Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



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A 35 ans, Pablo Fendrik est un jeune réalisateur comblé. L’assaillant et La sangre brota, ses deux premiers longs métrages, ont tous deux été sélectionnés à la Semaine de la Critique de Cannes. Le premier en 2007, il a d’ailleurs reçu le "coup de cœur" de la sélection, et le deuxième en 2008. Dans les deux cas, l’accueil fut enthousiaste, saluant la maîtrise technique du jeune Argentin ainsi que sa propension à raconter des histoires ténues sur un ton très personnel.
EN : Justement, quelles "références" citez-vous ?

PF : Mes références ne sont pas forcément cinématographiques, il y a par exemple Cartier-Bresson et Van Gogh. Sinon, je dirais Werner Herzog, le Scorsese des années 70 ou encore Cassavetes. Cassavetes, je ne m’en suis pas inspiré, mais il m’a donné confiance et énergie au moment du tournage de L’assaillant. Je me disais : "je ne suis pas tout seul, quelqu’un avant moi a réussi à faire des films en étant sur la même fréquence que moi". Ce qui m’a attiré dans le fait de tourner ce film, c’est la nécessité de se surpasser, de s’affronter à tout. Cela faisait deux ans que je travaillais sur le développement du projet La sangre brota et j’attendais l’argent. J’étais tellement inquiet à l’idée de ne pas pouvoir tourner. Je me suis dit : "si ça se trouve, je vais encore devoir passer cinq ans à attendre !" Alors j’ai foncé. Je voulais aussi démontrer à moi-même et à ceux qui me font confiance que ce n’est pas la seule façon de faire des films. Si quelqu’un veut faire un film, il va dans la rue et il le fait. Je l’ai fait, et ça m’a fait du bien ! On a tourné en neuf jours, dans la rue, sans autorisation ni scénario. J’allais sur le tournage en métro… Mais j’avais tellement envie et besoin de faire un film ! Sinon, j’avais l’impression que ma tête allait éclater.

EN : Justement, quand on voit L’assaillant, il est assez difficile d’imaginer qu’il a été tourné dans une telle urgence…

PF : Nous avons eu trois semaines de préparation. Pendant deux semaines, on a répété en partant d’improvisations. Notamment les deux scènes de hold-up. Au tournage, les choses se sont fait sur l’instant, de manière très instinctive. Par exemple, il n’était pas prévu que le personnage monte dans le bus après le premier hold-up. On filmait et j’ai crié à Arturo [Goetz, l’excellent interprète] : "monte dans le bus ! Tout le monde, suivez-le !" Le film s’est créé ainsi, avec plein de petites impulsions : "vas-y, achète des lunettes, jette les lunettes… " A chaque fois, cela modifiait le parcours. Tout cela a été possible grâce à la connexion que j’ai eue avec Arturo Goetz, l’acteur principal. Je lui donnais des indications et j’avais des retours de sa part, des propositions. Je me suis mis à sa place, je devenais moi-même l’assaillant. Je me demandais toujours ce que j’aurais fait dans telle situation précise. C’était également très excitant et excitant d’avoir une équipe restreinte mais si concernée par chaque action. Je leur ai proposé de se mettre en situation de guérilla, une véritable énergie se dégageait de nous tous. Chaque jour, j’avais comme un sentiment de triomphe.

EN : Parlez-nous des fameux plans séquences qui émaillent votre film, surtout les deux scènes de hold-up, qui durent 6 et 8 minutes. A les voir, on croirait que tout était très préparé en amont !

PF : Quand tu as une idée très précise de ce que tu veux faire, que tu t’entoures d’une équipe très professionnelle et talentueuse et que tu sais comment leur demander ce que tu veux, il n’y a pas besoin d’autant de préparation que ça. C’est un peu comme la logique du jazz. On sait qu’on a un mouvement, un tempo à respecter mais on peut laisser libre cours à son inspiration. Chacun dialogue avec l’autre et avec son propre argument. Avec un peu de chance, de concentration, de détermination, on y arrive. Mais on a eu de la chance d’avoir tous ces éléments réunis ! Pour ce qui est de ces plans-séquences particuliers, ils n’étaient pas planifiés comme tels. Le premier jour du tournage, je me suis dit qu’au lieu de découper chaque plan, je pourrais suivre mon personnage. Vu la logistique restreinte, le peu de temps que nous avions et l’enthousiasme de l’équipe, je me suis rendu compte qu’il fallait le faire car si on y arrivait, on aurait quelque chose de spécial entre les mains. Mais je n’en avais pas eu conscience avant ! Le plus réussi, c’est le premier hold-up, qui correspond au dernier plan du premier jour de tournage. On a fait seulement deux prises, et c’est la deuxième qui apparaît dans le film. Pendant la scène, je ne pouvais pas voir le moniteur. Dès que ça a été fini, je suis revenu au point de départ pour visionner la séquence… et je me suis presque mis à pleurer car c’était presque parfait. Le premier jour de mon premier film en tant que réalisateur ! J’étais vraiment très très heureux.

EN : Et finalement, le film s’est retrouvé à Cannes… de même que le deuxième, d’ailleurs. Que vous a apporté cette expérience ?

PF : C’est une chose inespérée qui a complètement changé les plans de ma vie. J’étais parti pour être un réalisateur de cinéma indépendant en état de souffrance, et depuis le début, L’assaillant n’arrête pas de m’apporter du bonheur. Les premières critiques ont été très bonnes, l’accueil aussi, alors que c’était ma première fois ! Il y a eu beaucoup d’émotion. Depuis, le film est allé dans cinquante festivals, il a eu plusieurs prix. Ca a changé la perspective pour le prochain, c’est sûr, notamment ma manière de travailler. Il y a des tas de producteurs et de gens du cinéma qui attendent mon prochain scénario maintenant… Mais je ne suis toujours pas en état de dire si le prochain sera fait dans de meilleures conditions. Il est trop tôt pour le savoir.


   MpM

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