(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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Avachi sur le fauteuil, les pieds sur la table basse, Djamel Bensalah se prête au jeu des questions-réponses sans signe d'impatience. Un jeune homme charmant, la tête bien pleine, réaliste et l'envie de tout bouleverser, une rencontre haute en couleurs. |
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Ecran Noir: J'aimerai qu'on revienne un peu sur votre parcours avant le succès du "Ciel...".
Djamel Bensalah: Mon parcours c'est quoi... J'ai commencé par être comédien à l'âge de 15 ans. Pourquoi comédien? Parce que j'avais toujours voulu travailler dans le cinéma mais je ne savais pas ce que je voulais y faire. Je savais que je ne voulais pas être comédien. Mais le meilleur moyen pour être sur un plateau, pour moi, étant encore au lycée C'était d'être comédien et de faire des castings. J'allais apprendre, regarder les gens. En étant comédien tu as une place extrêmement privilégié puisque tout est fait autour de toi. Du coup j'ai été á l'école, sur les plateaux en étant comédien. J'ai vachement appris et en regardant les gens faire je me suis dis que ce que je voulais faire c'était ça. C'est pas chef-opérateur, ingénieur du son, je voulais être réalisateur, dire "action-coupez"! Donc ça a commencé comme ca, en même temps j'ai gagné de l'argent j'ai fait des courts-métrages. En faisant le premier ca m'a permis de faire le deuxième, le deuxième un troisième et le troisième m'a permis de faire mon long. Je le raconte vite mais c'est ca! C'est extrêmement rapide puisque j'ai fait mon premier court à 17 ans et mon premier long à 21. Mais ça n'a pas été de tout repos.
EN: Ce n'est pas trop difficile d'allier les études?
DB: Oui. Surtout qu'au début j'était encore au lycée. J'ai fait mon dernier court métrage, je passais mon bac. J'ai réussi mon court métrage, j'ai eu des prix à Cannes et tout ça. Je passais mon bac juste après donc j'étais très content, mais plus pour mon film! Et vu que mon troisième court, "Y a du foutage dans l'air" qui est à l'origine du film avait très très bien marché, j'ai commencé à bouger mon cul et à dire que j'avais un scénario aussi qui était la suite du court, j'ai vu le tout Paris, il y a un producteur qui m'a dit "oui" et puis voilá. J'ai signé à Cannes en 97 et j'ai tourné en Septembre.
EN: C'est difficile de trouver du financement quand on est jeune?
DB: Ouais, c'est pas évident. Mais en même temps je ne m'en suis pas rendu compte, j'ai mis deux ans et demi pour faire mon court qui coûtait 100 000 balles mais j'ai mis 6 mois pour faire un film qui coûte 12 millions. Tu te dis "merde! Il y a un truc qui va pas...". Et mon prochain se sera un film qui coûtera beaucoup plus cher. J'ai á peine écrit mon scénar qu'il est déjá financé!
EN: Et ils vont t'attendre au tournant...
DB: Il m'attendent tous avec des machettes et des couteaux. En même temps j'ai le sentiment que le film que j'ai fait avec mes tripes à 21 ans, entre potes, j'en ai absolument pas honte, j'en suis même très fier, simplement ce n'est pas à la hauteur de ce que je peux faire. Je peux tellement faire mieux que je ne suis absolument pas inquiet.
EN: Mieux à quel niveau?
DB: Mais de tout. Au niveau de l'écriture, de la réalisation, de la direction d'acteurs, de mettre en scène. Vraiment tout va être mieux!
EN: Se sera avec la même équipe?
DB: Beaucoup de la même.
EN: C'est par choix ou par facilité?
DB: Par envie. C'est plus fort. Aujourd'hui je n'ai pas envie de travailler avec d'autres comédiens. En France, les comédiens ne me font pas envie. Maintenant c'est d'autres budgets, d'autres histoires, donc il faudra d'autres comédiens aussi installés, connus et reconnus.
EN: Est-ce-qu'on peut connaître le synopsis??
DB: Oh! non... Juste ce sera un film d'action comique. Histoire de dire que "nous petits français" on peut faire l'Arme Fatale ou Clifhanger en mieux... Avec un humour très français. Mon envie c'est tout simplement ça. En fait je ne te raconte pas l'histoire parce que je n'en sais pas plus!!
EN: Pourrais-tu me décrire chacun des comédiens avec qui tu travailles, rapidement?
