Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



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Félix Dufour-Laperrière
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Rohena Gera







 (c) Ecran Noir 96 - 24



"One, two, three… Repeat after me : I'm gonna be free!… And I'm gonna be brave!"… Premiers mots de Me and You and Everyone We Know, notre coup de coeurs cannois. La méthode Coué fonctionne à merveille. On imagine aisément la jeune réalisatrice Miranda July se prêtant au jeu, bien qu'elle soit déjà particulièrement libre et téméraire, tant d'un point de vue personnel qu'artistique. Elle est écrivain, scénariste, chroniqueuse, artiste numérique, musicienne, comédienne, vidéaste et cinéaste. De la scène aux galeries les plus prestigieuses d'Art moderne, de Portland aux marches cannoises, en passant par Los Angeles où elle vit désormais, Miranda July est une hyperactive. Hyperactive mais admirablement posée. Elle se dit timide, captivée par la vie d'autrui, aime à s'engager en territoires inconnus. En ce mois de septembre 2005, elle nous reçoit dans le 12è arrondissement parisien au siège social de mk2, distributeur de Me and You… en France. Découverte.
Ecran Noir: "Me and You" apparaît comme un film très personnel. Pourriez-vous nous expliquer quelles étaient vos intentions, vos souhaits initiaux ?





Miranda July: Je travaille de façon très organique. Je n'avais pas d'idée précise. Mon principal souhait lorsque j'écrivais était juste de décrire la manière dont je ressentais la vie à l'instant présent et futur, en utilisant quantité de formes et la fiction. Mon film est donc personnel et ne l'est pas d'une certaine façon, notamment d'un point de vue émotionnel, dans le sens où nombreux sont ceux qui partagent les sentiments que j'ai éprouvés, à des niveaux plus ou moins forts. Et je voulais aussi… Je souhaitais tant de choses ! Je voulais réaliser un film qui soit élégant et surprenant qui puisse aller vers de nouveaux horizons. Une touche d'enfance, de sexualité. Je suis très ouverte à ces territoires. Un film qui accorderait une place à part à l'inconnu, une touche de magie autour du fait de ne pas être, du pourquoi ne pas être?. Quelque chose d'expérimental…

EN: Certains traits de l'histoire et personnages semblent directement nourris de votre propre parcours…

MJ: Légèrement, oui, mais, par-dessus tout, j'ai creusé du côté de mes amis, de ces histoires que mes amis m'avaient racontées sur leurs propres vies. Je ne saurais pas dire exactement ce que j'en ai tiré. Ce n'est donc pas comme si j'avais textuellement utilisé ma propre perception.

EN: Diriez-vous que le fait de jouer dans votre propre film est une façon de partager l'ensemble de votre investissement avec les autres interprètes, l'écriture notamment ?

MJ: Oui, c'est une façon de partager définitivement que de m'investir dans l'univers que j'ai construit. Je me sens ainsi même davantage et directement capable d'aider, d'expliquer en évoluant au plus près, au sein de cet univers.

EN: Ecriture, mise en scène et interprétation sont ainsi pour vous des fonctions entièrement complémentaires ?

MJ: En effet. De manières très différentes, les choses que j'entreprends se révèlent les unes aux autres sur la durée. L'écriture et mes différentes performances ont contribué à me diriger. Les court métrages et l'écriture de fiction m'ont énormément appris quant aux dialogues et la manière de décrire. C'est en cet espace, dans sa globalité, que je puise les fondements de mon travail.

EN: Parlons du casting, votre collaboration avec John Hawkes, tout d'abord…

MJ: J'étais si heureuse de le rencontrer ! Nous cherchions la bonne personne depuis longtemps. Dès notre première rencontre, j'ai su que c'était lui. Il a de profondes qualités. Il est très charmant et incontestablement émérite. Mais aussi, d'une certaine manière, il ne sait jamais ce qui peut se produire. Il se sent un peu en danger. C'était vraiment parfait. Il n'est pas du tout comme Richard, mais je savais que toutes ces qualités l'aideraient à jouer ce rôle. Cette idée m'a portée. C'est toujours très intéressant de travailler avec des acteurs espiègles. Peut-être débattent-ils un peu plus que d'autre ne le feraient. Mais en tant que metteur en scène cela vous tient très engagé. De temps en temps, lorsqu'on veut quelque chose, on doit se battre davantage pour l'obtenir et, finalement, cela nous conduit à entretenir d'excellentes relations de travail.

