(c) Ecran Noir 96 - 24 |
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D’abord assistant du réalisateur Jeong Chang-hwa dans les années 50, le Sud-Coréen Im Kwon-Taek réalise son premier long métrage en 1962. Il devient très vite un cinéaste prolifique, tournant à la chaîne des films populaires jusqu’à la fin des années 70. Ce sont ses premiers films sociaux et humanistes qui le font remarquer à l’étranger, notamment L’arbre généalogique en 1978 et Mandala en 1981. Toutefois, c’est La mère porteuse (1986) et surtout La chanteuse de Pansori (1993) qui lui valent une vraie reconnaissance internationale. En 2000, il est le premier Coréen à être sélectionné en compétition officielle au festival de Cannes avec Le chant de la fidèle Chunhyang. Deux ans plus tard, il revient avec Ivre de femmes et de peinture qui reçoit le Prix de la mise en scène. Déjà salué par le Festival de Berlin qui lui a remis un Ours d’Honneur en 2005, il est honoré à Deauville à l’occasion de son centième film, Beyond the years.
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Ecran Noir : Vous avez réalisé 100 films en 46 ans. Quel est votre secret ?
Im Kwon-Taek : Ca s’est fait sans que je m’en rende compte… 50 d’entre eux ont été fait au début de ma carrière, sur une dizaine d’années. Ils n’avaient rien à avoir avec la description de la vie et de la société, mais étaient des œuvres purement commerciales. Lorsque l’on me dit que j’ai réalisé 100 films, j’en ai très honte, car il y en a la moitié que j’aurais voulu ne jamais tourner !
EN : Parlez-nous de la situation cinématographique en Corée…
IKT : Nous avons le système des "screen quotas" qui protège le cinéma coréen. Avant, les cinémas devaient diffuser des films coréens 146 jours par an, soit pendant 40% de l’année. Désormais, cette durée est tombée à 73 jours par an, ce qui ne pourra qu’avoir une influence négative. C’est un peu embêtant, j’espère que l’on reviendra à la normale. Mais avec la pression américaine, le gouvernement coréen choisira peut-être plus de satisfaire les Etats-Unis que de protéger le cinéma national… Pour le moment, notre cinéma se porte très bien, donc on ne connaît pas l’influence de ce changement. Mais si un jour il marche moins bien, ce sera sûrement néfaste.
EN : Parlez nous de l'art du chant coréen, le pansori, qui est au coeur de votre dernier film Beyond the years. En quoi cet art vous a-t-il inspiré ?
IKT : Il existe deux sortes de chant en Corée : un chant classique, académique, plutôt destiné aux nobles, et le pansori qui est plus populaire. Aujourd’hui, le pansori est classé patrimoine culturel à l’UNESCO. Il est donc mondialement reconnu comme un trésor. C’est un chant caractéristique de la musique coréenne : il est très difficile à apprendre mais également à écouter. C’est compliqué de percevoir la force, l’énergie mais aussi l’énergie que procure ce chant. On dit des gens qui sont capables de l’apprécier qu’ils ont des "oreilles sopranos" ! Autrefois le pansori comportait douze chants, chacun durant de 4 à 5 h, comme un opéra. Aujourd’hui il n’en subsiste que cinq. Pour le film, nous avons choisi les extraits les plus importants de contes connus, comme notamment Le Chant de la fidèle Chunhyang. Mon défi était de montrer que la musique peut toucher d’une manière autre qu’auditive. Je voulais ainsi transmettre et partager ce trésor avec le monde entier.
EN : Comment avez-vous choisi l’actrice qui interprète Song-Hwa, la chanteuse du film ?
IKT : Oh Jung-Hae a débuté dans mon film Le chant de la fidèle Chunhyang en 1993. Elle a tous les talents ! Elle a eu un grand maître du pansori comme professeur et a gagné plusieurs prix. C’était bien sûr l’actrice idéale pour le rôle !
EN : Les prix reçus dans les festivals étrangers ont-ils une grande influence sur la carrière de vos films ?
IKT : Les prix reçus à l’étranger permettent de distribuer les films à l’étranger, et donc ils sont plus largement vus et reconnus. Toutefois, cela n’aide pas à ce qu’ils marchent en Corée…
EN : Dans La pègre, sorti en 2005, le personnage principal passe du milieu des gangs à celui du cinéma… Vous êtes-vous inspiré de votre propre expérience pour écrire cette histoire ?
IKT : Dans ce film, tout ce que l’on voit a réellement existé, ce sont soit mes propres expériences, soit celles de mes amis. Tout est inspiré de faits réels à la base. J’ai même plus ou moins minimisé les faits ! Par exemple, à l’époque, les acteurs jouaient dans 18 ou 19 films sur une même période. J’ai eu peur que les gens croient que j’exagère, alors j’ai édulcoré…
EN : Avez-vous été influencé par des films en particulier ?
IKT : J’ai pu voir beaucoup de films de plusieurs pays, qui m’ont tous plus ou moins influencé. Mais en fait, le plus important et le plus difficile, c’est de savoir s’en échapper pour faire ses propres films.
EN : Quel regard portez-vous sur la génération montante du cinéma coréen ?
IKT : Le cinéma coréen est porté par la jeune génération. Il y a beaucoup de sérénité chez eux, mais aussi beaucoup de classe. J’ai peut-être un souhait à formuler en ce qui les concerne : qu’ils essayent de mettre plus de représentations de notre vie dans les films.
EN : Vous considérez-vous comme un cinéaste du social ?
IKT : Au départ, je faisais des films de série B et même de série C qui ne traitaient pas de la vie des Hommes. Après la guerre de Corée, l’aspect idéologique du conflit m’a fait réfléchir : le fait que la guerre ne fasse que des pertes humaines, que le pays soit sinistré… Alors j’ai réfléchi à la vie et au respect des être humains et j’ai décidé de faire revivre la spécificité coréenne : nos arts, nos traditions…
EN : Dans vos films, on retrouve souvent des personnages qui ne vivent que pour l’art, notamment dans Ivre de femmes et de peinture et dans Beyond the years. Est-ce une situation qui vous est personnelle ou tout simplement qui vous fascine ?
IKT : J’aspire à être comme ces artistes qui ne vivent que pour leur art ! C’est peut-être parce que je n’y arrive pas moi-même que je les mets dans mes films.
MpM
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