Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



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 (c) Ecran Noir 96 - 24



A l’occasion de la sortie de Bloom, l’adaptation du roman culte de James Joyce, « Ulysse », Ecran Noir a rencontré Stephen Rea, un irlandais discret, relativement méconnu en France, mais un acteur doué et profond. Double à l’écran de Neil Jordan, il fut nominé, en autres, aux Oscars et aux Golden Globes. Attentif, souriant et courtois, il nous réponds dans une libraire british, à paris.
Ecran Noir : La photographie du film est intéressante. Vous avez utilisé une caméra DV ?




Stephen Rea : Oui, nous avons tourné en DV. Puis les images ont été transférées sur film. L’image est jolie. Mais c’est assez inhabituel pour moi. Sur les films en pellicule, le réalisateur disait « moteur ! », maintenant, c’est « envoyez la cassette ! » Ca fait drôle d’entendre ça. Je ne suis pas sûr que je l’aurais tourné en DV, moi-même, je ne sais pas.

EN : Combien de temps a duré le tournage ?
SR : 6… 5 semaines

EN : Alors plus vite que…
SR : Oui mais tout va plus vite, l’argent va vite.

EN : Pensez-vous qu’il est nécessaire de connaître le livre pour apprécier le film ?
SR : Si vous voulez en discuter avec le réalisateur, il vaut mieux l’avoir lu ! Au fond, ce livre appartient un peu à tout le monde. Ça ne peut pas être qu’un scénario classique. Lorsque Neil Jordan écrit une histoire, c’est un script et il a le droit de donner la vision qu’il veut. La vision de James Joyce, en revanche, est une propriété publique, en quelques sortes. Je pense qu’il est important de lire le livre, moi je le lisais tous les jours.

EN : Durant le tournage ?
SR : Oui. Naturellement, je regardais les scènes du scénario avant de les tourner mais, chaque jour, je visualisais la scène correspondante du roman, pour le lendemain.

EN : Comment le metteur en scène s’est débrouillé avec les douze parties du livre ?
SR : Je crois qu’il a vraiment décidé d’éviter ce formalisme, ce que je remettrai en question moi aussi. Vous savez, dans un film comme O Brother, Where Art Thou, des frères Cohen, qui est une évocation d’Ulysse aussi - celui de Homer, pas celui de Joyce - ils ont pris beaucoup de distance avec le model original. Ici, le réalisateur, Sean Walsh, a préféré éviter le formalisme et s’est concentré sur l’histoire de base. Il y aurait eu d’autres manières de le faire. Peut-être qu’on devrait adapter « Ulysses » tous les deux ans parce qu’il y a d’autres films à faire. Mais c’est celui-ci qu’il voulait faire.

EN : Une grande partie du livre décrit Bloom en train de marcher. Le film ne montre presque pas de marche. Est-ce parce qu’il était difficile de restituer le Dublin du début de siècle ?
SR : Non, il y a encore beaucoup de l’ancien Dublin. J’aurais voulu plus de marche. D’ailleurs, nous avons passé un jour à me filmer en train de marcher. Mais ce n’est pas dans le film. Je le regrette. Il y a des choses que les gens qui ont aimé le livre voudront voir. Je crois qu’on ne voit pas Dublin autant qu’on le devrait. C’est une ville superbe et très particulière. Je crois que l’on aurait plus pu voir les enjeux de pouvoirs, politiques et religieux, qui étaient nombreux à cette époque. La présence impériale britannique, l’église catholique…

EN : L’apparition de l’IRA.
SR : Les débuts du nationalisme irlandais. Ces forces ne sont pas vraiment dans le film.

EN : Vous aviez trop de choses à montrer…
SR : Mais on peut le faire. Je le crois. Ce livre est issu d’une période particulière d’émulation et aussi de désarroi. 1904 a été une année particulière. En 1905, le Sinn Fein fut formé. Tout cela a du sens pour moi mais le film ne montre que la petite histoire du livre. Le type se lève, mange son petit déjeuner, s’en va, sa femme se fait sauter par quelqu’un d’autre. C’est bien mais il y a plus.

