Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



Karim Aïnouz
Toni Servillo
Félix Dufour-Laperrière
Jayro Bustamente
Gilles Perret
Hélène Giraud
Ryusuke Hamaguchi
Rohena Gera







 (c) Ecran Noir 96 - 24



Il est bronzé. Un cigare presque éteint entre les doigts. Les ongles à ras. Un bracelet rouge avec la mention "Save the Children". Et à l'autre poignet une belle montre. Toni Servillo, égérie de Paolo Sorrentino, reconnu dans Gomorra, Un balcon sur la mer, La belle endormie, applaudit au théâtre (il sera à l'Athénée en décembre avec "Elvira"), est devenu en 20 ans l'un des plus grands acteurs européens (deux European Film Awards, 4 prix Donatello). Il était de passage en France, à l'occasion de la sortie de 5 est le numéro parfait.
Ecran Noir: Comment êtes-vous arrivé sur ce projet?

Le livre Bye Bye Bahia


Toni Servillo: Avant, je ne connaissais pas à Igort. Je n'étais pas non plus un lecteur passionné de bande dessinée et ce qui m'a convaincu, c'était la qualité de ce récit et la possibilité au travers de la bande dessinée de connaître en tant qu'acteur non seulement le scénario mais également le storyboard. Ce qui m'a convaincu aussi, c'était la qualité des dialogues et le destin de ce petit homme fragile, âgé et qui se rend compte qu’il doit tout recommencer parce qu'il a eu tout faux dans sa vie et que pour se faire, il n’a à sa disposition que deux jambes, deux bras et un visage. C’est ce qui donne le titre au film, soit une métaphore ironique et mélancolique de la vie et tout cela m'a passionné, m’a fasciné.

EN: C'est aussi un personnage entre deux époques, deux mondes, entre sa vie passée palpitante et un futur sans intérêt...<
TS: Oui tout à fait. C’est un rôle de basculement et on ne s’y attend pas. Mon personnage était une petite main de la criminalité, qui à un moment donné trouve la force par désir de vengeance de sortir de l’ombre, de se mettre en lumière pour venger son fils. Mais à la fin, il ne se venge pas, il renonce, donc on pourrait dire que cette lumière vers laquelle il va est une lumière de rédemption. Parce que sa vie qui était dans l'ombre avait été une erreur. Quand il veut se venger à son compte, c'était une erreur aussi. Mais en fait quand il se trouve face à celui qui avait tué son fils, il s'arrête. Il ne le venge pas et il remet en question toute sa vie.

EN: On a l'impression que vous vous êtes régalé à jouer ce personnage à la fois mélancolique et ironique...
TS: L’atmosphère est très ironique. Prenez la scène où il demande à la Vierge Marie l'autorisation de pouvoir en tuer quelques-uns pour les envoyer là-haut parce qu'ils ne méritent pas de rester sur terre. Tout est joué sur un fil très fin entre la réalité et l’ironie. Je pense que l'ironie est un don essentiel pour devenir acteur et donc je pense qu’on pourrait définir l'ironie comme une passion qui prend du recul. Ça correspond à un peu au paradoxe de l'acteur de Diderot et c'est ce qui caractérise le jeu.

EN: Vous avez souvent joué dans des films où vos personnages étaient soit désillusionnés, soit artisans de l'effondrement idéologique et culturel du pays. Est-ce que ça correspond à votre propre vision des choses?
TS: Nous vivons à une époque pleine d’incertitudes pour l’Italie mais pas seulement. J’ai l’impression qu’en politique, nous vivons dans une campagne électorale permanente. En Italie, il n’y a plus d’idées, il y a des corps. Notre regard, notre perception de la réalité est submergée par la quantité d’informations, qui ne nous donne pas le temps de la réflexion, de l’approfondissement critique et du débat. C’est un moment de grande difficulté, en Italie, et le cinéma italien a raconté ce genre de situations. Mais ce n’est pas qu’un phénomène italien puisque nous sommes au centre d'une révolution de nature anthropologique dont nous ignorons les développements futurs, tout en les craignant. Tout change très rapidement et nous ne disposons pas des instruments qui nous permettent de creuser, d’enquêter. La scène politique et culturelle dans laquelle j'ai grandi n'existe plus et ce à quoi nous assistons nous nous fait peur. Et on ne connaît pas quels seront les scénarios futurs.

EN: Vous faites des lectures pour des livres audio, vous jouez au théâtre, vous ne tournez que un ou deux films par an. Qu'est-ce qui motive vos choix?
TS: Ce qui me rend le plus heureux et le plus fier, c'est d'amener le public jeune - et les jeunes sont nombreux, ceux qui ont aimé La grande bellezza - de les amener vers le théâtre, vers les grands classiques comme Goldoni Molière, Jouvet, Shakespeare et de les amener aussi vers la littérature avec les livres audio. Dans mon théâtre ce qui est central, c’est la parole, la clarté de la parole, la nécessité de la parole et c'est à travers elle que j'essaie d'exprimer des idées, des pensées. C'est ce que j'essaye de faire avec mes choix au théâtre et au cinéma et c'est pour cette raison que je n'ai jamais fait de publicité, je n'ai jamais eu un rôle dans un produit de télévision qui soit purement commercial. Pour moi, cela fait partie de mon expérience et c'est avant tout de la cohérence.

EN: On sent une renaissance du cinéma italien avec des films comme 5 est le nuéro parfait, Dogman, Le traitre ou encore Martin Eden...
TS: Je pense que dans les arts, le cinéma en Italie a tiré profit de sa grande tradition passée et il est en train de se renouveler, au niveau des réalisateurs comme des acteurs. Il y a beaucoup de choses intéressantes, beaucoup d’œuvres le prouvent parmi lesquels je mettrai 5 est le numéro parfait. Les jeunes réalisateurs témoignent de cette effervescence. Quand Adam Kay est venu en Italie pour présenter Vice, il m’a dit que Christian Bale et lui avaient plusieurs fois Il Divo (de Paolo Sorrentino, ndlr) pour faire leur film. C’est un honneur, non ? Parce que les deux films ont aussi un lien : ce sont les histoires d’un homme qui ont orienté le destin de leur pays avec leur politique, leur personnalité, leur mystère.


   vincy