EN: Quantités d'enfants sont à l'affiche de "Me & You". Comment les avez-vous dirigés ? Je pense en particulier à Brandon Ratcliff. Etait-ce plus facile ou plus délicat à gérer ?

MJ: C'était simplement différent. Je suis d'une nature curieuse et ouverte à l'égard des enfants. Quoi qu'il en soit, c'est ainsi que l'on veut être avec tous les acteurs. Je pense avoir donné le meilleur de moi-même. Dans ce cas précis, ils étaient tous réellement doués. Des enfants incroyables ! Je ne me suis donc jamais dit "Oh, telle ou telle chose va poser problème!". J'ai vraiment raisonné comme si je travaillais avec des personnalités à part entières, en tenant compte de leurs individualités et de leurs désirs. Je n'ai pas toujours précisément obtenu ce que j'avais envisagé. Lorsque Brandon voulait s'amuser avec ses jouets ou autre, par exemple (rires). Mais il est aussi particulièrement doué. J'étais à son écoute. J'avais également besoin de savoir s'il n'était pas trop fatigué. Le fait qu'il soit en confiance m'a réellement comblé.

EN: Votre film se révèle être une sorte de mélange en art et réalité. Comment définiriez-vous votre langage cinématographique, votre style ?

MJ: Comment décrirais-je ce style ? Je ne sais pas vraiment. Tout vient d'un ensemble d'émotions. Lorsque je dépeins une couleur ou une image, cela s'opère toujours pour l'émotion d'une scène et certainement aussi en synergie avec l'illustration musicale. Tout fonctionne dans ce sens là. A l'arrivée, d'une certaine manière, je vise à ce que la plupart de ces choses disparaissent, pour dessiner tout ce qui vient traverser le film, comme la tristesse, l'espoir ou l'humour. Je ne me pense pas outre mesure à des questions du genre "Tiens, telle ou telle chose pourrait donner un son cool ou une couleur agréable". Tout ce qui relève des sentiments me stimule vraiment. J'essaye de m'y ancrer. C'est pour moi quelque chose d'essentiel.

EN: Comment s'est déroulée votre collaboration avec le compositeur Michael Andrews ?

MJ: On a travaillé ensemble tous les jours et de façon très proche. On s'est mis à l'œuvre dès que j'ai terminé le film. Il joue de tous instruments, on s'est donc enfermés dans son studio. Il sait créer tout un univers émotionnel, donner corps à tout un film par la musique, dans un vocabulaire des plus entiers. Ca a vraiment été une de mes meilleures collaborations.

EN: Votre film est un puzzle sur la nature humaine, ses forces, sa fragilité. Diriez-vous que votre regard féminin a décidé de la façon dont vous composeriez sur ces notions ?

MJ: Mon sentiment sur cette question est assez singulier. Ces notions sont universelles mais j'ai particulièrement pensé aux femmes. Je le ressens en que tel, en tous cas. Sur le tournage, j'appelais souvent mes amies et les imaginaient en train évoluer dans certaines scènes du film. A l'arrivée, je me suis dit "Ca, c'est pour elles!". Dina, Karen, Julia… toutes ces amies, entre autres noms. J'ai pu apporter une touche dans le film plus que chacune d'entre nous aurait pu le faire. Beaucoup de films nous apportent, quel qu'ils soient. Entre autres, le cinéma féminin avec certaines comédies romantiques, mais actuellement, lorsqu'une femme est aux devants, ça ne soulève pas à cette question, "Qui sommes-nous?". Certaines se disent "Si je faisais un film, voilà ce que je pourrai être!". Mais le résultat irait probablement bien au-delà. C'est cette finalité qui me fait le plus avancer.

EN: Vos intentions étaient-elles de portraitiser la société américaine en particulier ou d'offrir une vision plus générale ?

MJ: Le film n'est pas lié à un environnement spécifique. Mon attention n'a jamais été focalisée d'un point de vue géographique ou sur des villes particulières. Je n'ai pas été inspirée par telle ou telle population. C'est un film que j'ai écrit lorsque je vivais à Portland dans l'Oregon, il est donc en quelques sortes empreint de cette ville, mais je l'ai tourné à Los Angeles. Où l'histoire pourrait-elle se dérouler ? C'est un peu confus. (rires) Mais je ne m'en souci pas davantage car je pense qu'elle pourrait presque se tenir n'importe où.

