Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



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 (c) Ecran Noir 96 - 24



Elle est une des actrices les plus plébiscitées du cinéma iranien. Niki Karimi a commencé sa carrière à l'âge de 18 ans devant la caméra de Jamshid Haidari (La tentation, 1989). Du drame au film d'action, elle a depuis joué dans une vingtaine de productions. De nombreux rôles vedettes, de nombreux Prix d'interprétation aussi, qui lui ont donné envie d'aller plus loin : passer à la mise en scène, s'exprimer, tant en termes artistiques que sociologiques, avec sa propre fresque. Elle se mit à l'écriture, la photographie… Aguerrie aux plateaux de tournages, Niki Karimi commença par réaliser un court métrage documentaire, Avoir et ne pas avoir. En mai 2005, Cannes accueillait son tout premier long en sélection officielle (Un Certain Regard) : Une nuit. Un road movie urbain et nocturne qui portraitise la société iranienne contemporaine, cartographiant la relation homme-femme. Errance, intimisme et confidences au rendez-vous…
Ecran Noir: Vous évoquiez avant le Festival de Cannes votre volonté de travailler sur un cinéma qui décrive la réalité, "s'approche des gens, au quotidien, sans tricher". En quoi votre expérience de comédienne est-elle intervenue dans vos intentions premières ?




Niki Karimi: Je n'aime pas les fictions qui s'éloignent du réel. Le cinéma est un excellent moyen pour embrasser la réalité quotidienne. Certains réalisateurs s'en éloignent trop. Je pense notamment à certains films dans lesquels j'ai joué et d'autres que l'on peut voir. J'ai appris pas mal de choses en étant moi-même comédienne et, par rapport à ce que certains cinéastes ont pu me demander, j'ai effectivement souhaité partir dans de nouvelles directions, tout en conservant les apports positifs de mon expérience devant la caméra. J'ai donc essayé de faire un film qui soit proche de la réalité d'un point de vue humain.

EN: Quel regard portez-vous sur le cinéma iranien ?
NK: Depuis un certain temps il est abouti et connaît du succès. Etant donné que dans notre cinéma on ne trouve ni sexe ni violence, on s'approche, d'une part, de choses plus réelles, directement inspirées de la vie quotidienne. C'est un bon moyen de parler de ce qui nous touche, des relations ordinaires. D'autre part, nous avons une culture assez riche en matière de littérature ou encore de poésie. Consciemment comme inconsciemment, le cinéma iranien s'en inspire.

EN: Pourquoi avoir choisi d'écrire et mettre en scène un road movie urbain et nocturne ?
NK: Par goût. Le genre a simplement découlé de préférences personnelles.

EN: Comme s'est déroulée l'écriture du scénario ? Etes-vous partie de réflexions très personnelles ou aviez-vous des visées plus distancées, d'ordre thématique par exemple ?
NK: J'ai d'abord écrit le scénario en solo. Je l'ai ensuite montré à Kamboziar Partovi [scénariste et réalisateur, ndlr] et nous l'avons réécrit ensemble. Quantité de choses m'ont inspirée. Autant ce que j'ai pu voir personnellement, que certains éléments puisés dans mon inconscient, dans la vie de mon entourage. Il s'agissait vraiment d'un ensemble de choses.

EN: Votre film est centré sur ces deux thèmes : l'errance et la place de la femme dans la vie conjugale. Pourquoi avoir choisi de construire votre film telle une série de variations sur ces mêmes thèmes ?
NK: Ce qui est important pour moi est d'explorer ce thème de l'errance. Voilà ce qui m'attire vraiment, y compris lorsque je regarde des films. J'aime parler de ce sujet qui m'intéresse aussi beaucoup dans la littérature. A côté de mes activités de comédienne et réalisatrice, je fais de la traduction. Il existe un livre du pakistano-anglais Hanif Kureshi que j'ai traduit. Dans ce livre on parle d'un homme et de toute une nuit qui passe. Il est marié, a deux enfants et se retrouve, un soir, confronté à ses tâches quotidiennes. Il dialogue avec lui-même et nous fait part de ses conflits intérieurs car il est tombé amoureux d'une fille. La première phrase de ce livre est "Je vais sortir de la maison ce soir". C'est un des livres les plus modernes que j'ai lu. Cette histoire, qui parle d'errance, de quelqu'un qui dialogue intérieurement et sort de chez lui m'a beaucoup attirée.
Quant à la femme, elle a en Iran une place particulière. Elle peut entamer le dialogue. D'un autre côté, elle ne peut pas concrètement faire de choix déterminants. La meilleure période où elle peut prendre des décisions survient lorsqu'elle est mariée et a des enfants. A ce moment-là, elle bénéficie de tous les droits. Mais, à partir du moment où elle souhaite travailler, gagner de l'argent et devenir indépendante, le problème commence.

EN: Parlons des femmes cinéastes dans le cinéma iranien… Quelle place les réalisatrices y occupent-elles aujourd'hui ? Ont-elles des terrains d'expression, des langages à part ?
NK: Notre cinéma compte quelques réalisatrices qui font des films commerciaux. D'autres font des films art et essai. Toutes défendent les droits des femmes. On peut donc effectivement parler d'un langage typiquement féminin.

EN: Quelques mots sur le Festival de Cannes 2005. Quelles en ont été les répercussions ?
NK: Tout a démarré par Cannes. C'est une grande chance pour un film, un réalisateur ou une réalisatrice d'aller à Cannes. Son film est vu par le plus grand nombre et bien soutenu. D'autres festivals l'accueillent ensuite. C'est le point de départ pour aller à la rencontre de professionnels dans le monde entier. Cannes a donc été très bénéfique et m'a permis de me positionner en tant que réalisatrice.



Propos recueillis par Sabrina - novembre 2005