DB: Laurent Deutsch c'est mon meilleur pote. On s'est rencontré sur un plateau quand j'étais comédien en 92. Ca fait 6-7 ans qu'on est amis. J'ai fait tous mes courts-métrages avec lui. Un mec qui est d'une intelligence incroyable, marrant. Tu ne t'emmerdes jamais avec lui, il est brillant, intelligent, fin. Je serais une meuf [fille] je sortirais avec, c'est clair!
Jamel Debbouze, c'est un mec pareil. Charmant, brillant, talentueux. Ils se ressemblent finalement tous les deux. Mais il y a quelque chose de plus c'est qu'il a ma culture. On a pas besoin de se parler pour se comprendre. En plus ça fait 5 ans que je le connais, avant qu'il devienne ce qu'il est devenu à la télé et il n'a pas du tout changé. Il est resté humble... toujours en retard. Même si il a pu s'acheter une grosse bagnole, c'est impressionnant, il n'est pas bancal.
Stépahne (Soo-Mongo), c'est un mec très gentil. Une personne que je connais depuis très longtemps mais que je n'ai jamais réussi à saisir. Je l'adore, mais c'est une personnalité effacée, mais il est plein d'humour, il rigole tout le temps. Seulement, tu peux être assis é côté de lui pendant trois heures et il ne dira rien... Je m'entends bien avec lui parce qu'il est aux antipodes de ce que je suis.
Julien Courbey, c'est un phénomène, insaisissable. Il est d'une autre planète, il n'est pas comme nous les humains... Il est très loin du rôle du film, mais il s'est vraiment éclaté à le faire!
EN: Avais-tu écrit les rôles pour eux?
DB: Je les ai vraiment écrit pour eux. Enfin, pas par rapport à ce qu'ils sont. Mais par rapport à des personnages que j'avais rencontré dans ma vie et dont je m'inspirais. Mais ce sont des comédiens, donc ils savent composer. Et le fait que Julien ait aussi bien composer... C'est un débile, quoi!
EN: Est-ce un film très personnel comme premier film?
DB: C'est proche de moi sans vraiment l'être! C'est pas autobiographique, mais c'est proche de ma vie parce que j'ai grandi en banlieue, et l'amitié est un sujet qui me touche beacoup parce que j'y crois énormément. Je voulais faire un premier film honnête et qui me permette dans 30 ans de dire que c'est ce que j'ai vécu quand j'étais jeune. Je voulais un souvenir. J'ai fait un court dans le lycée où j'ai grandi et j'ai fait un film dans la ville dans laquelle j'avais grandi et avec des personnages que j'avais connu.
EN: Il s'y sont reconnus?
DB: Non parce que tous mes potes sont pareils. Dans chacun d'eux il y a un peu de Youssef, de Mike. Il n'y a pas un personnage-type. En fait ils se sont tous reconnus. Ils étaient supers contents qu'un film comme ça soit fait par un gars qui vienne de là, de leur cité. Parce que c'est le premier film qui positive, qui voit la vie en Rose.
EN: C'est assez loin de la Haine.
DB: C'est un film sombre en noir et blanc. Moi, c'est un film positif en couleurs. Je trouve la Haine artistiquement incroyable, très bien réalisé. Si on le prend comme un divertissement, alors il est excellent. Maintenant il ne faut pas lui accorder un soupçon d'intérêt sociologique et anthropologique. Je ne dis pas que mon film est plus exact mais il est plus honnête. Même si je crois que Kassovitz est honnête quand il fait son film, mais il raconte une histoire qu'il aurait pu transposer ailleurs. Ca ne raconte en rien ce qu'est la banlieue. Dans mon film on se rapproche plus des ados de banlieue, des mecs normaux, des petits crétins comme il en existe ici, qui ont les mêmes préoccupations que tout le monde. Simplement, ils ont un langage différent, des codes différents.
EN: En parlant de code, c'est très bien que le film s'exporte, mais crois-tu que le public comprendra?
DB: Impossible. Je pense que le film ne peut pas marcher, il ne peut pas toucher d'autres gens. Il n'aura pas le même triomphe. Il peut trouver un public de gens très avertis et passionnés par le cinéma et habitué par les rapports français déjà. Je pense que c'est un public très jeune, 12-20 ans et qui ont envie de voir autre chose que le film d'Érick Zonca, tu vois...