EN : Ce film n’est pas tout fait une adaptation mais, en quelques sortes, une illustration. Il semble fait avant tout pour montrer ce qui est beau dans le livre.
SR : Il montre la beauté de cette histoire mais le livre, lui-même, est, en fait, comme un assaut sur la littérature. Il défie toutes les règles. Il dit, je peux raconter cette histoire mais, en même temps, je peux aller dans toutes sortes de directions. D’autre part, on peut dire que Joyce est l’un des fondateurs de la modernité, il a rendu les choses possibles pour Bunuel, pour Fellini. Et peut-être que le cinéma devrait répondre plus, pourrait plus donner cette impression. Cela semble déloyal de ma part mais ce n’est pas mon but. Peut être que l’on peut être plus aventureux avec cette histoire, parce que la beauté de ce livre est aussi sa place dans l’histoire de la littérature. Tout change après ce livre. Tout le monde peut écrire l’histoire d’un gentil monsieur juif qui prend son petit déjeuner, tout dépend de la manière dont on le fait. Mon Dieu, je ne veux pas sembler déloyal.

EN : Où vous sentez-vous le mieux, sur scène ou sur un plateau de cinéma ?
SR : Chez moi… Je me sens à l’aise sur les plateaux. L’année dernière, j’ai fait « Cyrano De Bergerac ». Ça représente beaucoup de travail. C’est long aussi, il faut vous mettre le nez tous les jours… J’ai fait du théâtre pendant longtemps. Cependant, je me sens bien au cinéma, j’aime lorsque vous êtes là, devant la caméra et que vous pouvez créer un « moment ». C’est bien.

EN : Quand on ne dit pas “ envoyez la cassette”.
SR : C’est ça.

EN : Comment a été votre expérience hollywoodienne ?
SR : C’était pas mal. Je veux dire, c’était intéressant mais il est difficile de sentir que l’on fait partie du truc. Je disais souvent, plus je reste en Amérique, plus le pays me semble étranger. Vous croyez comprendre mais en fait on ne comprend pas. Vous vous sentez toujours comme un alien. Lorsque l’on parle de la « septième », à l’école, je ne sais pas ce que ça veut dire, je ne connais pas l’équivalence. Par bien des cotés nous sommes comme les américains mais pas de la manière… Je ne peux pas produire le genre de jeu qu’ils demandent. Apparemment, Colin Farrel y arrive. Je l’ai remarqué avec mes enfants, ils sont beaucoup plus américains que moi, à cause de la télévision.

EN : Comment avez vous réalisé que vous étiez un acteur ?
SR : C’est juste que je l’ai toujours fait. C’est étrange, vous savez. J’ai posé cette question à ma mère, il y a deux semaines seulement. Je lui ai demandé si j’avais toujours voulu être un acteur. Elle m’a répondu oui, lorsqu’il pleuvait, j’étais toujours à l’étage, en train d’arranger les choses et organisant une pièce de théâtre. J’incitais tout le monde à participer, je leur disais quoi faire. Je ne sais pas, ça a toujours été là. Il n’y a jamais eu de découverte. J’imagine que beaucoup de gens sont comme ça mais il faut croire qu’ils oublient.

EN : Quels sont vos projets ? Allez-vous revenir sur les planches ?
SR : Oui, je ferai sans doute une pièce, à nouveau. J’ai fait quelques films l’année dernière. Un nouveau pour Neil Jordan, A Breakfast On Pluto, avec Liam Neason, Brendan Gleason, Cillian Murphy. Et j’ai fait un autre film à Dublin puis un autre en Nouvelle Zélande, The River Queen. Et plus tard, cette année j’ai tourné.

EN : Avec Andy McDowell…
SR : Tira Road, oui. Enfin, je vais faire un film à Berlin ,en mars.

EN : Manifestement, vous aimez Joyce. Quels sont vos goûts littéraires ?
SR : Connaissez-vous l’écrivain japonais Haruki Murakami ? En ce moment, je lis son dernier livre, « Kafka On The Shore ». J’ai pratiquement tout lu de cet auteur. Puis il y a un auteur irlandais appelé John McGahern. Il est assez populaire en France, traduit en Français.


   Axel