Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



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 (c) Ecran Noir 96 - 24



Rares sont les réalisateurs à pouvoir se targuer d’une carrière cinématographique longue de cinquante années riches et remplies. Carlos Saura, qui a fait ses débuts derrière la caméra en 1957 avec Cuenca, s’est illustré depuis dans tous les genres, du documentaire à la fiction intimiste ou sociale (La chasse, Cria Cuervos, primés respectivement à Berlin et à Cannes) en passant par l’opéra (Carmen) et l’indéfinissable "fresque musicale" dont il a fait sa spécialité (Flamenco, Tango…) et auquel appartient Fados. On s’attend à rencontrer un monument, et on est accueilli par un homme chaleureux et souriant qui s’excuse de son français pourtant délicieux. Conversation à bâtons rompus avec l’un des plus grands réalisateurs européens contemporains, sous l’œil complice du coproducteur portugais du film, Luis Galvao Teles.
EN : Vous aimez changer les éléments d’un film à la dernière minute ?

CS : Quelques fois, oui. Par exemple en fonction de la scène précédente, ou d’un changement de décor par rapport aux répétitions. Il faut être prêt à changer d’opinion. Pas toujours, mais de temps en temps. Quand j’ai commencé en Espagne, il n’était pas possible de suivre un programme défini. Vous sortiez tourner une scène, et on vous disait que vous n’aviez pas l’autorisation de tourner. Ou alors il n’y avait plus assez de pellicule ! Cela m’a habitué à l’improvisation. Cela n’empêche pas de préparer, mais j’aime changer d’avis.

Luis Galvao Teles : C’est beau de le voir travailler ! Par petites touches, par petites notes… Il a une vision qui transforme les choses. Il fait apparaître une magie qui n’était pas là la minute d’avant.

CS : (En riant) C’est vrai… Je peux faire un film dans ma tête, le dessiner, mais ensuite je ne tournerai pas ce que j’avais dessiné, car sinon j’ai une sensation de répétition. Je préfère profiter de l’impulsion. Dans tous mes films, les musicaux comme les autres, je fais avec ce que j’ai. Sur Fados, parfois on avait prévu de tourner un numéro avec des musiciens, et puis ce n’était pas eux qui venaient, et on tournait avec quelqu’un d’autre.

LGT : Oui, il y a même eu un changement de chanson à la dernière minute ! Argentina Santos ne sentait pas la chanson qu’on avait prévue et a refusé de la chanter. A la place, elle a fait Viva vivida, et c’était plus beau que ce qui était prévu. C’est même un des plus beaux moments du film… Quelle chance !

CS : Eh oui, les artistes aussi aiment improviser…

EN : Vous avez réalisé huit films musicaux. Avez-vous l’impression d’avoir percé le secret de comment filmer la musique ?

CS : Oui, il y a un secret et je vais vous le dire ! Il faut aimer la musique et la danse. Pour moi, la musique tient une part importante dans ma vie. La danse, je trouve ça merveilleux, cet équilibre entre le rythme et le mouvement corporel… Pour moi, la danse est facile à filmer. C’est même la chose la plus amusante. C’est incroyable d’avoir les meilleurs artistes du monde devant ma caméra et qu’ils travaillent pour moi ! C’est une chose exceptionnelle. Prenez l’opéra, cela n’a rien à voir de regarder depuis votre fauteuil ou d’avoir les chanteurs qui chantent juste devant soi ! Il y a une telle émotion… C’est la même chose pour les répétitions de danse, quand on voit les danseurs en plein effort, sans tutu… C’est plus beau, plus empli d’émotion que la représentation en elle-même. Vous avez un rapport personnel avec le chanteur ou le danseur. Pour moi, c’est là la grande invention du cinéma : se rapprocher des artistes.

EN : Faites-vous une distinction entre vos films musicaux et le reste de votre œuvre ?

CS : Le monde musical est différent, c’est certain. Mais parfois il existe des hybrides, comme Tango ou Carmen, qui mêlent la fiction, la politique, la danse… On a aussi inventé un nouveau genre de film musical, qui n’est ni un documentaire, ni une fiction, ni une comédie musicale. C’est Robert Wise qui m’a dit cela lorsque j’ai été nominé pour l’Oscar du meilleur film étranger [en 1979, pour Maman a 100 ans] : "Tu es en train de faire des films musicaux différents de ce qui existe".

EN : Et vous, vous n’avez pas inventé de nom pour cette nouvelle forme de films ?

CS : Non, pas vraiment… On dit juste "film musical". Un musical à l’état pur…


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