Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



Karim Aïnouz
Toni Servillo
Félix Dufour-Laperrière
Jayro Bustamente
Gilles Perret
Hélène Giraud
Ryusuke Hamaguchi
Rohena Gera







 (c) Ecran Noir 96 - 24





La conversation en ce jardin
Jean Claude Carrière a participé à l’écriture de six œuvres de Luis Bunuel : Le journal d’une femme de chambre, Belle de jour, La voie lactée, Le charme discret de la bourgeoisie, Le fantôme de la liberté et Cet obscur objet du désir. Comme un disciple, il s’est fait la promesse de ne jamais refuser une occasion d’évoquer l’œuvre de celui qui lui a tant donné pendant presque vingt ans et qu’il considère comme son Maître.
Imaginez une maison au cœur d’un jardin dans le quartier de Pigalle sous un soleil pâle d’hiver. Jean-Claude Carrière me conduit au sous-sol. Nous nous installons côte à côte dans un fauteuil confortable. Soudain, un chat noir bondit et glisse sur nos genoux, semble veiller sur cet entretien aux allures de conversation. Ce chat qui ronronne me rappelle le bestiaire symbolique si cher à Bunuel. Et si l’esprit du Maître flottait là et nous enveloppait ?...


EN : J’adore le pas de Jeanne Moreau dans le film. Ce pas aérien, élastique, très « petite souris » !
JCC : Bunuel déclarait que Jeanne avait le pied de La Gravida que l’on retrouve sur les stèles antiques. Pied à la verticale du sol. Bunuel adorait la démarche de Jeanne d’où les gros plans sur ses pieds. La démarche de Moreau est le contraire de celle de Bardot qui est très souple, très glissée...

EN : Comme celui d’un chat, d’un félin.
JCC : Je me souviens de Jeanne pendant le tournage. Un jour, elle vient vers moi et me dit : « Je suis très inquiète parce que Bunuel ne me dit rien. Il m’indique mes déplacements, mais pas un mot sur mon interprétation du rôle. Il est peut-être déçu, mécontent... » Je joue de bonne grâce l’intermédiaire, et je touche deux mots à Bunuel. Il me répond alors : « Qu’est-ce que vous voulez que je lui dise. C’est elle qui m’apprend des choses sur le personnage ! ».

EN : Belle de jour est le plus grand succès commercial de la carrière de Bunuel...
Je travaillais sur Le voleur de Louis Malle quand Luis Bunuel me propose Belle de jour. Catherine Deneuve est absolument formidable dans le film. Elle dit que dans le monde entier, à chacune de ses interviews, on lui parle de Belle de jour.

EN : À mes yeux, ce rôle féminin représente la quintessence de l’actrice. Il balaie le champ incroyable qui va de la vierge à la putain. L’image pure de Deneuve comme une icône religieuse contrariée par une névrose qui l’avilité...
JCC : Nous étions conscients que le livre de Joseph Kessel était un roman de gare, un mélo frappé d’irréalité. Donc, nous désirions opposer à cette irréalité, la réalité absolue des fantasmes féminins. J’ai fait beaucoup de recherches. Nous avons été dans les bordels de Madrid avec Bunuel et conversé avec son neveu qui était psychiatre. C’est lui, à la troisième version du scénario, qui nous a indiqués que nous écrivions le portrait d’une masochiste. Nous avons alors retenu uniquement ce parti pris. Jacques Lacan faisait diffuser le film lors de ses séminaires de psychanalyse.

EN : Et avec Bunuel, vous faites d’un roman moyen un chef d’œuvre du cinéma !
JCC : Secrètement, le succès de Belle de jour est inconscient. Beaucoup de femmes se sont reconnues dans les fantasmes sans oser l’avouer. Lors de sa sortie, je me souviens d’un article très méchant de Michel Cournot dans Le nouvel observateur. Il écrivait qu’avec ce film nul, Bunuel était mort ! Puis, Belle de jour a décroché Le Lion d’Or à Venise en 1967.

Page précédentePage suivante