Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



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 (c) Ecran Noir 96 - 24





 Quelques mois après Cannes, je rencontre de nouveau, à Montréal, Claude Miller, cinéaste du fantasme, de la sexualité, et de lois transgressées. La Classe de Neige a reçu le Prix du Jury sur la Croisette, et d'autres comme au Festival de Florence. Des cinémathèques québécoises, écossaises, d'ailleurs font des rétrospectives de carrière. L'homme fut plusieurs fois nominé aux César. Physionnomiste, on revoit ensemble ses derniers mois; nous parlons d'Internet qu'il fréquente depuis 2 ans. Franc et direct, dubitatif et angoissé, le dialogue s'installe, en cassant un peu les conventions d'une interview classique. Ce curieux est tellement bavard, que nous n'aurons pas le temps de compléter le flash back...
Ecran Noir: La meilleure façon de marcher. C'est votre premier film. A moins que ma filmo soit incorrecte...





Claude Miller: Premier long métrage.

EN: Leconte m'avait confié que son 1er long métrage, à la même époque, avait été un cauchemar.

CM: Oui je m'en souviens très bien... de ce cauchemar... parce qu'il se trouve que mon premier assistant, qui était aussi mon 1er co-scénariste Luc Béreault, était le 1er assistant du film de Leconte. Et je me souviens qu'il avait eu beaucoup de soucis, Patrice, avec ses comédiens. Après l'un d'eux est devenu un grand ami, avec qui il a fait des films merveilleux. Mais ça a été affreux, je sais ça... Vous voulez savoir si moi c'était un cauchemar?

EN: Voilà, exactement...

CM: Je dirais que ça a été un cauchemar que je suis le seul à avoir vécu. Parce qu'en fait je me suis très très bien entendu avec mes acteurs, je me suis très très bien entendu avec l'équipe. Le cauchemar c'était entre moi et moi, enfin ça c'est fréquent: c'est à dire que je mourrais de trac, je mourrais d'angoisse; je me souviens que j'ai passé la nuit la plus terrible de ma vie la veille du tournage. Bon j'ai pas dormi de la nuit, ça c'est un classique. « Je suis un imposteur, je les ai tous enfarinés, je suis incapable de faire un film... » Non, c'est vrai...Ce que je vous dit, je pense qu'il y a beaucoup de cinéastes qui pourraient vous dire la même chose. Luc Béreault me disait justement « Pourquoi tu fais la gueule? Tout se passe bien! Pourquoi tu es comme ça? » En fait j'étais le seul à vivre ce cauchemar, parce ce que je le vivais, même s'il s'est dissipé au fil des jours du tournage. Mais je stressais au maximum.

EN: Qu'est-ce qui avait précédé ce premier film?

CM: J'avais eu une carrière d'assistant, très classique. Sauf que j'ai eu la chance de travailler avec les gens de la Nouvelle Vague, avec Truffaut, avec Godard, avec Bresson, avec Demy...

EN: Lequel avec Bresson?

CM: C'était Au hasard Balthazar. C'était une histoire d'un âne... c'est pas un des films connus de Bresson. C'est juste avant Mouchette. Très beau film d'ailleurs, enfin quand on aime Bresson... J'avais fait ça en 67,...66?

EN: Et Demy?

CM: C'était Les demoiselles de Rochefort. J'étais second assistant...

EN: Le film culte. On a un site qui marche très bien auprès des Américains.

CM: Oui. Il vieillit bien. Son côté désuet renforce son charme, c'est très particulier... J'ai fait ça avant. J'avais fait des courts métrages. J'en avais fait 2, 3. J'avais fait une école de cinéma. Et j'allais beaucoup au cinéma.J'étais un cinéphile enragé. C'est un parcours assez classique.

EN: La Meilleure façon de marcher abordait déjà la sexualité.Votre thème récurrent, on va dire ça comme ça...

CM: Disent certains. Mais je ne dirais pas le contraire.

EN: Dans ce film, il y a quand même des liens avec l'humiliation, la domination, l'homosexualité...

CM: Oui, oui. Tout à fait. Je veux pas faire l'innocent là dessus. Il l'abordait sur le plan de la, ...je dirais plutôt de la tolérance, ou de l'intolérance. Le respect de la différence. C'était au niveau sexuel, précisément, et pour moi c'était au niveau général. C'était une métaphore de l'intolérance.

EN: Pour l'époque, le sujet pouvait paraître précurseur. Aujourd'hui ça semble presque banal.

CM: Sans doute, ou alors on comprendrait pas qu'on le prenne de façon aussi agressive. Finalement, je m'aperçois que j'étais aussi agressif que les agresseurs. Il y avait une position, c'était un film en colère. C'est très curieux: il y a eu des tas de malentendus sur ce film, parce que c'est un film qui, par exemple, est passé dans des Festivals de Films Gays. Alors que je ne suis pas gay, et que mon film ne l'est pas non plus. Peu importe, c'est pas une façon de me défendre. Mais ça venait d'un coup de colère. Je ne supportais pas cette espèce d'hypocrisie où les gens dénient aux autres leur secret sexuel. Ou le jugent; alors que chacun l'a. Chacun a son monde érotique. Et c'est merveilleux, c'est une richesse quelque part. Et à l'époque, et je me demande si ce n'est pas à nouveau vrai, malgré une période de permissivité dans les années 80, on revient à une espèce de politiquement correct qui fait qu'on juge un peu, on se méfie, on a peur du jardin secret des autres. Et c'est un peu inquiétant...

EN: Vous parliez des Festivals Gays et Lesbiens, or 2 ans après il y a du avoir La Cage aux Folles, qui est une sorte de pendant comique de La Meilleure façon...; La cage a été violemment critiquée par la communautée gaie. Autant le votre plus dramatique apparaît plus réaliste...

CM: Le problème avec des films comme La Cage aux Folles c'est qu'ils exploitent un vieux ressort comique, le ressort de l'homme efféminé, de la « pédale », c'est un vieux ressort, vieux comme le monde, ...ce n'est pas du tout le sujet de La Meilleure façon..., qui est plutôt l'indétermination, soit un moment de la vie des êtres humains, des jeunes hommes, où ils sont sexuellement flottants. C'est très connu. Et c'est un phénomène universel. Et qui prenait la chose au sérieux, parce que c'est formateur, et un film comme La Cage, quelques soient ses qualités comiques, il doit faire rire, de la différence des autres. C'est comme faire un film sur les noirs, en rigolant parce qu'on les traite de « bamboulas » ou de « nègres »; il y a un côté un peu suspect, un vieux réflexe...

EN: Vous n'avez jamais été très porté sur la comédie non plus...

CM: Non, et je le regrette. J'adore rire... Je pense que j'ai un peu d'humour. A chaque fois, je me promets - parce que ça réussit plus, ne serait-ce que commercialement - et je me dis: « arrête! et le prochain sujet, n'importe quel sujet, tu peux le traiter en comédie, et faut mettre les rieurs de son côté. » Je me promets de le faire, et je ne l'applique jamais, et je ne sais pas pourquoi.

EN: Le film suivant...

CM: ...Dîtes-lui que je l'aime.

EN: Tout à fait, avec Depardieu, Miou Miou... après Dewaere. C'était la décennie Valseuses. Il y avait aussi Balasko et Clavier...

CM: J'étais le prédecesseur d'Astérix!
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