Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



Karim Aïnouz
Toni Servillo
Félix Dufour-Laperrière
Jayro Bustamente
Gilles Perret
Hélène Giraud
Ryusuke Hamaguchi
Rohena Gera







 (c) Ecran Noir 96 - 24



Ancienne reporter de guerre, la réalisatrice et photographe libanaise Jocelyne Saab est l'auteur d'une vingtaine de documentaires et de nombreux viédo-clips de vedettes de la chanson arabe. Son premier long métrage de fiction, Une vie suspendue, prenait en temps réel le pouls de Beyrouth en guerre. Vingt ans plus tard, elle s'est attirée les foudres des fondamentalistes égyptiens, qui sont allés jusqu'à la menacer de mort, avec son film Dunia, un hymne aux femmes et à la liberté. Nous avons profité de sa présence au festival des Cinémas d'Asie de Veoul, où elle faisait partie du jury international, pour rencontrer cet esprit libre et indépendant, avide d'ouverture et de transmission.
Ecran Noir : Votre premier film, Une vie suspendue, qui se passe dans un Beyrouth en guerre, est présenté à Vesoul. Quel regard portez-vous dessus plus de vingt après le tournage ?





Jocelyne Saab : C'est beaucoup d'émotion… Je constate que le temps est passé trop vite. C'est quelque chose de vraiment étrange. J'assistais hier à un débat avec les femmes d'une association, et je me suis retrouvé en train de parler du film comme si c'était hier ! Comme quoi, un tournage, c'est un moment hors du commun et qui ne s'oublie jamais. J'ai beaucoup de tendresse pour le film, malgré ses défauts. Même s'il y a trop de symbolisme et de naïveté, je me rends compte qu'il parle aux gens. Je voulais dire que l'on est comme des pions sur une scène de théâtre, parler de la perte de virginité de la ville, de la guerre qui enlève toute la naïveté qu'on peut avoir…

EN : Hier soir, le réaliasteur philippin Auraeus Solito, qui a réalisé un film sur la dictature Marcos des années 80, expliquait que le pire, c'est que presque rien n'a changé. Ressentez-vous la même chose par rapport au Liban ?

JS : Non seulement rien n'a changé mais c'est pire qu'avant. On a eu à un moment l'impression que la vie allait reprendre, qu'on allait reconstruire. Mais on reconstruisait les murs et pas les esprits. Alors que c'est des esprits dont il fallait s'occuper ! On se laisse toujours manipuler… Plus que jamais, mon film est vrai. Martine et Jean-Marc Thérouanne [les organisateurs du festival] n'ont pas tort de le resortir vingt ans après. Je comprends Auraeus Solito : c'est une génération qui a vu la crise à son moment le plus pointu, puis tout a explosé. Avant, les choses se disaient, maintenant elles sont déguisées. On s'est habitué alors qu'il faut continuer d'exposer la réalité et de la dénoncer.

EN : Votre film Dounia vous a causé de nombreux problèmes avec la censure? Avez-vous le sentiment d'avoir été mal comprise par ceux qui se sont déchaînés contre vous ?

JS : En tout cas, je n'ai pas été mal comprise partout. Il y a eu un très bon accueil du film en Asie et en Europe. C'est essentiellement en Egypte [où il a été tourné] que le film a posé problème, parce que le pays traverse une crise de fondamentalisme exacerbé. Ce n'est pas le public qui m'a mal reçue mais une petite frange de la population qui mène une bataille terrible et a beaucoup d'argent. Les autorités ont eu la trouille : au départ elles me soutenaient, mais elles ont fini par plier. Le film existe jusqu'à aujourd'hui, il a été téléchargé plus de 4 millions de fois, il est partout, c'est devenu un film culte ! Je suis plus connue en Egypte que le président de la république ! Vous imaginez, un petit film d'auteur qui prend ainsi la place des oeuvres les plus commerciales !? Il faut en rire, même si j'en ai payé cher le prix, psychologiquement comme sur le plan financier. Encore aujourd'hui, la sortie du dvd est bloquée par un visa de censure en Egypte… Le sujet n'a pas été pris pour ce qu'il est, un hymne à la liberté de choix, avec en arrière-plan le thème du plaisir et des femmes en général. Et puis j'ai abordé la question des mutilations génitales, qui est un problème dont on ne parle pas en Egypte. C'est comme si j'avais livré un secret de famille ! En plus, j'ai offert une nouvelle représentation de la femme et de l'Orient. je montre un homme initier une femme à la philosophie, c'est aussi ça qui les dérange ! J'ai voulu sortir des clichés dans lesquels l'Occident enferme l'Orient, et dans lequel l'Orient s'enferme lui-même ! Arrêtons de nous cacher que l'Orient est très sensuel.

EN : Cela vous agace-t-il que l'on insiste toujours sur le fait que vous êtes une femme ou au contraire revendiquez-vous cette identité ?

JS : Oui, je revendique mon identité de femme. C'est difficile d'être une femme en Orient, je le ressens plus aujourd'hui qu'autrefois. Cela touche à des choses profondes. Mais je n'ai jamais mené la bataille des féministes. C'est une cause comme une autre, mais j'étais occupée à autre chose. Je veux parler de l'amour, la mémoire, la liberté, l'individu… Ce n'est pas de moi dont je parle, je veux juste défendre l'idée que chacun a le droit d'exister.

EN : Quels sont vos prochains projets ?

JS : Ca va être polémique aussi… J'ai une série de photos grand format (1m x 0,70m) sur l'autre face de l'orientalisme qui a été présentée à Dubai. Je vais essayer de la faire tourner. Il s'agit de la manière dont l'Occident possède et recrée l'Orient pour mieux le gérer. J'ai également participé à une installation contre la guerre à Singapour puis Barcelone. Enfin, j'écris un nouveau scénario… Le cinéma reste toujours le plus difficile à cause du financement. J'espère que ça ira.

EN : Je crois que vous allez également enseigner ?

JS : Oui, pour la première fois, à Beyrouth. C'est un cours sur l'esthétique du cinéma avec un regard transversal sur le cinéma asiatique. Je meurs de trouille ! Je vais faire quelque chose de très libre, avec beaucoup d'intervenants. J'ai envie de transmettre aux élèves une certaine ouverture d'esprit, une culture plus large ouverte sur toute l'Asie. Ils ne se rendent pas compte qu'ils appartiennent à ce continent car ils sont bouffés par le conflit au Moyen-Orient. Ils sont également très tournés vers l'Europe. Je veux élargir leur champ de vision, les faire sortir de leurs clichés, leur montrer ce qui se fait ailleurs.

EN : Vous étiez l'un des membres du jury international pendant cette édition du festival de Vesoul, quels étaient vos critères ?

JS : Dans chaque jury, ce qui est intéressant, c'est qui est le président, parce qu'on le suit tous forcément un peu. Cela dépend donc des festivals et des tempéraments… C'est très intéressant mais pas facile, car il faut tenir compte de l'avis de tout le monde. C'est plus facile quand les membres du jury viennent de disciplines variées, en général un équilibre naturel se fait. Là nous étions quatre réalisateurs [Stanley Kwan, Safarbek Soliev, Nikki Karimi] avec des personnalités très différentes, et les mêmes pulsions déterminent les choix, on se laisse plus guider par le cri du cœur.


   MpM