JB: Je savais comment allait se finir le film. Je voulais que le spectateur se disent « est-ce que ça vaut la peine autant de souffrance?» Parce que tous les personnages sont affectés à la fin.
Jusqu’au regard de sa fille dans la scène finale...
JB: Pour moi, elle, c'est le seul petit sourire d'espoir. Dans les recherches, je me suis rendu compte qu’au fil de ces quatre ans, certains Pablo ont commencé à se libérer et à sortir de cette prison familiale et religieuse. Ceux qui ont commencé à le faire, c'est parce que leur enfant leur ont fait comprendre qu'ils s'en foutait. La libération viendra de cette nouvelle génération.
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