EN: Quelles influences artistiques nourissent votre cinéma ?

MJ: La plupart du temps, ce sont mes amis qui apparaissent, entre autres Harrell Fletcher [artiste plasticien] et son travail sur le site web "Learning to love you more" [dont elle est co-conceptrice]. Je pense aussi à Rick Moody [écrivain]. Il y a également un groupe qui s'appelle Les Microphones [pop-rock alternatif/indie/expérimental] que j'adore. D'une façon générale, il ne s'agit pas tant d'influences cinématographiques parce que c'est un univers assez nouveau pour moi. Mes amis m'inspirent avant tout. Si j'en comptais plus qui soient cinéastes, je serais peut-être serais-je davantage influencée.

EN: Votre film joue beaucoup sur l'expression écrite… Je pense à Christine qui écrit un "Me et un "You" sur ses chaussures ou encore, entre autres, à ces messages aposés aux fenêtres… Avez-vous personnellement un mot ou une locution privilégiée ?

MJ: Mon copain a fait fabriquer ces rubans [Miranda montre le ruban rose qu'elle porte autour du cou]. (rires) Oui, il fait beaucoup de choses et entre autres ces rubans. L'un d'entre eux dit "Ni Comment ou Pourquoi ou Quand mais Oui"… Ca pourrait être celle-ci ! (rires)

EN: En quoi vos précédents travaux vous ont aidés à construire ce film ?

MJ: Toutes ces expériences m'ont permis de réaliser les suivantes précisément telles que je les concevais. C'est un vrai plaisir de travailler ainsi. On a souvent peu de contrôle sur ce qu'on fait. J'ai acquis un vrai confort quant à ce que je souhaitais et, par-là même, ma façon d'être. En tant que cinéaste, c'est une des choses essentielles que l'on doit savoir faire. J'ai ainsi bénéficié d'une excellente auto-formation.

EN: Parlons de l'atelier d'écriture et de réalisation Sundance en 2003 ? En quoi cette expérience a-t-elle pu changer votre façon de travailler ?

MJ: L'Institut Sundance m'a été d'une aide précieuse. Je vivais à Portland et travaillais à l'écart du monde au travers duquel il m'était offert d'évoluer avec ce type de film. Sundance a vraiment constitué un pont. J'ai acquis confiance et ai pu appréhender "Me and You" à un tout autre niveau, dépasser certaines formes restreintes et évoluer sur une échelle beaucoup plus grande. Ces conseils ont pleinement encouragé mon travail.

EN: Quel est votre souvenir le plus fort ou incongru du Festival de Cannes ?

MJ: C'était juste après la cérémonie de palmarès. Je me souviens : j'étais attablée avec cinq autres femmes ; un hasard que ce ne soit que des femmes, je ne connaissais aucune d'entre elles, elles venaient de différentes productions. Nous avons couru à la table des desserts qui, comme vous pouvez imaginer, était absolument prodigieuse. (rires) En quelques sortes, je ne savais plus où donner la tête avec tous ces desserts. Nous nous sommes donc amusées avec la manière dont je pourrai gérer ça. J'ai goûté à chaque dessert et nous leur avons décerné un Prix. Un remportait la Caméra d'Or, un autre la Palme d'Or… (rires) Une sorte de Cérémonie des desserts. C'était très amusant !

EN: Quelques mots sur vos projets en cours...

MJ: En ce moment, je suis en train de boucler un livre de nouvelles. C'est une chose que je peux faire facilement lorsque je voyage pour la promotion du film. J'essaye de ne pas travailler sur mon prochain film en circonstances intermédiaires, autrement que de façon posée parce que je m'investis entièrement. Un des grands intérêts pour moi, en travaillant avec tous ces médians, est de pouvoir faire des breaks successifs. Je prends des temps de respiration dans tout ce que je fais. Dans ce sens, je m'implique peut-être différemment que ne le feraient la plupart des cinéastes, en raison de toutes ces autres activités qui me permettent d'appréhender mon travail. J'espère faire encore de nombreux films mais préfère ne pas organiser les choses en les imbriquant les unes et les autres de façon linéaire.

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   Propos recueillis par Sabrina - Septembre 2005