EN: Est-ce qu'on doit en conclure quelque chose?
DB: Non, non. Moi j'aime bien Zonca, mais je n'aime pas son film. Enfin, je le trouve pas mal...
EN: En fait tu sembles quelqu'un de trop positif pour un tel film?!
DB: Oui, et une fille qui se suicide à la fin du film... «a va pas. Oui, je positive beaucoup, il n'y a pas de fatalité. Quand on veut on peut, on peut se battre. Tout est possible. Un artiste comme Pétrucciani, avec son handicap, a réussi à me faire bouger le cul pour aller le voir. Alors moi qui ait une tête, deux bras, deux jambes et pas plus bête qu'un autre, je peux aussi arriver à quelque chose. Des mecs comme Djamel Debbouze, handicapé, petit beur, qui habite Trappes, qui n'a pas fait d'études et qui arrive à devenir l'une des plus grosses stars françaises actuellement et ça va durer, je me dis que c'est incroyable. Voilà donc il faut raconter des histoires comme celles d'Érick Zonca, seulement faut pas raconter que ça non plus. Voilà moi je positive!
EN: Tu habites donc à Paris?
DB: Oui.
EN: Je peux te demander combien de fois tu t'es fait contrôler tes papiers?
DB: Mais pleins de fois, pleins, pleins. En même temps je n'ai pas la tête d'un mec "cramé". Je suis plutôt gentil, j'ai des lunettes. Mais j'ai des potes pour qui ça a été dramatique. Tiens, tu es dans ta cité, tu te fais contrôler le matin, bon, deux heures plus tard tu te refais contrôler, ok. Trois heures plus tard, ça recommence, tu es chez toi, devant ton bâtiment! C'est normal qu'à un moment donné il y ait une voiture de flic qui explose. Non mais tu vois ce que je veux dire, normal que la tension monte.
EN: Cette anecdote rappelle "De l'autre côté du Périph'" des Tavernier père et fils?
DB: Oui, tout à fait. C'était vachement bien comme documentaire. J'ai adoré la définition d'un "Schmitt". "Une marque d'électroménager. Et les poulets ca se fait cuire dans des fours." Et la petite histoire de la carte d'identité dans le film c'est mon histoire.
EN: J'allais t'en parler parce que c'est ma scène favorite.
DB: C'est peut-être parce que je l'ai vécu en fait... Mais vraiment je l'ai vécu en direct, je lui donné ma carte d'électeur! On ne sait pas si c'est de la routine ou de la méchanceté.
EN: Et la montée du FN, ça te fais quoi?
DB: Ca ne me fait pas peur en fait. Ce qui m'effraie c'est la division de la droite. Si il y a plusieurs droites... Le seul morceau de droite à peu près solide c'est le FN, il va y avoir une ramification énorme. Il y a quand même le petit-fils de De Gaulle qui vient d'y adhérer.
EN: Même si on ne peut pas lui demander d'avoir les mêmes convictions de son grand-père...
DB: Oui... C'est un symbole! Ce qui m'avait choqué c'est qu'il dise "je vais faire parti de la liste du FN aux européennes parce qu'il n'y a plus de droite en France"! En même temps si il a des ambitions politiques, la place de Mégret est vacante et elle est à prendre et son nom va l'aider. Ce qui me fait peur c'est qu'il n'y ait plus de droite républicaine.
EN: Pour finir, un conseil aux jeunes qui débutent dans le métier?
DB: Garçon ou fille?
EN: Il y aurait deux discours??
DB: C'est plus dur quand on est une fille. C'est toujours bizarre. T'as toujours l'impression qu'avec la fille il y a quelque chose qui va se passer... Je t'assure... Pour moi il n'y a aucun problème, on ne peut pas avoir envie de coucher avec moi quand on me voit! À moins que le mec soit Pédé... Mais en même temps c'est plus facile quand tu es un mec. Une fille c'est toujours à la limite du "je charme, je charme pas". Il est facile de tomber amoureux des comédiennes avec lesquelles tu tournes, alors pour un producteur il est aussi facile de tomber amoureux. Mais le conseil que je peux donner c'est qu'il faut en vouloir plus que les autres parce que personne ne t'attend. Parce que sinon, ils n'en auront rien à foutre de ta gueule. Et si toi tu n'y crois pas, eux n'y croirons pas à ta place.
EN : Merci.
Alix Tardieu / Ecran Noir / Avril1999
alix
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